Au regard du peu d’intérêt que le Qatar a jusqu’ici réservé à l’Afrique en général et à celle au sud du Sahara en particulier, la tournée ouest-africaine que l’émir Cheikh Tamim ben Hamad al-Thani a commencée hier à Dakar et qui devrait le conduire dans 5 autres pays de la sous-région, a des allures d’une petite révolution diplomatique. En effet, si la quasi-totalité des Etats africains rêvent de rentrer dans les bonnes grâces de ce petit émirat du Golfe, devenu une puissance à sa façon, la réciproque n’a pas toujours été évidente. Très porté sur un capitalisme financier de pointe, le Qatar a jusqu’ici surtout misé sur l’Europe, l’Amérique latine et dans une certaine mesure le Maghreb avec lequel il a une certaine communauté de culture. Quant à l’Afrique noire, à l’exception notable de l’Afrique du sud et du Nigéria, les diplomates qataris, à l’image d’autres partenaires du continent, faisaient preuve d’une certaine méfiance en raison d’une perception empreinte de quelques appréhensions : corruption, pauvreté, risques sécuritaires, investissements risqués, etc. Mais subitement, Doha transcende toutes ces craintes et se met à courtiser le continent africain. On a des raisons de penser que la crise avec l’Arabie Saoudite et l’embargo qui en a résulté y sont pour beaucoup.
Pour rompre l’isolement
Ce n’est donc pas pour ses prétendus beaux yeux que le Qatar se rappelle si subitement aux bons soins de l’Afrique. De bonnes affaires, ce n’est pas non plus le résultat que l’émir attend de la tournée qui, de Dakar, le conduira respectivement à Bamako, Conakry, Ouagadougou, Abidjan et Accra. Les raisons de ce déplacement résident dans le besoin que le Qatar a de rompre l’isolement dans lequel il se trouve depuis le début de la crise avec l’Arabie Saoudite, en juin dernier. D’autant que dans la foulée, les Emirats arabes unies, Bahrein et l’Egypte avaient, eux aussi, rompu les relations diplomatiques avec le Qatar, accusé d’être de mèche avec les terroristes. Côté africain, le Sénégal, le Niger et le Tchad avaient aussi rappelé leurs ambassadeurs basés à Doha. Toutes choses de nature à contrarier les ambitions expansionnistes de l’Emirat qui, avec d’une part Al-Jazeera et de l’autre, le fonds d’investissement, Qatar Investment Authority, avait tendance à séduire du monde. Pour donc se sortir de cette impasse diplomatique, les autorités qataries, faisant dans le réalisme, sortent la grande artillerie. Ainsi, non seulement, ce sont six pays qui seront foulés par l’émir lors de ce déplacement, mais en plus, il pourrait s’intéresser à des secteurs auxquels son pays n’avait réservé que très peu d’attention.
Question d’intérêts
En effet, par le passé, dans les quelques rares pays africains qui ont su convaincre les investisseurs qataris, cela a essentiellement tourné autour du pétrole, de l’énergie, des mines, du tourisme et de l’agriculture. Or, cette fois, on annonce des accords de coopération touchant aux secteurs sociaux de la santé, de l’éducation et de la sécurité alimentaire. Ainsi, au Burkina Faso, nous dit-on, le Qatar va participer au financement d’un hôpital dédié à la lutte contre le cancer, à hauteur de plus de 11 millions d’euros. C’est dire que la crise au Golfe n’est pas nécessairement une mauvaise chose pour l’Afrique. Encore que cette dernière devra être à la hauteur. Comme avec tous les autres partenaires, qu’ils soient occidentaux ou asiatiques, il convient de retenir qu’il n’y a rien de sentimental. Tout se joue toujours sur la base des intérêts. Et c’est aux Africains de faire valoir les leurs, maintenant que la roue a quelque peu tourné. Autrement, la donne peut vite changer…
Boubacar Sanso Barry