Le président sortant, Yahya Jammeh, ne reconnaît pas les résultats de l’élection du 1er décembre. « Il est impossible que Jammeh revienne sur les décisions des urnes », assure le vainqueur des élections, Adama Barrow.
Dans une déclaration télévisée, le président gambien sortant, Yahya Jammeh, au pouvoirdepuis vingt-deux ans, a annoncé, vendredi 9 décembre, qu’il ne reconnaissait pas les résultats de l’élection du 1er décembre. Cette déclaration surprise survient une semaine après qu’il a publiquement reconnu sa défaite face à Adama Barrow, le chef de file de la coalition de l’opposition.
Joint au téléphone par Le Monde samedi dans la matinée, M. Barrow a assuré qu’il était « impossible que Jammeh revienne sur les décisions des urnes ». « Nous allons descendre dans les rues aujourd’hui même, samedi, pour un meeting avec le peuple gambien. Pour le retour de la démocratie nous sommes prêts à y laisser notre vie », a-t-il ajouté.
Samedi matin, l’Union africaine (UA) a également annoncé, dans un communiqué, la convocation « urgente » de son Conseil de paix et de sécurité.
- Quels ont été les résultats de l’élection présidentielle ?
Selon la Commission électorale indépendante, M. Barrow, du Parti démocratique unifié, l’a emporté avec 45,6 % des voix, devant M. Jammeh, à 36,7 %, et Mama Kandeh, ancien député du parti au pouvoir, l’Alliance patriotique pour la réorientation et la construction, et candidat d’une nouvelle formation, le Congrès de la Gambiedémocratique, à 17,6 %.
- Pourquoi M. Jammeh conteste-t-il désormais ces résultats ?
« Tout comme j’ai loyalement accepté les résultats, en croyant que la Commission électorale était indépendante, honnête et fiable, je les rejette dans leur totalité », a lancé M. Jammeh, dénonçant des « erreurs inacceptables » de la part des autorités électorales.
Il a notamment pointé une erreur de comptabilisation reconnue par la Commission électorale indépendante (IEC), faisant état d’« enquêtes » sur l’abstention qui ont révélé, selon lui, que de nombreux électeurs n’avaient pu voter en raison d’informations erronées.
Il s’en est par ailleurs pris à la presse internationale – accusée d’un traitement partial des élections –, aux « espions étrangers » présents sur le territoire gambien, et aux « forces étrangères » qui seraient, selon lui, en train de planifier une opération militaire en Gambie.
« La Gambie ne sera ni colonisée, ni réduite en esclavage, une seconde fois », a-t-il déclaré, alors que le représentant spécial des Nations unies en Afrique de l’Ouest, Mohammed Ibn Chambas, présent en Gambie en début de semaine, avait rencontré le président élu, Adama Barrow, mais pas Yahya Jammeh, qui n’avait pas souhaité le recevoir.
- M. Jammeh appelle-t-il à de nouvelles élections ?
Oui. C’est ce qu’il a expliqué dans son allocution surprise vendredi. Mais, s’il a annoncé un nouveau scrutin, il n’a fixé aucune modalité. « Si nous avions les ressources financières, nous organiserions un vote très vite, a-t-il assuré. Mais ce n’est pas le cas, il faut que les gens se souviennent que les élections sont financées par le gouvernement, et lui seul. »
- M. Jammeh bénéficie-t-il de soutiens ?
Cette annonce renforce les soupçons selon lesquels Yayha Jammeh aurait encore des soutiens au sein des forces armées gambiennes. « Jammeh recherche des soutiens militaires », explique un diplomate au fait des questions gambiennes.
Jeudi, le président élu, Adama Barrow, avait déclaré lors d’une conférence de presse que le chef d’état-major des armées, Ousmane Badjie, l’avait appelé pour l’assurer de sa loyauté.
Mais dans le même temps, le président sortant, légalement en place jusqu’à la transition prévue au début de 2017, a nommé plus tôt dans la semaine 49 nouveaux officiers à des postes-clés de l’armée.
- Que compte faire le président élu, Adama Barrow ?
Il doit tenir une conférence de presse ce samedi. Sur une chaîne de télévision sénégalaise, la TFM, il a déploré, vendredi soir, l’accès restreint à la GRTS (Gambia Radio and Television Services, la télévision nationale) de son camp depuis sa victoire dans les urnes, jeudi 1er décembre.
« Le président Barrow n’a pas eu accès à la télévision nationale depuis l’élection,explique Jim Wormington, chercheur à HRW. Cela montre que Jammeh a toujours le contrôle des médias gouvernementaux. »
Fatu Camara, rédactrice en chef d’une des principales radios d’opposition, qui émet depuis les Etats-Unis, dénonce cette mainmise : « Le discours à la nation d’Adama Barrow, qu’il a fait ce jeudi, n’a même pas été retransmis à la télévision. Nous avons juste reçu le script de ce qu’il a dit. »
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- Des troubles sont-ils à craindre dans le pays ?
La question est effectivement de savoir quelle sera la réaction des Gambiens et de la communauté internationale.
Avant l’appel à manifester, samedi, de M. Barrow, Yahya Jammeh, vendredi de son bureau et devant la caméra de la GRTS, a interdit toute manifestation dans le pays. « Les forces de sécurité sont là pour maintenir la loi et l’ordre », a-t-il affirmé dans un sourire, alors que les organisations non gouvernementales s’inquiètent de l’usage de la force.
« Etant donné le passif du gouvernement en termes d’intimidation, il est essentiel que les forces de sécurité gambiennes agissent dans le respect des droits humains et de l’Etat de droit durant la période de transition », plaide Babatunde Olugboji, directeur de programme de Human Rights Watch.