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Gao: la résistance d’une jeunesse face à la tentative de séduction des djihadistes

Depuis 2012 le Mali est confronté à un problème d’insécurité et de menace terroriste qui sème la zizanie dans le nord et le centre du pays. Une des villes les plus touchées est Gao. Elle est considérée comme un modèle de réussite dans la résistance contre les tentatives de “séduction” et dans la résilience face aux différentes menaces qui guettent la population.

Mars 2012, le Nord du Mali tombe dans les mains des rebelles du MNLA (Mouvement National pour la Libéralisation de l’Azawd) soutenus par les djihadistes. Ces deux alliés cohabitent ensemble dans les trois régions du Nord Mali. MNLA-AQMI à Tombouctou, MNLA-Ansar dine à Kidal et MNLA-MUJAO à Gao. Cependant, au mois de juin 2012, les islamistes ont chassé le MNLA des toutes les régions du Nord et sont devenus les Maîtres du Nord.

A Gao, la cause de divergence entre le MUJAO et le MNLA est due à la résistance des jeunes qui brandissent le drapeau du Mali et manifestent contre les vols, viols, agressions, meurtres et les restrictions imposées par le MNLA. Les jeunes, soutenus par les djihadistes du MUJAO (qui veulent gagner la sympathie d’une population pratiquement 100 % musulmane), ont chassé le MNLA de la ville et sont devenus les seuls maîtres de la ville.
Une fois la ville conquise, les islamistes ont imposé leurs propres règles dont nous connaissons tous. Mais ils se sont confrontés à la résistance farouche des jeunes de la ville. Beaucoup d’entre eux ont perdu la vie. D’autres, ont été punis selon leurs règles (de la charia). Malgré cela, les jeunes ont continué la résistance à travers plusieurs actions : brandissement du drapeau du Mali, manifestations (un peu toléré pour n’est pas se mettre à porte à faux avec la population locale), des actes de sabotage, de transmission de renseignement aux autorités de Bamako, des menaces contre les jeunes qui essaient de les rejoindre, etc.
La situation est restée ainsi jusqu’à l’intervention française de l’opération Serval, accompagnée par l’armée malienne. Sur ce niveau également, les jeunes ont apporté un grand soutien à l’armée en leur indiquant où se sont cachés ceux qui ont rejoint MUJAO, mais également leurs collaborateurs. Enfin, ils ont récupéré toutes les armes abandonnées par les djihadistes et les ont remis à l’armée malienne.
II. La résilience de la population face au djihadisme et l’extrémisme violent
Lors de l’occupation de la ville par les islamistes de MUJAO, trois associations de jeunes se sont créées. Il s’agit de :

– Les Patriotes
– Nous ! Pas bouger !
– Les Patrouilleurs

Les djihadistes, pour avoir l’adhésion de la population à leur cause, ils doivent pouvoir convaincre deux piliers de la population, à savoir : les jeunes et la ligue des religieux à leur tête le Grand « Mouftî 1» de Gao.

Ainsi, dès leur arrivé dans la ville, ils se sont adressés au Grand « Mufti » et lui ont affiché leur intention d’appliquer la « charia » dans la ville.Le « Mufti » leur a fait savoir que :
1- Personne n’a le droit d’appliquer la « Charia » sur une population à part une autorité légitime acceptée par les populations.
2- La « Charia » ne pourra être appliquée par des « étrangers » », mais uniquement par les « nationaux ». Alors que, eux « MUJAO » ne sont pas des « nationaux ». Donc, leur volonté de l’appliquer se heurtera à la résistance de la population.
3- Comment appliquer la « Charia » dans une ville à (presque) 100% de musulmans ? L’islam s’est pénétré dans cette ville depuis le VIIIème siècle de façon pacifique et non par l’imposition à la population.
4- Enfin, le MUJAO, que pensent-ils que les religieux de la ville font depuis toutes ces années ? Ils appellent, tous les jours, les populations à être des bons religieux, à respecter les principes de l’islam et s’éloigner de tout ce qui peut les conduire dans l’enfer. Donc comment vouloir imposer une nouvelle « idéologie » sur une population qui maîtrise déjà les principes de l’islam ?
N’ayant pas eu satisfaction chez le « Mufti », les djihadistes se sont autoproclamés les « Maîtres » de la ville. Ainsi, toutes les décisions sont prises directement par leur chef en place.
Lors d’une rencontre à Gao, en 2017, avec les jeunes de la ville, je leur ai demandé de ce qu’ils pensent du « djihadisme ». Les réponses ont été plus que surprenantes. En effet, ces jeunes ne sont pas dupes, et connaissent bien l’intérêt politique qui se cache derrière cette question de « djihadisme ». Certains ont affirmé que le « djihad » consiste à chercher « son pain quotidien », à s’occuper de sa famille ou encore trouver un emploi. D’autres pensent que le vrai « djihad » consiste à faire du bien, à être un musulman exemplaire et à s’éloigner de tout ce qui est contraire aux valeurs culturelles.
D’où provienne cette mentalité de la compréhension de l’islam contraire aux idéaux des « djihadistes » ? Une bonne question qui mérite plus d’une réponse. En effet, la ville de Gao est la capitale d’un ancien Empire « Soghnoy2 ». Elle fut le centre des échanges commerciaux entre le nord de l’Afrique, l’Europe et le reste du continent. Elle attirait la convoitise des toutes les puissances, mais également de tous les chercheurs et savants.
La chute de l’empire dans les mains des marocains, vers la fin du XVIème siècle, n’a pas empêché les populations de continuer à perpétuer les savoirs et les connaissances. C’est cette tradition qu’a bénéficié la population actuelle qui, en matière d’éducation et de scolarisation des enfants, fait partie des « bons élèves » de la République. La ville de Gao est devenue une « ville exemplaire » grâce à ses multiples hauts cadres dans l’administration malienne depuis l’indépendance jusqu’à nos jours.
On les trouve dans tous les niveaux de l’administration. En ce qui concerne les religieux qui, malgré une formation « wahabite » en Arabie Saoudite, en Égypte ou au Soudan, restent un « modèle » désiré par ses voisins. L’exemple parfait en est l’une mes visites, au hasard, dans la plus grande « Madersa3 » de la ville appelée « Centre islamique Roi Askia Mohamed ».
Tous les enseignants étaient habillés comme dans les pays du Golf, mais les élèves portaient des vêtements normaux comme leurs camarades des écoles françaises. Autre aspect marquant fut les matières enseignées dans les classes visitées : Histoire, Théologie, Mathématique, Jurisprudence, Littérature, Physique, etc.
En plus de l’apprentissage des principes de l’islam, les élèves apprennent les autres matières comme leurs camarades des écoles françaises. Inversement, la majorité de ceux qui sont dans les écoles française, apprennent le « Coran » pendant les week-ends, congés scolaires ou les grandes vacances, selon leurs guises.
Ainsi, qu’ils soient ceux des « Madersa » ou des écoles françaises, tout le monde a une connaissance plus au moins avancée de l’islam, mais également des autres sciences.
Donc un esprit très ouvert en matière de valeur et de tolérance islamique, d’un côté, et le savoir universelle (Math, physique, chimie, histoire, littérature, philosophie, etc.) de l’autre côté. Enfin, les religieux, malgré qu’ils soient des « conservateurs », ont toujours appelés à l’amour de l’autre, quelqu’en soit sa croyance. Car, d’après le grand « Muftî » de la ville, ce n’est pas aux hommes de juger la personne pour ses actes ou ses croyances, mais plutôt à Dieu, seul « Juge » des hommes.

2. État des lieux de la après la libération des régions du Nord

Après la libération de la ville par les armées françaises et maliennes en 2013, les jeunes issus des trois mouvements, cités ci-haut, ont ramassé des dizaines d’armes, des munitions, et des grenades. L’armée malienne, afin de pouvoir les récupérer, ont promis aux jeunes des postes contre leurs désarmements. Donc un accord « verbal » trompeur qui n’est qu’une stratégie de « dupe ».

Car, après le désarmement, les jeunes ont été laissés à eux-mêmes. C’est à partir ce moment-là qu’ils ont commencé les manifestations « pacifiques » pour revendiquer ce qu’ils considèrent comme leurs « droits ». En réalité, lors du début du processus du DDR (Désarmement, Démobilisation et Réinsertions) des groupes armés (signataires de l’accord de paix d’Alger), les jeunes ont été mis à côté.
Ce qui a créé certaines tensions dans la ville. Notamment, lors de l’installation des autorités intérimaires4, ou encore, lors de la création du MOC (Mécanisme Opérationnel de Coordination5). C’est ainsi que le 12 juillet 2016, lors d’une manifestation des jeunes contre l’installation des autorités intérimaires, 11 manifestants ont trouvé la mort.
Tués à balle réelle par les forces de sécurité malienne. Après cette tragédie, le gouvernement leur a promis justice et emploi. Mais à ce moment où j’écris ces témoignages, seuls deux d’entre eux (sur 400) ont été recrutés dans le processus de DDR.
Autre fait important, c’est le regroupement des trois mouvements (de jeunes) dans une seule association. C’est ainsi qu’en mars 2017, la ville de Gao a vu naître la Fédération des Mouvements de Résistance Civile de Gao (FORCE-G). Ils sont devenus les seuls interlocuteurs de la jeunesse, mais également d’une grande partie de la population civile, malgré la présence d’une pléthorique d’associations appartenant à la société civile6. Ces jeunes sont plus audibles que les groupes/milices armés (d’autodéfense).
Les objectifs de cette unification sont, entre autre, l’utilisation des moyens légaux afin de maintenir la paix et la cohésion sociale, soutenir le processus de DDR, lutter contre le terrorisme et l’extrêmise violent en sensibilisant les jeunes, lutter contre l’immigration clandestine et trouver des emplois pour les jeunes. Depuis sa création en 2017, la FORCE-G mène une activité citoyenne qui commence à avoir des bons résultats. Il s’agit du nettoyage des principales routes de la ville, et le curage des caniveaux. Aujourd’hui, la mairie et la population civile les ont rejoignent dans cette initiative citoyenne, et la ville de Gao est devenue la ville la plus propre du Mali. Un trophée a été décerné à la mairie, en 2018, par Bamako, en guise de reconnaissance et d’encouragement aux efforts de la ville.
Dernière remarque, la société civile de Gao est composée des 4 grands piliers. Il s’agit de la FORCE-G (mouvement des jeunes), du Cadre de concertation (composé des notables, chefs des quartiers, chefs des communautés, etc.), de la ligue des religieux et des Mouvements des femmes regroupés dans une coordination appelée CAFO (Coordination des Associations Féminines et ONG du Mali). Cette dernière est composée des femmes de fer dont une particulièrement7 qui a tenu tête aux djihadistes, pendant l’occupation du nord en 2012. À cause de sa bravoure, le « prix international de la femme courageuse » lui a été décerné en mars 2014, aux États Unis. Prix remis en main propre par l’ex dame de la maison blanche, Michelle Obama.

3. Conclusion

En conclusion, la ville de Gao comptait quelques 100 000 habitants en 2012. Aujourd’hui, la population de la ville a presque doublée. La cause ? La multiplication des activités de tout genre. En particulière, les activités illicites : trafic de drogue, d’armes, de médicaments contrefaçons, de migrants, etc. Il faut ajouter à cela, la connivence de certains membres des groupes armés avec les djihadistes. Malgré la présence de l’administration, de la MINUSMA et du Barkhane (qui ont tous deux leurs bases d’opération dans la ville), la ville est coupée de Bamako. Car la seule route qui relie la ville à la capitale, est impraticable. La distance entre Gao est Bamako est de 1200km2.

En état normal où la route est bonne, les véhicules passent 24h00. Avec la dégradation de la route, ils passent 3 à 5 jours en route. En plus de cela, il y a les coupeurs de routes qui dépouillent les voyageurs de tous leurs biens, et, souvent, violent les femmes. Ceux qui ont des moyens voyagent dans les avions de liaison de la MINUSMA, ou font un détour en passant par Burkina Faso, puis Niger, ensuite Gao. Cette situation a donné naissance à un nouveau trafic en provenance des pays voisins : Niger, Algérie, Mauritanie, voir Nigéria, Libye et Ghana, dont profitent les trafiquants de tout bord.

Aujourd’hui, la grande crainte est la tentation (de l’argent facile) par les jeunes au chômage. Car, les trafiquants et les groupes terroristes ne ménagent aucun effort pour essayer d’attirer des jeunes en déperdition totale. Surtout, lorsque le gouvernement ne respecte pas ses engagements envers eux. Ceux-là mêmes qui ont défendu le drapeau de la nation pendant la rébellion et l’occupation de la ville par les djihadistes. Au lieu qu’ils soient récompensés en leur donnant des perspectives d’avenir, ils se sentent abandonnés, voir trahis par Bamako. Ainsi, les plus faibles et les plus vulnérables d’entre eux risquent de tomber dans la tentation de l’argent facile proposé par les trafiquants et les djihadistes. D’où tout le combat que mène actuellement les trois mouvements de jeunes regroupés au sein de la FORCE-G.

Notes de bas de pages:

1. Un mufti, moufti ou muphti (م ف تي ) est un religieux musulman sunnite qui est un interprète de la loi musulmane ; il a l’autorité d’émettre des avis juridiques, appelés fatwas. Il est connaisseur de la religion musulmane et peut être consulté par des particuliers comme par les organes officiels des oulémas afin de connaître la position exacte à adopter sur des questions d’ordre culturel, juridique ou politique afin d’être en conformité avec la religion musulmane.

2. XV – XVIème siècle, dont les Rois les plus célèbres sont Soni Ali Ber et Askia Mohamed.
3. Appelée « «école coranique ».

4. Consistant à administrer les zones où l’administration est absente, pendant un certain temps.
5. Il s’agit du début de la réforme du secteur de sécurité. Le MOC est composé de 600 hommes, 200 côté armée malienne, 200 côté des ex rebelles et 200 côté milices pro Bamako.
6. Telle que le « Cadre de concertation » composé des notables de la ville. Ou encore, la ligue des « prédicateurs » de Gao, et dont le « Mufti » est à la tête.

7. Il s’agit de Fatouma Touré, fondatrice du Groupe de recherche, d’étude, de formation femme-action (Greffa), une ONG engagée en faveur des droits de la femme.

Sourcemediapart

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