Inculpé depuis le 14 février 2014 par le juge Yaya Karembé, magistrat en charge de l’instruction de la désormais tristement célèbre affaire dite des «bérets rouges», le Général Sidi Alassane est encore maintenu en détention. Au lendemain de cette arrestation, et après une enquête minutieusement menée, nous avions exprimé dans ces mêmes colonnes notre incompréhension et notre étonnement face à cette décision d’inculpation d’un homme qui n’a été mêlé ni de près ni de loin aux deux crises majeures ayant ponctué le court règne du Cnrdre, l’ex-junte militaire qui avait pris le pouvoir à Bamako à la suite du coup d’Etat du 22 mars 2012.
Retour sur les circonstances d’une tragique erreur judiciaire
Fin 2013 -début 2014, l’instruction du dossier relatif à l’affaire des bérets rouges connaît une accélération spectaculaire : plusieurs ténors de l’ex-junte militaire sont en effet inculpés et embastillés sans autre forme de procès. Tel un feuilleton judiciaire, l’affaire tient littéralement en haleine une opinion publique avide de révélations tout en suscitant dans tout le pays passions et controverses.
De leur côté, les victimes donnent de la voix en criant Justice tandis que les nouvelles autorités mises en place à la suite de l’élection du président Ibrahim Boubacar Keita à la Présidence de la République font part de leur détermination à faire toute la lumière sur l’assassinat présumé de plusieurs bérets rouges à la suite des affrontements sanglants qui ont eu lieu à Bamako le 30 avril 2012, quelques semaines seulement après la prise du pouvoir par le capitaine Sanogo.
C’est dans cette atmosphère propice à tous les amalgames et confusions que le Général Sidi Alassane Touré -GSAT pour ses amis- sera convoqué et placé en détention par le juge Yaya Karembé, après que celui-ci lui eut notifié son inculpation. Motif invoqué : le GSAT aurait tenté, par l’initiation d’un projet d’amnistie, de supprimer les preuves des infractions reprochées aux auteurs présumés de l’enlèvement et de l’assassinat des bérets rouges arrêtés par la junte au cours des affrontements du 30 avril 2012.
Problème : au moment où lesdits événements survenaient l’officier supérieur se trouvait à l’extérieur, en mission officielle. Surtout n’étant alors ni ministre ni député, il ne pouvait initier ni projet ni proposition de loi d’amnistie.
De fait, le GSAT ne pouvait tout simplement matériellement prendre part à la gestion du conflit ayant opposé en avril 2012 bérets verts et bérets rouges, étant resté éloigné pendant plusieurs jours du pays au moment des faits. Il en a été de même des affrontements ayant eu lieu à Kati entre militaires le 30 septembre 2013, lesquels ont abouti à l’arrestation du capitaine Amadou Konaré, ancien n° 2 de l’ex-junte et au délogement du capitaine Sanogo des quartiers qu’il avait pris dans la ville-garnison.
La suite confirmera la vacuité des charges visant le GSAT et la thèse de l’erreur en ce qui concerne la décision d’inculpation prise par le magistrat instructeur. En effet, de sources proches du dossier, il nous revient qu’aucune des personnes entendues dans le cadre de l’instruction de l’affaire dite des bérets rouges n’a mis en cause l’intéressé, lequel n’a en aucun moment été cité par les protagonistes. Pourquoi donc, dira-t-on, le GSAT a-t-été poursuivi et mêlé à cette tragique affaire s’il y est totalement étranger ? S’agit-il d’une erreur ou d’une manipulation diabolique des autorités judiciaires et politiques par des personnes malveillantes ?
À la décharge du juge Karambé dont le professionnalisme et la bonne foi n’ont jamais été mis en cause du reste par l’officier général, dans l’opinion dominante, il était impossible qu’en sa qualité de Directeur général de la Sécurité d’Etat, le GSAT ne fût pas au parfum de ce qui s’est passé lors de la crise provoquée au sommet du pouvoir par le contre-coup d’Etat du 30 avril 2012. Son inculpation et sa détention ont pu dès lors être perçues comme étant le moyen le plus sûr d’avancer dans l’instruction. Autrement dit, tout semble s’être passé comme si l’on avait choisi de procéder par une sorte d’inversion des données : engager d’abord des poursuites contre l’homme dans le but d’obtenir par la suite des preuves permettant de le confondre.
Reste la thèse de la manipulation. Pour prendre corps, elle a pu d’ailleurs s’appuyer sur l’idée reçue et précédemment exposée selon laquelle le GSAT, de son poste de Directeur général du plus important service de renseignement du pays, ne pouvait pas ne pas être au cœur de ce qui s’est tramé à Kati relativement aux bérets rouges arrêtés à la suite du contre-coup d’Etat, même si par ailleurs il est constant qu’il n’était pas au Mali au moment où le conflit a éclaté.
Il restait à convaincre tout simplement le magistrat instructeur qu’il s’agissait là d’une piste à explorer impérativement…Nul n’étant au-dessus de la loi.
Mais au nom de quelle justice parce que nul n’étant au-dessus de la loi, des poursuites peuvent être engagées contre des citoyens sur la seule base des fonctions occupées, sans considération de leur fait personnel ? Dans le cas d’espèce, rappelons que le fait personnel reproché à l’ancien Directeur de la SE était d’avoir tenté de faire adopter une loi amnistiant les infractions liées aux événements du 30 avril 2012, ce qui ne saurait en soi constituer un délit.
Quoi qu’il en soit, consciencieux et après plusieurs interrogatoires au fond, le juge Yaya Karambé transmettra sans succès au parquet, et l’une après l’autre, deux requêtes aux fins de mise en liberté à lui adressées par le GSAT.
Ces demandes se sont en effet toutes heurtées à l’opposition du ministère public. L’on sait que dans les dossiers sensibles, comme c’est le cas de l’affaire des bérets, les demandes de mise en liberté font l’objet d’une communication systématique par le parquet à la Chancellerie, via le parquet général.
En clair, aujourd’hui c’est le ministre de la Justice Mohamed Aly Bathily qui constitue le principal obstacle à la libération de l’ancien patron de la Sécurité d’Etat pour des raisons qu’il est probablement le seul à connaître alors même que le dossier judiciaire plaide pour la mise hors de cause de l’intéressé.
Et alors même que s’agissant de l’affaire dite des bérets rouges, il se retrouve en situation de conflit d’intérêt patent. En effet, il convient de rappeler que Me Bathily était le conseil de plusieurs bérets rouges, impliqués dans le contre-coup d’Etat.
Méprise sur les relations entre l’ex-Directeur général de la S.E et la junte
Ironie du sort : le GSAT se trouve incarcéré non seulement pour des faits qu’il n’a pas commis, mais aussi il a été manifestement victime d’une suspicion de connivence injustifiée avec les ténors de l’ex-junte. Or, ce que le commun des Maliens ignore, c’est qu’à plusieurs reprises, l’officier général a été en désaccord profond sur des questions sensibles avec certains membres influents de l’ex-junte.
Le premier couac sérieux interviendra lors de l’arrestation du colonel Abdine Guindo. Ce dernier, alors en cavale, avait été préalablement localisé par la Sécurité d’Etat pendant au moins dix huit jours, dans un immeuble situé au quartier ACI de Hamdallaye.
Le GSAT avait soigneusement tenu, jusqu’à l’arrestation du colonel, la junte dans l’ignorance de cette information capitale afin de préserver la vie de l’ancien aide de camp du président ATT. Mieux, il assumera personnellement la responsabilité de garder l’infortuné dans les locaux de la Sécurité d’Etat, de peur que celui-ci ne tombe aux mains des éléments proches de Kati.
Le deuxième sujet de discorde entre l’ancien Directeur général de la Sécurité d’Etat et la junte naîtra quelque temps après lorsque, à l’instigation de Oumar Mariko, une rencontre a eu lieu à Niafunké entre Iyad Ag Ghali et des membres de l’Ex-Cnrdre sous l’occupation jihadiste. La Sécurité d’Etat, après avoir exprimé à qui de droit son hostilité au projet, a brillé par son absence à cette rencontre à laquelle ne prendront part ni le premier responsable, ni aucun agent du service.
Au moment où la Transition prenait fin, les divergences entre le GSAT et la junte étaient telles qu’à tout moment pouvait survenir la rupture, comme ce fut le cas lorsque le Dr. Oumar Mariko, encore lui, a été interpellé par la Sécurité d’Etat, sur ordre de l’officier général, pour tentative de déstabilisation. Lors de cet épisode, celui-ci reçut de certains membres de la junte des menaces à peine voilées de représailles.
Question : en haut lieu, pouvait-on ignorer ces faits à l’arrivée du président Ibrahim Boubacar Keïta au pouvoir ? IBK, homme d’Etat lui-même, peut il laisser subsister l’injustice flagrante faite à un officier qui s’est comporté à plusieurs reprises en véritable homme d’Etat au moment où le pays, en proie aux luttes de factions et à l’implosion, était sur le point de sombrer ?
Le président Dioncounda Traoré et les différents chefs de gouvernement de la Transition pourraient attester le rôle positif joué par l’homme en ces moments où se posait d’abord et avant tout la question de la survie même du Mali. L’actuel président de la République, qui a personnellement élevé Sidi Alassane Touré au grade de général, peut-il rester inerte face aux manœuvres en cours visant à éliminer littéralement un homme qui a rendu à la Nation de précieux services, en œuvrant sans relâche pour que les objectifs prioritaires assignés à la Transition soient atteints ?
Rappelons pour mémoire que ces objectifs consistaient en la restauration de l’intégrité du territoire national et en la tenue dans les délais convenus de l’élection présidentielle, pour permettre le retour à l’ordre constitutionnel et le rétablissement tout court de l’Etat.
Confiant en la justice et convaincu de son innocence, le Général Sidi Alassane Touré a fait preuve, contre l’arbitraire qui le frappe, d’une sérénité à toute épreuve, recommandant à ses amis, notamment Maliens, Français et Américains, de s’abstenir de mettre en branle les actions que ces derniers s’apprêtaient à entreprendre pour son élargissement sans délai.
Profondément affecté par le sort injuste qui lui est fait contre l’évidence et le bon sens, pourra-t-il rester plus longtemps sur cette ligne, qui frise le stoïcisme lorsqu’on songe aux effets collatéraux de l’incarcération et de l’isolement sur un homme et sa famille ? En tout état de cause, sa situation actuelle interpelle plus d’un : les organisations de défense des droits de l’Homme comme le simple citoyen épris de liberté et de justice.
Correspondance particulière
Fadjigui Monzon SAMAKE
Source: Le Reporter