Qui est, réellement, Moussa Traoré ? Comment est-il arrivé au pouvoir ? Comment a-t-il exercé le pouvoir ? Comment a-t-il quitté le pouvoir ? Quel héritage a-t-il laissé aux Maliens ? Dans le but de répondre à ces cinq questions, Dr Choguel Kokalla Maïga et Pr Issiaka Ahmadou Singaré dans leur énième coproduction ont mis sur le marché un livre de trois cent pages, intitulé ‘’Hommage au Général d’armée Moussa Traoré, Secrétaire général de l’Union Démocratique du Peuple Malien ’’, dont le lancement a eu lieu à la Maison de la Presse. Après quatre publications sur cet ouvrage dans nos précédentes livraisons, nous voilà à la dernière partie portant sur le résumé de ce chef d’œuvre révélateur sur ce que la nouvelle génération peut retenir de ce grand homme d’Etat que fut le Général Moussa Traoré.
Moussa Traoré, après s’être illustré sur différents champs d’action comme brillant élève, brillant sous-officier et officier, accède au pouvoir le 19 novembre 1968. Le régime qu’il renverse ce jour, celui de l’US-RDA, après avoir parachevé l’indépendance du Soudan Français octroyée le 24 novembre 1958 avec la proclamation de l’indépendance du Mali, le 22 septembre 1960, avait engagé le pays sur la voie du socialisme. Les difficultés n’ont pas tardé à se faire jour. Elles sont d’ordre politique, avec le renforcement progressif du pouvoir personnel de Modibo Keïta au détriment des compagnons de lutte de la première heure et des différents adversaires politiques. Elles sont d’ordre économique avec les baisses de rendement dans les domaines agricole et industriel. Elles sont d’ordre social, avec les fortes restrictions exercées sur les libertés individuelles. Ces différentes sources de frustration justifient l’euphorie qui s’est emparée du peuple malien à l’annonce du coup de force.
Une fois installé au pouvoir, Moussa Traoré est fréquemment confronté à la gestion des crises : affaire des conjurés d’août 1969, des sous-officiers et soldats en décembre 1976, douloureuses séparations d’avec des compagnons d’armes membres du CMLN les 27 mars 1971, 28 février et 8 mars 1978, le 2 janvier 1979,
Mais ces crises n’affectent en rien le fonctionnement de l’Etat. Dès le mercredi 20 novembre 1968, les cadres et agents de l’Etat sont invités à reprendre le travail. Les premières mesures prises vont dans le sens du rétablissement de certaines libertés individuelles. Le socialisme n’est pas, officiellement, abandonné. Les sociétés et entreprises d’Etat, considérées comme des « acquis du peuple », ne sont pas liquidées. Mais ; dans les campagnes, les paysans sont affranchis de beaucoup de contraintes. Le commerce privé, tant traditionnel que moderne, est, de nouveau, autorisé.
La politique du développement économique, social et culturel rencontre des difficultés dans sa mise en œuvre ; difficultés accrues par de longues périodes de sécheresse entre 1974 et 1985. Il n’en reste pas moins que des réalisations sont effectuées dans les domaines suivants : défense et sécurité, industries et infrastructures, transports et télécommunications, agriculture, éducation, santé, arts, sports.
Initialement, six mois ont été retenus pour assainir la situation économique, réussir la réconciliation nationale et retourner dans les casernes. A l’épreuve des faits, cela s’est révélé impossible. La conférence des cadres, organisée en juillet 1969, a fait découvrir une série de fractures dont il a fallu, par la suite, tenir compte. Organiser des élections dans un tel contexte aurait été préparer les conditions d’un nouveau coup d’Etat. Aussi, un retour progressif à la vie constitutionnelle, une démarche mûrement réfléchis, est-il décidé.
Une nouvelle constitution est promulguée à la suite de la tenue d’un référendum. Deux organisations démocratiques sont, en premier lieu, créées ; une première dans l’histoire contemporaine du Mali. Les femmes se retrouvent au sein de l’UNFM, les jeunes s’organisent au sein de l’UNJM. A l’issue d’un congrès constitutif, un nouveau parti est créé ; l’UDPM. Organisé sur le mode de l’US-RDA, il en diffère par son fonctionnement et son programme.
L’UDPM régit la vie de la nation d’avril 1979 à mars 1991. La période est marquée, non seulement par les périodes de sécheresse dont il a été déjà question, mais, également, par une crise économique durement ressentie aussi bien par les pays développés que par ceux en voie de développement. Un sentiment d’afro-pessimisme inspire aux investisseurs euro-américains à se détourner de l’Afrique pour s’orienter vers les pays d’Amérique latine nouvellement affranchis des dictatures militaires. Enfin, les institutions de Bretton-Woods imposent leurs PAS.
De cette crise et de ses différentes manifestations, l’UDPM tire les conséquences. Il resserre son champ d’activités et se concentre, pour poursuivre l’œuvre du développement économique, social et culturel, sur un programme comportant quatre volets : l’autosuffisance alimentaire, la maîtrise de l’eau, la protection de l’écosystème, le désenclavement intérieur et extérieur. Le Parti mobilise le pays tout en entier autour de l’exécution de ce programme.
Au niveau local, les populations s’organisent en associations et tons villageois pour l’exécution des initiatives de base inspirées chacune par les quatre composantes du programme retenu. Au niveau national, quatre grands projets sont élaborés et leur financement obtenu. Dans certains cas, leur exécution a même commencé avant d’être brusquement interrompu.
En ce qui concerne l’autosuffisance alimentaire, le projet dit du Méma-Farimaké se propose l’aménagement de 200 000 ha de terres dans la zone de l’Office du Niger. La maîtrise de l’eau conduit à exhumer des cartons le projet du barrage de Taoussa avec un lac de retenue s’étendant jusqu’à 200 km de Mopti. La protection de l’écosystème suppose, en premier lieu, la lutte contre la désertification. Le projet de la barrière verte est retenu, s’étendant de Diéma à Ménaka sur 15 Km de largeur. Enfin, en ce qui concerne le désenclavement intérieur et extérieur, le Parti et le gouvernement, après s’être farouchement et triomphalement opposés à la privation de la RCFM et de la COMANAV, ont validé la projet de dé-caillassage du seuil de Sotuba pour autoriser la navigation de Kangaba à Gao.
L’existence de deux autres projets d’envergure méritent d’être signalée, celles de la décentralisation, pour mieux responsabiliser les populations et celle de l’Université nationale décentralisée et professionnalisée pour contribuer à la modernisation du système éducatif à travers son adaptation à nos réalités.
Ces projets étaient en cours d’exécution. Ils sont financiers, respectivement, par : l’URSS, un consortium d’investisseurs, le Japon, la République Fédérale d’Allemagne. Pour l’Université, ce sont les Etats-Unis d’Amérique, la Chine et la République qui se sont engagés à la concrétiser. Enfin, ce sont les Etats-Unis qui se sont engagés à financer la décentralisation bien que le projet leur ait été soumis par l’UDPM, un parti unique, donc, aux antipodes de la démocratie d’après leur point de vue.
Mais le néo-colonialisme français veille au grain. La France ne possède nullement les moyens des pays ci-dessus cités. Son aide au développement n’est que saupoudrage, destinée à maintenir dans la sujétion. Elle ne peut concevoir un Mali émergent. L’UDPM, se fondant sur le génie créateur du peuple malien, a élaboré un modèle original de développement. Sa réussite sonnera le glas de l’hégémonie française en Afrique subsaharienne. Y mettre fin devient un impératif pour le néocolonialisme. François Mitterrand, dûment informé par ses taupes glissées dans l’entourage immédiat de Moussa Traoré, passe à l’action. Auparavant, une passe d’armes l’oppose à Moussa Traoré lors du Sommet de La Baule à propos de l’instauration du multipartisme. Mitterrand se sent offensé. Il a la rancune tenace et décide de le lui faire payer cher.
Dans un premier temps, il appuie la rébellion de quelques jeunes apatrides rentrés de Libye et qui entendent libérer ce qu’ils considèrent, à tort, comme la terre de leurs ancêtres. La rébellion est circonscrite en moins de trois mois. Mitterrand n’abandonne pas cependant son projet de renverser Moussa Traoré.
Dans un second temps, à partir d’une analyse sociologique de la population malienne, ses services de renseignement, toujours aidés par une cinquième colonne tapie dans l’ombre, identifient les groupes non satisfaits de la gestion de l’UDPM : les éternels opposants à tous les régimes qui se sont succédé au Mali depuis 1958, les étudiants, les diplômés à la recherche du premier emploi, les partants volontaires à la retraite qui n’ont pas su gérer leurs fonds de réinsertion dans la vie professionnelle.
Cet ensemble hétéroclite est invité à s’organiser pour réclamer l’instauration du multipartisme. Il s’autoproclame « Mouvement démocratique ». Moussa Traoré ne se soustrait pas à la demande, mais veut que cette instauration se fasse dans le respect des textes, dont, la constitution. Manipulé par l’Elysées, l’opposition reste fermée à tout dialogue, refuse « une démocratie offerte sur un plateau d’argent ». Le 22 mars 1991, elle passe à l’insurrection. Des jeunes gens sont mobilisés et incités à casser, à brûler, à piller. Quatre jours durant, c’est l’affrontement. Le Mouvement démocratique ne peut taire sa satisfaction : « Le sang a coulé », jubile-t-il ; « nous avons obtenu ce que nous voulions ».
Le 25 mars, aux environs de 20 heures, un groupe de neuf militaires conduits par le chef de la sécurité rapprochée du Président et le chef des services de sécurité, monte à Koulouba et met Moussa Traoré aux arrêts. La IIè République a vécu. Le néocolonialisme français triomphe et triomphera trois décennies durant avant que, le 18 mai 2020, une révolution populaire ne mette fin a la profonde déliquescence de l’Etat qui a suivi la chute de Moussa Traoré.
Diaoulen Karamoko Diarra