Le « Wôni Da » est un lieu célèbre connus de bon nombre de Bamakois. C’est la partie du grand marché de Bamako spécifiquement réservée à la vente de légumes frais. Les femmes sont les principales animatrices. Certaines y vont pour faire les courses, d’autre pour le commerce. Dès l’aurore la place est prise d’assaut par une armée de vendeuses. Les femmes s’arrangent à être là des 3 heures ou 4 heures du matin, moment où les voitures de transport des légumes commencent leur déchargement.
S’étendant sur une distance d’une cinquantaine de mètres, la rue du « Wôni Da » est toujours encombrée. Le brouhaha du marchandage se mêle aux bruits des motocyclistes et automobilistes de passage. Les vendeuses de légumes sont installées en longues files. En maîtresses des lieux, elles sont à l’affut de la bonne affaire. Toutes se partagent l’étroit passage avec motocyclistes et automobilistes. Une promiscuité qui est souvent à l’origine d’interminables bouchons.
La vocation de ces femmes est d’approvisionner les Bamakois en légumes frais. Elles ont les yeux rivés sur leur « trésor ». Des paniers remplis d’aubergines, choux, concombres, gombo, entre autres. Ces ingrédients sont importants dans les habitudes culinaires maliennes. Bien qu’étant souvent étalés à même le sol, ces légumes finiront dans un bonne sauce d’arachide « Tiga dèguè nan » ou une sauce claire « Yassa » au déjeuner.
En cette matinée, le sol est encore boueux et conserve l’humidité de la pluie de la veille. Le marché semble inondé de tomates. Elles remplissent presque tous les paniers des vendeuses. Deux femmes, de la cinquantaine, sont assises au milieu des tas de tomates. Elles se plaignent de la morosité du marché. Les affaires sont au ralenti. « On est trop endettées », se lamente la commerçante, Djelika.
La dame indique vendre des légumes au « Wôni Da » depuis une trentaine années. « Chaque matin je viens au marché dès l’aube entre 3 heures et 4 heures du matin pour avoir les meilleurs légumes à l’arrivée des voitures », explique la vendeuse. « Il m’arrive de passer la nuit ici », renchérit sa voisine, les cheveux grisonnants, affairée à déguster son petit-déjeuner.
Le marché aux légumes est concurrentiel à cause du surnombre des vendeuses. La règle est donc simple : premier venu, premier servi. Il faut venir tôt pour choisir de bons légumes avant les autres. « Certaines femmes viennent d’autres marchés acheter les produits ici. Sans compter celles qui exportent vers d’autres pays. Si on ne vient pas vite, on risque de passer à côté des bonnes affaires », défend Djelika Koné.
Astan Coulibaly, vendeuse de légumes, est assise un peu plus loin. Elle s’est spécialisée dans la vente en gros. Elle sillonne certains villages producteurs de légumes pour faire ses stocks de produits. Parée d’un boubou bleu, elle vient de conclure une affaire. La dame compte machinalement une liasse de billets qu’elle range minutieusement dans un sac, lequel aussi vite camouflé sous un pli du boubou. La prudence est de mise, pour qui connait la réputation des pickpockets du marché. « Nous vendons en gros aux détaillants, explique-t-elle. Nous allons chercher les légumes à Sikasso(Kénédougou) et à Ségou pour approvisionner les marchés de Bamako ».
Le transport des produits à partir des lieux de production à Bamako engendre des coûts importants, selon la commerçante. Ce qui l’amène à décrier les multiples taxations aux postes de contrôle dont les commerçantes se disent victimes. « On est obligés de payer à chaque poste pour faire passer nos produits, c’est pénible pour nous », se plaint-elle. Astan décrit un autre problème majeur auquel font face les vendeuses. Selon elle, certains types d’engrais utilisés par les producteurs ces dernières années favorisent la décomposition rapide des légumes. « Avant les légumes pouvaient faire trois jours sans se détériorer. Mais maintenant nous sommes obligés d’écouler les produits en un jour au risque de faire d’énormes pertes », avance-t-elle.
Le brouhaha est le propre du « Wôni Da ». Clients, vendeuses et autres passants s’entremêlent. Le Coronavirus ou de distanciation physique à ces dames sont des notions extraterrestres pour elles. Elles voient en la Covid-19 juste « la peste qui a leur fait subir beaucoup de perte » en limitant leur activité.
Ce sentiment est partagé par beaucoup de vendeuses. Comme Mariam Togola, l’une des plus anciennes. Elle dénonce les conditions difficiles dans lesquelles elles exercent leur activité. « On a pas de place au marché, donc nous sommes obligés de partager l’allée avec les usagers à nos risques et périls. On nous a donnés des magasins de stockage au marché qui ne sont pas conformes à nos produits qui se détériorent avec la chaleur des magasins », avance-t-elle.
Le manque d’emplacement adéquat pour la vente oblige les vendeuses à jouer souvent « au chat et à la souris » avec la mairie. Leurs produits étant sur la voie publique, donc, elle s’exposent à leur saisine par les agents de la municipalité. « La mairie nous fatigue ! La dernière fois, ils ont saisis mes produits j’ai dû payer 25.000 F cfa pour les récupérer », s’indigne Mariam Togola.
Malgré les multiples difficultés qu’elles dénoncent, les vendeuses du marché n’ont pas d’organisation spéciale. Pas d’association ni de coopérative. Pourtant, ce ne sont pas les tentatives qui ont manqué, selon la vieille Mariam. « Il y a presque dix ans, j’avais parlé aux autres femmes de la nécessité de créer une association pour mieux organiser notre activité. Certaines n’ont pas accepté, ce qui a provoqué l’échec de l’initiative », raconte Mariam Togola. Elle estime qu’une organisation leur permettrait de trouver des solutions à certains de leurs problèmes. Les défis et les sacrifices n’étant pas ce qui manque pour ces femmes. Les voyages à la recherche des légumes dans certaines localités reculées ne sont pas sans risque. Selon Mariam Togola, une de ses amies a été victime, il y a quelques semaines, d’une morsure de serpent au cours d’un de ces voyages.
La plupart d’entre elles se débrouillent pour soutenir leur famille, confie la vielle dame. Beaucoup parmi les vendeuses sont des veuves ou divorcées qui subviennent aux besoins de leurs enfants.
M.TOURÉ
Source: Journal l’Essor-Mali