Le trou dans lequel les précédentes équipes gouvernementales ont enfoncé le pays est très profond. Ainsi, une contribution de tous à travers des propositions concrètes est plus que jamais nécessaire pour relever les défis d’ordre social, sécuritaire et politique. Ici, l’ancien Premier Ministre Moussa Mara livre une analyse pointue et pleine de voies de sortie de crise pour le Gouvernement dit de mission de Dr Boubou Cissé.
Analyse tenant lieu d’un appel à la libération des détenus par manque de justice. Appel lancé en premier lieu au Chef du Département en charge de la justice, Me Malick Coulibaly. Bref, lisez la note que l’auteur même avait titré : ‘’Pour donner confiance aux Maliens : La force des symboles !’’.
« La signature de l’accord politique de Gouvernance, la mise en place du Gouvernement d’ouverture avec à sa suite la définition d’un plan de marche de cette équipe avec la fixation d’une période d’action sont des signes positifs en vue de la mobilisation de nos compatriotes et de la réalisation d’une unité sans laquelle rien ne sera possible pour le Mali.
Tout cela est intéressant et le calme relatif dans lequel le pays baigne laisse penser que les Maliens ne sont pas hostiles à ce qui se passe, ou à tout le moins qu’ils sont dubitatifs et attendent. Ce qui est également bon signe. Toutefois, il ne faut pas se satisfaire de ce calme apparent, car aucun de nos problèmes n’a disparu.
Les attaques contre les militaires à Guiré, la tuerie de Hèrèmakono ou encore des préavis de grève annoncés montrent que l’ensemble des défis auxquels le pays fait face sont encore prégnants. Il ne faut pas non plus estimer que tout sera résolu par le Dialogue National en cours de préparation.
Le Gouvernement devrait se convaincre qu’au-delà du Dialogue qui va être mis sur les rails, il faudra absolument rassurer les Maliens et leur montrer qu’il est résolu à s’attaquer aux maux profonds qui minent notre pays. Cela passe par l’engagement de mesures lourdes et d’actions significatives qui sont, par nature, longues à organiser. Cela passe aussi par des initiatives symboliques capables de frapper les esprits et de convaincre les sceptiques que des choses sont en train de bouger.
C’est à ces mesures symboliques qu’il convient de songer rapidement pour accompagner le petit vent de renouveau qu’annonce le Gouvernement d’ouverture du 5 mai 2019. Le symbole a l’avantage de la simplicité et donc de l’intelligibilité par une bonne partie du peuple s’il est accompagné par une stratégie de communication appropriée. Il a quelquefois des portées financières, mais son propre est qu’il annonce une intention, indique une destination et ouvre des perspectives pour la collectivité.
Il ne faut pas sous-estimer la force des symboles et de nombreux leaders ont régulièrement recours à cette approche pour annoncer des jours nouveaux dans leur pays. C’est exactement ce qu’il faut retenir de la récente utilisation d’un vol commercial par le Président de la République sénégalaise pour se rendre en France. Dans cet acte, on peut déceler l’intention du Chef qui se veut humble, vivant avec les réalités de ses compatriotes, proche de ses administrés.
On peut aussi identifier le chef qui annonce la fin des fastes, des dépenses inconsidérées et des pratiques d’une élite peu soucieuse des difficultés des populations. Enfin derrière ce geste on peut noter le message d’un leadership sacrifiant son confort et orienté vers l’efficacité au service de son pays.
De nombreuses mesures symboliques peuvent ainsi être envisagées rapidement, pour annoncer le changement, notamment au niveau de ceux qui dirigent et de ceux qui servent le pays et les Maliens.
En premier lieu, il faut simplifier et réduire le train de vie de l’État, revoir à la baisse les conditions des voyages des membres de l’administration, du gouvernement et des autres corps de l’État, réduire les protocoles et les fastes de la République, éliminer le tapis rouge et inscrire ces changements dans une dynamique plus large. Le contexte économique et financier difficile sied à ces mesures.
Dans cette veine, nous devons limiter les missions, utiliser les vidéos-conférences, les conférences téléphoniques passant par les réseaux sociaux et donc presque gratuits pour faire travailler les services au-delà des distances. Il faut revoir les consommations d’électricité et de téléphone en systématisant le système de prépaiement dans les administrations.
À un autre niveau, l’amélioration de la distribution des intrants, en cette veille de campagne agricole, serait bien perçue, surtout si elle est accompagnée par la sanction de certaines mauvaises pratiques.
Nos autorités doivent se rapprocher des militaires et des forces de sécurité qui paient le prix de la lutte contre le terrorisme. Nous devons mieux vivre leurs réalités, les connaitre pour travailler à améliorer leurs conditions et leur moral en continu. Nous devons rendre hommage à chaque soldat qui perd la vie et soigner promptement les blessés. Nous devons créer autour de nos forces un élan de solidarité nationale à toute épreuve. Nous devons également sanctionner tout mauvais comportement parmi eux, surtout si cela est fait au détriment des citoyens qu’ils sont censés défendre.
La rationalisation de l’utilisation des moyens de l’État (véhicules, logements…) est synonyme d’économie, mais aussi et surtout envoie le message des élites conscientes de leurs responsabilités et prêtes à cesser les abus.
Il faut rapidement promouvoir le « made in Mali », partout, et l’encourager systématiquement. Des initiatives ont été prises par le passé. Il convient de les appuyer dans la perspective de l’obtention des résultats concrets et porter cela à la connaissance de nos compatriotes. L’exemple du Chef de l’État du Burkina Faso et de son Gouvernement est à méditer à ce titre.
Au chapitre de la justice, nous devons impérativement libérer les prisonniers n’ayant rien à faire dans l’univers carcéral. Sur un effectif supérieur à 2 300 prisonniers à la Maison d’arrêt de Bamako, il y a plus de 1500 personnes qui sont en détention provisoire, certaines depuis plusieurs années, totalement oubliées par la justice !
Il y en a tout autant dans les autres centres de détention du pays. Nombre parmi elles, sont en prison pour des motifs fantaisistes, d’autres, pour des infractions dont les peines sont nettement moins longues que la durée déjà consommée de leur détention provisoire. Cette réalité dramatique de nos structures carcérales contraste scandaleusement avec une autre réalité, celle des crimes économiques qui ne font jamais l’objet de jugement. Autrement dit, plus on vole et moins on est inquiété ! Il faut casser cette réalité et ce serait là le symbole le plus illustratif du changement que le nouveau Gouvernement pourrait donner à l’opinion. Sur les centaines de dossiers pendants devant le pôle économique, il faut organiser rapidement quelques procès retentissants afin de convaincre les Maliens qu’un nouvel ordre est possible.
Le champ des actions symboliques porteuses de messages est vaste. Dans tous les secteurs, des mesures concrètes et symboliques peuvent être envisagées le plus tôt possible pour porter le message du renouveau et accroître la confiance à l’égard des autorités. C’est dans cette optique qu’il convient de demander à chaque Ministre d’identifier deux ou trois initiatives fortes et symboliques de son domaine à conduire dans les deux ou trois mois à venir.
Ces actions seront ainsi accompagnées par une stratégie de communication qui rendra leur symbolique et leur portée accessibles à l’ensemble des Maliens. Pour qu’ils se convainquent, progressivement, que, par petites touches, le Gouvernement est à leur écoute et à leur service, prêt à se sacrifier pour ce faire. Qu’ils se convainquent que ceux chargés de les représenter et de leur rendre des services se mettent enfin à la hauteur de leur charge historique.
Il n’y aura pas de bouleversement immédiat dans les rapports entre les Maliens et leur leadership, mais un frémissement positif peut ouvrir des perspectives pour les autorités. Cela accroitra leur marge de manœuvre pour traiter les dossiers les plus compliqués et leur donnera des munitions supplémentaires afin de persuader nos compatriotes de faire des efforts au moment où cela leur sera demandé.
Moussa MARA
NB : Les titres et le chapeau introductif sont de notre Rédaction
Source : Le Combat