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Génocide au Rwanda : une note confidentielle contredit la version française

De l’attentat contre le président rwandais Habyarimana aux ventes d’armes illégales, la cellule investigation de Radio France et Mediapart révèlent de nouveaux éléments sur le génocide contre les Tutsis, qui a fait près d’un million de morts, à l’été 1994.

Le Falcon 50 qui transporte le chef de l’Etat rwandais, Junéval Habyarimana, et son homologue burundais, est en phase d’approche.

Le président Habyarimana, vient de conclure, la mort dans l’âme, un accord politique en Tanzanie avec les rebelles tutsis du Front patriotique rwandais (FPR), dirigé par Paul Kagamé, l’actuel président rwandais. Contre l’avis des extrémistes hutus, alliés du président Habyarimana.

Soudain, deux missiles déchirent l’obscurité. L’un d’entre eux fait mouche et abat l’avion présidentiel. Quelques minutes plus tard, les massacres de masse contre les Tutsis se déchaînent.

L’attentat contre l’avion du président Habyarimana a servi de déclencheur à un génocide préparé de longue date par les extrémistes hutus du régime qui veulent éliminer les Tutsis. Depuis cette date, deux thèses s’affrontent au sujet de cet attentat : l’une privilégie la responsabilité du FPR, l’autre celle des extrémistes hutus.

Une note de la DGSE restée dans l’ombre

Du côté des responsables politiques et militaires français de l’époque, c’est la première hypothèse qui a toujours été mise en avant.

Ainsi, dès le 7 avril 1994, le chef d’état-major particulier du président François Mitterrand, le général Christian Quesnot, écrit dans une note adressée au chef de l’État : “L’hypothèse vraisemblable d’un attentat du FPR devra être confirmée par l’enquête.”

Vingt-cinq ans plus tard, l’état d’esprit des décideurs politiques et militaires n’a guère changé. Lorsqu’en février 2017, l’hebdomadaire Le 1 demande à l’ancien secrétaire général de l’Elysée (de mai 1991 à mai 1995), Hubert Védrine, s’il est “convaincu de la culpabilité de Kagamé dans l’attentat contre l’avion”, ce proche de François Mitterrand répond : “En 1995, on n’en savait rien. Avec les années, ma conviction s’est renforcée que c’est probablement Kagamé.”

Les services de l’État ne savaient-il vraiment “rien”, à l’époque, sur cet attentat ? Les éléments auxquels ont eu accès la cellule investigation de Radio France et Mediapart démontrent le contraire. La DGSE (les services extérieurs de renseignement français) a multiplié les notes destinées au sommet de l’État jugeant la piste des extrémistes hutus comme “la plus plausible”.

C’est ce qu’on peut notamment constater dans une note de la DGSE, jamais dévoilée jusqu’ici.

Cette note estampillée “Confidentiel Défense” et datée du 22 septembre 1994 a été déclassifiée par le ministre de la Défense, le 17 septembre 2015, dans le cadre de l’enquête des juges Marc Trévidic et Nathalie Poux sur l’attentat contre le président Habyarimana.

Ce document du renseignement français désigne deux extrémistes du régime, “les colonels [Théoneste] Bagosora, ancien directeur de cabinet du ministre de la Défense, et [Laurent] Serubuga, ancien chef d’état-major des Forces armées rwandaises (FAR), comme les principaux commanditaires de l’attentat du 6 avril 1994”.

“Le haut degré de préparation de cette opération”

“Le 12 juillet 1994, le Service [la DGSE] avait déjà émis une hypothèse qui, deux mois plus tard, lui semble toujours la plus plausible”, insistent les espions français dans cette note, à savoir la responsabilité des “ultras” hutus dans l’attentat, désireux d’éliminer un président rwandais jugé trop conciliant avec le FPR de Paul Kagamé.

Les agents français reviennent sur le parcours du colonel Bagosora, considéré comme l’un des “cerveaux” du génocide des Tutsis (condamné à la prison à vie puis à 35 ans de détention, en appel, par le Tribunal pénal international, et de l’ancien chef d’état-major des armées, Laurent Serubuga, autre acteur clé du génocide, qui s’installe en France dans les années 90.

“Tous deux natifs de Karago, à l’instar du défunt président Habyarimana, [Théoneste Bagosora et Laurent Serubuga] se sont longtemps considérés comme les héritiers légitimes du régime”, écrit ainsi la DGSE. “Leur mise à la retraite, prononcée en 1992 par le président Habyarimana, alors qu’ils espéraient obtenir le grade de général, avec les privilèges afférents, a été à l’origine d’un lourd ressentiment et d’un rapprochement remarqué auprès de Mme Agathe Habyarimana, veuve du président et considérée souvent comme l’un des principaux cerveaux de la tendance radicale du régime.”

“Cette opération [l’attentat contre l’avion du président Habyarimana] aurait été préméditée de longue date par les extrémistes hutus”, poursuit le renseignement français. “L’assassinat de ministres de l’opposition modérée et de Tutsis, moins d’une demi-heure après l’explosion du Falcon présidentiel, confirmerait le haut degré de préparation de cette opération.”

“Un complot politique soigneusement préparé”

Ce n’est pas la première fois que la DGSE alerte ainsi le sommet de l’État.

Dès le 13 février 1993, les agents du renseignement français évoquent, dans une note, un “vaste programme de purification ethnique dirigé contre les Tutsis, dont les concepteurs seraient des proches du chef de l’État.”

Le 8 avril 1994, soit deux jours après l’attentat contre l’avion du président Habyarimana, le renseignement extérieur écrit que “les évènements actuels sont à replacer dans un contexte d’affrontement entre Hutus du nord et Hutus du sud”, avec “la possibilité d’un complot politique organisé et soigneusement préparé, comme le montre l’exécution de l’attentat, relativement complexe sur le plan technique”.

Le 11 avril 1994, la DGSE estime que les missiles qui ont abattu l’avion présidentiel provenaient “de la bordure du camp militaire de Kanombe”, contrôlé par la garde présidentielle. Les espions français écartent donc, a priori, la responsabilité du FPR dans l’attentat : “l’hypothèse selon laquelle ces roquettes pourraient avoir été tirées par des éléments armés du Front patriotique rwandais (FPR) n’est pas satisfaisante”, analyse la DGSE. “Pour pouvoir approcher de l’aéroport, il est nécessaire de franchir plusieurs barrages militaires et la zone est strictement interdite aux civils. Par ailleurs, des patrouilles de gendarmes et de soldats de la Mission d’assistance des Nations unies (MINUAR) quadrillent le terrain. Les roquettes semblent donc avoir été tirées par des personnels bien entraînés et se trouvant déjà dans le périmètre de sécurité de l’aéroport.”

Les expertises menées par les juges Trévidic et Poux confirment, en 2012, que la “zone de tir la plus probable” d’où sont partis les missiles se situe sur le “site de Kanombe”, quartier général de la garde présidentielle.

L’enquête sur l’attentat contre l’avion du président Habyarimana s’est conclue par un non-lieu, en décembre 2018.

La piste des “faucons du régime”

La teneur de ces notes du renseignement français est confirmée par celles des espions belges.

Ainsi, dès le 7 avril 1994, le Service général du renseignement belge (SGRS) estime que “les auteurs du tir sur l’avion ne seraient pas nécessairement le FPR qui est sur sa colline, mais pourraient bien être des militaires qui ne veulent pas la paix”.

Le 12 avril, le renseignement belge écrit qu’”au Rwanda, chacun pense que c’est le colonel Bagosora qui est responsable de l’attentat contre l’avion présidentiel”, ce que confirme, le 15 avril, un informateur du service belge pour qui “ce serait le colonel Bagosora qui se trouve derrière l’attentat contre l’avion présidentiel”.

Le 19 avril 1994, le renseignement militaire belge écrit, à nouveau, que “les accusations qui rendent le FPR responsable de l’attentat sont peu vraisemblables”, privilégiant plutôt la piste des “faucons du régime”.

“Des affaires de terreur et d’argent”

Une piste des extrémistes hutus confirmée, à l’époque, par l’ancien gouverneur de la Banque nationale du Rwanda, Jean Birara.

Dès le 26 mai 1994, ce dernier détaille aux enquêteurs militaires belges comment les extrémistes hutus regroupés autour du colonel Bagosora ont fomenté, selon lui, un “complot” contre le président Habyarimana qui “semblait décidé, cette fois-ci, à appliquer les accords d’Arusha”, c’est-à-dire les négociations politiques aboutissant au partage du pouvoir avec le FPR.

Selon Jean Birara, c’est le colonel Bagosora “qui a pris la décision d’abattre l’avion du président” Habyarimana, en accord avec sa belle-famille.

Le 22 avril 1994, le renseignement belge estime que “tout fait croire maintenant que les auteurs [de l’attentat] font bien partie de la fraction dure des Ba-Hutus à l’intérieur de l’armée rwandaise. […] Ce groupe gravitait dans l’orbite de Madame la présidente dont les frères et cousins étaient devenus hauts dignitaires du régime. Ils avaient trempé dans des affaires de terreur et d’argent et il était impensable pour eux de renoncer à leurs privilèges et passe-droits.”

Les “grandes oreilles” américaines

L’analyse est la même, du côté des États-Unis, qui soutiennent alors Paul Kagamé.

Ainsi, selon une note déclassifiée datée du 7 avril 1994 du Bureau of Intelligence and Research (l’agence de renseignement du département d’État américain) que nous avons pu consulter, une source (dont l’identité n’a pas été rendue publique) “indique à l’ambassadeur David Rawson que des militaires extrémistes Hutus (qui pourraient appartenir à la garde présidentielle) sont responsables de l’attentat contre l’avion qui transportait les présidents rwandais Habyarimana et burundais Ntaryamira”.

Dans un mémorandum déclassifié adressé le 8 avril 1994 au secrétaire américain à la Défense, on peut lire, à nouveau, cette phrase : “Les extrémistes Hutus ont probablement abattu l’avion du président.”

Hubert Védrine : “Il y avait des tas de notes”

Contacté au sujet de cette note de la DGSE du 22 septembre 1994 concernant la responsabilité des extrémistes hutus dans l’attentat contre l’avion du président Habyarimana, l’ancien secrétaire général de l’Elysée, Hubert Védrine nous fait la réponse suivante : “C’est bien possible. Il y avait des tas de notes d’origines diverses envisageant les deux hypothèses [le FPR et les extrémistes hutus]. Dans tous les cas, les auteurs [de l’attentat] voulaient casser la logique d’Arusha : le compromis politique imposé par la France.”

De son côté, l’avocat de la veuve du président Habyarimana, Philippe Meilhac, considère le contenu de cette note comme “totalement anachronique”, considérant que “la piste du Front patriotique rwandais a finalement été la seule retenue par le rapport de la mission parlementaire puis les juges d’instruction français”.

 

80 tonnes d’armes en plein génocide

L’ombre de Théoneste Bagosora, parfois surnommé “le Himmler du Rwanda”, on la retrouve également dans le cadre de l’enquête ouverte en septembre 2017 contre la banque BNP Paribas, pour complicité de génocide et complicité de crimes contre l’humanité, suite à la plainte des associations Sherpa, le Collectif des parties civiles pour le Rwanda et Ibuka. Une instruction menée par les juges français Alexandre Baillon et Stéphanie Tacheau.

La banque est soupçonnée d’avoir contribué au financement d’un achat illégal d’armes à destination du Rwanda, en juin 1994, deux mois après le déclenchement du génocide. Et cela malgré un embargo sur les armes voté par les Nations unies, un mois plus tôt. Quatre-vingts tonnes d’armes auraient ainsi été livrées depuis les Seychelles, jusqu’à Goma, au Zaïre, à proximité de la frontière rwandaise.

Le 10 novembre 2005, devant le Tribunal pénal international, Théoneste Bagosora reconnaît la réalité de ces livraisons d’armes, effectuées depuis les Seychelles, par deux rotations d’avions. “Quand j’étais encore aux Seychelles, dans la période du 4 au 19 [juin], il y a un envoi, un avion qui vient aux Seychelles, témoigne ainsi Théoneste Bagosora devant le TPIR. Je le charge, armes et munitions, il va à Goma. Moi, je reste aux Seychelles, je ne pars pas avec. […] Il revient pour le deuxième tour (à ce moment-là, j’ai été “dépisté” par la CIA), je le charge. Et je pensais que je pouvais rester encore pour le troisième tour. Un autre courtier, qui était [bien] renseigné me dit : ‘Si vous ne partez pas avec cet avion, on va vous arrêter.’ Donc je suis rentré, avec l’avion. Le deuxième tour de l’avion, le 19 [juin], j’arrive à Goma, on décharge sur place. Je continue à Kinshasa avec l’avion vide. Les munitions vont être récupérées par le Rwanda après.”

Le juge Baillon a tenté, en vain, d’entendre l’ancien “cerveau” du génocide, actuellement détenu au Mali. Les autorités maliennes lui font cette réponse, le 14 février 2018 : “Théoneste Bagosora a indiqué qu’il ne souhaitait pas évoquer ce dossier avec nous, ni être entendu par le magistrat français, et qu’il ne répondrait pas à ses questions.”

Le compte CHEATA en pleine lumière

Mais les flux financiers parlent à sa place.

Pour l’aider à acheter des armes, en plein embargo, le colonel Bagosora peut compter sur un sulfureux intermédiaire sud-africain : Petrus Willem Ehlers. Cet ancien secrétaire particulier de Pieter Willem Botha (Premier ministre d’Afrique du Sud de 1978 à 1984 puis président de 1984 à 1989 durant l’apartheid), joue un rôle clé dans cette livraison d’armes illégales, grâce à un compte bancaire suisse ouvert le 14 octobre 1993.

Les commissions rogatoires lancées par les juges français auprès des autorités suisses ayant enquêté sur le sujet dans les années 90 établissent de manière formelle que Petrus Willem Ehlers a bien utilisé son compte (baptisé CHEATA) à l’Union bancaire privée (UBP) à Lugano, en Suisse, afin de recevoir l’argent correspondant à ces achats d’armes. Comme le montre la documentation fournie par l’UBP, le 14 juin 1994, le compte de l’intermédiaire sud-africain est crédité de 592 784,21 dollars, provenant de la Banque nationale du Rwanda (BNR).

Deux jours plus tard, le 16 juin 1994, le même compte est crédité de 734 099,87 dollars. De l’argent ensuite transféré sur un compte de la Banque centrale des Seychelles.

Des relevés bancaires fournis aux autorités suisses par l’UBP de Lugano démontrent également que la Banque nationale de Paris (BNP) a bien validé ces deux paiements sur lesquels enquête aujourd’hui la justice française.

Contactée, BNP Paribas n’a pas souhaité réagir. Lorsque nous avions sollicité la banque en septembre 2017, lors de l’ouverture de l’information judiciaire, elle nous avait fait la réponse suivante : “Il s’agit de la suite mécanique et obligatoire dans le cadre d’un dépôt de plainte de ce type. Cela ne constitue en aucun cas un développement nouveau. Ce sont des faits très anciens datant de 1994. La banque informe qu’elle n’a pas eu communication de la plainte annoncée par voie médiatique, et qu’elle n’en connait donc pas la substance. Dans ces conditions, il n’est pas possible de commenter plus avant.”

Du “poisson frais” pour masquer des caisses d’armes

Dans un courrier adressé à son responsable juridique, le 8 octobre 1996, le gestionnaire du compte du courtier en armement Petrus Willem Ehlers écrit : “Nous avons pu constater qu’il s’agissait d’une transaction commerciale ‘à l’africaine’. […] [Le compte] CHEATA a opéré comme intermédiaire dans une vente de baraques préfabriquées entre l’Afrique du Sud et le Zaïre d’un côté, et l’achat de poissons frais entre les Seychelles et le Zaïre.”

En réalité, il ne s’agit nullement de “poissons frais”, comme l’affirme à son gestionnaire de compte l’intermédiaire sud-africain… mais bien de 80 tonnes d’armes.

Ainsi, lorsque le responsable de la fiduciaire Gemarfin, Adriano Sala, qui gère le compte de Petrus Willem Ehlers, est interrogé par la police cantonale suisse, le 4 décembre 1996, il dit tout ignorer de la véritable contrepartie de ces flux financiers : “En 1994, lors de mes relations d’affaire avec M. Ehlers, je n’ai jamais eu le moindre soupçon qu’il pouvait s’agir en fait d’un trafic d’armes, explique Adriano Sala. Les fournitures de poisson pouvaient éventuellement masquer ce commerce d’armes.”

Le “bras financier” des génocidaires

Afin de mieux éclairer le contexte dans lequel s’est effectué cet achat d’armes, et d’évaluer la connaissance de BNP Paribas sur les risques d’une telle transaction financière, à l’époque, les magistrats français ont également entendu Jacques Simal.

Cet ancien responsable de la BBL (Banque Bruxelles Lambert), a été détaché à la Banque commerciale du Rwanda (BCR) jusqu’en avril 1994, avant de rentrer en Belgique pour diriger “la cellule de crise” de la banque avec le Rwanda. Son témoignage est éclairant.

Jacques Simal raconte comment les extrémistes hutus ont cherché par tous les moyens à mettre la main sur de l’argent frais, après le déclenchement du génocide, notamment par le biais du gouverneur de la Banque nationale du Rwanda. La même banque utilisée en juin 1994 pour acheter 80 tonnes d’armes, livrées depuis les Seychelles… “Le gouverneur [de la Banque nationale du Rwanda] était une personne très impliquée politiquement avec le pouvoir, je pense à tendance Hutu power [les extrémistes hutus], ce sont des choses que l’on m’a dites à l’époque, explique Jacques Simal au juge Alexandre Baillon qui s’est déplacé en Belgique, le 6 février 2018. Il est à l’origine de tentatives de prélèvements de fonds à la BCR [Banque commerciale du Rwanda] au profit de la banque nationale. Il avait exigé que tous les fonds des banques privées soient rapatriés à la BNR puisqu’en fait, concrètement, le gouvernement intérimaire [soutien des génocidaires] estimait que la BNR était son bras financier. La BNR considérait que les devises détenues par les banques privées lui appartenaient. Pour ma part, je me suis opposé à ces tentatives de prélèvements, à partir du moment où j’agissais à Bruxelles.”

À la poursuite des traveller’s cheques

Parallèlement aux tentatives de prélèvements de fonds de la Banque nationale du Rwanda, les extrémistes hutus tentent par tous les moyens de récupérer des traveller’s cheques, ou chèques de voyages.

“Je sais qu’une expédition a été exécutée par l’armée rwandaise à partir de Gitarama vers Kigali, témoigne encore Jacques Simal. Ils ont voulu aller dans la banque pour prendre des fonds. Ils ont pris quelques liquidités, des malles dans lesquelles se trouvaient des traveller’s cheques. (…)  Quand la BBL [Banque Bruxelles Lambert] a appris ça, il a été décidé de fermer la BCR [Banque commerciale du Rwanda] et de bloquer tous ces traveller’s cheques. Ils estimaient que cela contribuait à l’effort de guerre. Un message SWIFT a été envoyé au niveau mondial signalant que plus aucune transaction ne pouvait être acceptée de la banque BCR.”

“Un besoin crucial d’argent”

L’embargo sur les armes décidé par les Nations unies, en mai 1994, ne fait que renforcer l’attitude de fermeté de la banque belge. “Dès l’instant où il y a eu cet embargo, il y a eu une réunion au niveau du MAE [ministère des Affaires étrangères] belge pour les aviser des conditions d’application de cet embargo, affirme Jacques Simal. Quand le secrétaire général est rentré de réunion, il nous a communiqué les directives pour qu’aucun transfert de fonds suspects à la demande du Rwanda ne soit exécuté.”

Interrogé une première fois par les enquêteurs belges le 5 août 2004, l’ancien responsable de la BBL avait déjà déclaré : “Le gouvernement rwandais avait un besoin crucial d’argent. Bien que la raison n’ait jamais été évoquée très clairement, il était évident pour tout le monde qu’ils devaient acheter des armes et des munitions. […] Je me rappelle même que pour forcer la BBL [Banque Bruxelles Lambert], le gouvernement rwandais a envoyé des émissaires pour nous convaincre de libérer des fonds.”

Amiral Lanxade : “Pour moi, il ne s’est rien passé”

Interrogé le 28 janvier 2019 par la cellule investigation de Radio France et par Mediapart sur ces livraisons d’armes, l’ancien chef d’état-major des armées (d’avril 1991 à septembre 1995), l’amiral Jacques Lanxade, affirme n’en avoir “jamais” eu connaissance :

“C’est un sujet qui n’est jamais venu en discussion au conseil restreint [de Défense, à l’Élysée], affirme Jacques Lanxade. Pour une raison simple : les livraisons d’armes étaient interdites par l’embargo décrété par les Nations unies. Pour le chef d’état-major français, que j’étais, il ne s’est rien passé, en tous cas, pas sous mon autorité. Les livraisons d’armes peuvent passer par différents canaux. Les livraisons d’armes, reconnues par la France l’ont été par le canal du ministère de la Coopération, à l’époque, qui n’était pas sous l’autorité du ministre de la Défense, ni du chef d’état-major des armées.”

Mais comment l’armée française, qui contrôlait l’aéroport de Goma, a pu laisser passer 80 tonnes d’armes, en juin 1994, en plein embargo des Nations unies ? 

“Nous ne contrôlions qu’une partie de ce terrain d’aviation, pour nos propres besoins, qui étaient des besoins militaires. Nous n’avons pas “chassé” les zaïrois sur ce terrain. Libre à eux de faire ce qu’ils voulaient, dans le cadre des autorisations qu’ils avaient. De toute façon, il n’y avait pas un flux d’armes qui transitait par l’aéroport de Goma.”

Donc 80 tonnes d’armes débarquent à Goma, en juin 94, et vous ne les voyez pas ?

“Ça ne me paraît pas impossible. Il n’y a aucune preuve, il y a peut-être des armes qui sont passées, je n’en sais rien. Je ne peux pas vous répondre là-dessus. Mais je peux vous dire que les forces armées françaises n’ont rien à voir avec ça.”

À partir de l’embargo, vous n’avez pas concentré votre attention sur le fait qu’il pouvait y avoir des armes en circulation ?

“Non, on ne s’est pas posé cette question parce que notre mission n’était pas celle-là. Notre mission c’était d’arrêter les massacres.

franceinter

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