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Gouvernance au Mali Démocratie ou danse du Moriba-Yassa ?

Plus de 30 ans après l’avènement de la démocratie dans notre pays, son exercice ressemble à l’invocation d’une divinité ou de l’esprit des ancêtres comme Moriba et Yassa qu’on range dans les placards après la réalisation d’un vœu. Nous sommes encore loin de faire nôtre cette citation de Voltaire : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’au bout pour que vous puissiez le dire. »

De son avènement à nos jours, la crise d’adolescence de la démocratie malienne perdure. Faute d’éducation de masse en la matière et d’éthique, elle est devenue, au fil du temps, un casse-tête, non seulement pour les acteurs de la vie publique victimes de dérapages linguistiques, mais aussi pour la population menacée de musellement au gré des évènements pour leur opinion. Pour une large partie de l’opinion nationale, la démocratie s’apparente au rituel circonstanciel du Moriba-Yassa pour conjurer un mal et non une pratique quotidienne avec comme objectif l’instauration d’un Etat de droit. Dans la mémoire collective, Moriba et Yassa symbolisent un miracle divin. Ayant longtemps vécu dans le dénuement le plus total, ce couple eu une fin heureuse à l’abri du besoin. Ce changement miraculeux a, depuis la nuit des temps, inspiré les personnes confrontées à des situations désespérées. A travers l’esprit du couple, les personnes plongées dans des difficultés résistant à la science et à la technique, sollicitent l’assistance de Dieu. Même si le recours à l’esprit de Moriba et Yassa a perdu son ampleur avec l’islamisation, leur invocation est toujours pratiquée dans de nombreux milieux.  Quel lien y a-t-il entre ce mythe et la démocratie ? peut-on se demander. A priori, rien. Mais dans la pratique, la ressemblance est troublante et suscite des interrogations qui méritent une attention particulière. Dans les périodes difficiles, l’esprit de Moriba et Yassa est invoqué après satisfaction, puis il est rangé au fond des tiroirs jusqu’à l’avènement d’une situation qui nécessite de nouveau son invocation. Le secours à la démocratie, devenu circonstanciel et orienté à dessein dans notre pays, rappelle étrangement le rituel du Moriba-Yassa…

En effet, depuis son avènement, la démocratie malienne ne retrouve ses lettres de noblesse que pour justifier une cause, une quête, une revendication, ou pour s’opposer à une situation voire une disposition légale devenue encombrante. Après l’atteinte des objectifs, Dame démocratie est rangée dans les tiroirs comme l’esprit de Moriba et Yassa.

Loin d’être une quête permanente et un comportement de tous les jours, la démocratie malienne semble se résumer à un usage circonstanciel sous-tendu par moult interprétations des concepts de l’Etat de droit, du peuple et de la souveraineté. Faute du respect des principes démocratiques au quotidien par les uns et les autres, la rue est devenue l’endroit privilégié pour régler les dissensions sociopolitiques sur fond de violences verbales et physiques. Une fois l’objectif atteint, le sursaut patriotique et la volonté de donner un sens à la démocratie se dissipent comme par enchantement. Et les anciennes habitudes et pratiques peu orthodoxes reviennent au galop avec leurs cortèges d’injustices sociales, de corruption, d’absentéisme, de compromissions politiques assorties de manipulations de tous genres dans une indifférence quasi générale. La quête d’une gouvernance vertueuse et l’instauration d’un Etat de droit ne sont-elles que des appâts pour mobiliser la foule pour une cause ? Les grandes mobilisations populaires pour dénoncer les massacres à Ogossagou,  pour s’opposer au nouveau programme scolaire, ainsi que celles qui ont été à l’origine de la chute du régime IBK, illustrent le caractère éphémère des actions initiées au nom de la démocratie pour améliorer la gouvernance et raffermir l’Etat de droit. La suite réservée aux grandes manifestations populaires qui ont parfois donner l’illusion d’une revitalisation de l’aspiration à la démocratie de la population malienne, rappelle, à bien des égards, celle de l’invocation de l’esprit de Moriba – Yassa qui ne réapparaît qu’en cas de besoin vital.  Au regard de la pratique démocratique instaurée et entretenue par élites et leaders d’opinion, y a-t-il besoin de chercher une autre cause aux maux qui rongent le pays ?

Epurée de sa substance, la démocratie pratiquée dans notre pays est loin de combler les attentes. Au fil du temps, elle est devenue une source d’angoisse, d’incertitudes et de précarité sur fond d’instabilité sociopolitique chronique. Tensions sociopolitiques, mécontentement permanent, recrudescence de l’insécurité, éternelle paupérisation de la population, coups d’Etats répétitifs… sont, entre autres, les conséquences d’une pratique démocratique constamment adaptée aux besoins individualistes au détriment de l’intérêt général.

Mieux vaut tard que jamais. Pour mettre le pays à l’abri des conséquences d’une démocratie galvaudée, le mouvement démocratique, pour ce qui en reste, doit plus que jamais assurer le service après-vente qu’il a toujours évité. Face au désaveu grandissant dont la démocratie fait l’objet, l’exécution du service après-vente est une mission de la plus haute importance pour les démocrates dont les agissements ont terni l’image de la démocratie auprès de l’opinion nationale. La restauration des valeurs de la démocratie et sa réconciliation avec l’opinion nationale dans notre pays sont à ce prix !

Bakary Sangaré

 

 Source: journal les échos Mali

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