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Gambie : le massacre à huis clos

Répression. Depuis le 14 avril, Banjul connaît des manifestations sans précédent. Mais la violence du régime pourrait bien tuer ce printemps gambien.

Yahya Jammeh president gambien conference

Cela fait un mois que cela dure, dans l’indifférence générale. En Gambie, minuscule pays à la curieuse géographie héritée des conflits coloniaux, Yahya Jammeh jouit d’un pouvoir absolu de dictateur obscurantiste, dont celui de réprimer violemment ses opposants. Depuis la manifestation du 14 avril, qui a marqué le début de la descente aux enfers, personne ne sait exactement combien ont été emprisonnés, même si les partis d’opposition en ont recensé au moins 85.

Des manifestations pacifiques réprimées dans le sang

Tout a commencé lorsque l’opposition a convoqué, le 14 avril, une manifestation pour protester contre les nouvelles dispositions électorales. Parvenu au pouvoir par un coup d’État sans effusion de sang en 1994 puis élu en 1996, Jammeh a été réélu tous les cinq ans et il est, bien sûr, candidat au scrutin présidentiel prévu en décembre. « Désormais, il faut payer un million de dalasis (20 600 euros, NDLR) pour créer un nouveau parti, 500 000 (10 300 euros) pour se présenter à la présidence de la République et 50 000 ( 1000) pour créer un parti », tonne Omar Amadou Jallow, le chef du People’s Progressive Party (PPP), l’un des principaux partis opposants, qui a été emprisonné 22 fois. « Le but est de nous empêcher de participer au processus politique. » Le 14, une trentaine de personnes est arrêtée, dont un membre d’un autre parti, le United Democratic Party (UDP), Solo Sandeng. Deux jours plus tard a lieu une deuxième manifestation au cours de laquelle le chef de l’UDP, Ousainou Darboe, demande la libération de ceux qui ont été emprisonnés, et notamment de Sandeng. Il est à son tour arrêté, puis inculpé pour « troubles à l’ordre public et refus d’obtempérer ».

Chaque jour, les nouvelles sont plus alarmantes, ne serait-ce que parce que les procès ne cessent d’être ajournés. « Ces gens n’ont pas été jugés, mais ils sont déjà condamnés », estime, à Dakar, Djibril Baldé, de l’International Refugee Rights Initiative (IRRI), qui traite les demandes d’asile des réfugiés gambiens. Trois militantes, également arrêtées dès le 14 avril, ont disparu pendant une semaine. Lorsqu’enfin elles ont comparu, les traces de coups qu’elles portaient disaient ce qu’elles avaient subi. Depuis lors circule un document présenté par l’opposition comme l’affidavit recueilli par l’avocat de l’une d’entre elles, Nogoï Ndiaye. Elle témoigne sur huit pages de séances de torture dans les locaux de la National Intelligence Agency, la redoutée NIA. Allongée sur une table, elle aurait été battue par « sept hommes, dont trois étaient intégralement vêtus de noir, avec des capuches et des gants ». Le récit qui suit fait froid dans le dos : « Ensuite, ils ont commencé à me frapper avec des tuyaux et des bâtons tout en versant de l’eau sur moi… Ils ont continué à me battre et, quand il n’y avait plus d’eau, ils en ont rapporté. Cela a continué jusqu’au matin du 15 avril 2016. Parfois, ils arrêtaient de me frapper pour me demander pourquoi je soutenais l’opposition et, quand je répondais, ils utilisaient leurs deux mains pour me frapper sur les deux oreilles en même temps… Après, je ne tenais plus debout… » Elle ajoute avoir vu Solo Sandeng : « J’ai ensuite vu Solo allongé près de la table sur le sol, il avait été sévèrement battu et saignait abondamment… Il n’a pas répondu quand je l’ai appelé. Puis j’ai vu sa tête dodeliner. » Elle est ramenée à sa cellule : « Entre-temps, ils avaient ramassé Solo et l’avaient emmené derrière le bâtiment, et je pouvais l’entendre gémir pendant qu’ils recommençaient à le frapper. » Aujourd’hui, la plupart estiment que Solo Sandeng est mort. « Il est le Steve Biko de la Gambie », a osé Ousainou Darboe, faisant référence au militant d’Afrique du Sud mort en détention en septembre 1977 et devenu un symbole de la résistance noire.

Une opposition de plus en plus muselée

La peur n’est pas près de quitter ce pays, où le nom de Jammeh est rarement prononcé par les habitants. Les portraits de lui sont omniprésents à Banjul, la capitale, et descendre de voiture pour en prendre une en photo entraîne l’arrêt d’un affable rasta, dont la Gambie est peuplée, demandant l’identité et l’occupation du visiteur. Le pouvoir du président s’appuie sur des services de renseignements infiltrés dans toute la société. Au restaurant, les convives jettent des coups d’œil craintifs avant de parler. Il s’appuie aussi sur une armée qui n’est autre, selon Pa Nderry M’Bai*, opposant en exil aux États-Unis, « qu’une milice à son service ». « Nous n’avons pas d’armée professionnelle, ce sont des fermiers, des pêcheurs, qu’il utilise en fonction de ses besoins », ajoute-t-il. Pour l’instant, même si certains soldats fuient, l’armée est fidèle à son chef.

Si Djibril Baldé est aussi certain que les opposants ne s’en sortiront pas, c’est que « Jammeh est en position de faiblesse ». La communauté internationale s’est lassée des excentricités de ce dictateur fou, dans la lignée d’un Idi Amin Dada en Ouganda. Le cheik Alhaji Yahya Abdul-Aziz Jemus Junkung Jammeh « Babili Mansa » (son titre le plus récent, qui signifie « chef des rivières ») proclame qu’il peut guérir le sida grâce à une boisson à base de plantes (et en s’appuyant sur le Coran). Il a menacé d’égorger lui-même les homosexuels et a mené une campagne d’identification des sorciers. Et si trois hommes, accusés d’avoir participé à une tentative de coup d’État contre lui en décembre 2014, ont été condamnés aux États-Unis où ils résident, les peines, entre six mois et un an, sont bien plus légères que ce qui avait été requis. Il a fâché son voisin le Sénégal, dont les chauffeurs de camion doivent traverser la Gambie pour se rendre en Casamance, en décidant un beau matin de multiplier le montant des droits de douane par 10, les passant de 40 000 à 400 000 francs CFA (de 61 à 610 euros). Résultat, les syndicats boycottent ce passage depuis février, ce qui entraîne un énorme manque à gagner pour la Gambie. Les émissaires envoyés à Dakar ces derniers jours n’ont pas fait plier Macky Sall, le président du Sénégal, pas plus que la requête déposée par Jammeh contre lui devant les juges de la Cedeao, qui l’ont rejetée. Ce n’est donc pas un hasard s’il a déclaré que son pays était désormais, en janvier 2016, une République islamique. L’Union européenne a, en décembre 2014, décidé, après l’introduction de la prison à vie comme sentence pour les homosexuels, de ne pas lui verser les 13 millions d’euros restants d’une aide totale de 75 millions d’euros à verser sur six ans. Jammeh était déjà lui-même sorti du Commonwealth, courroucé par les leçons de droits de l’homme. Il ne lui restait donc plus qu’à faire son marché du côté du Qatar, du Koweït et de la Turquie.

La communauté internationale peine à se faire entendre

En effet, sans aide, la Gambie ne peut survivre. Le PIB par habitant y est de 441 dollars (42 725 dollars en France) et elle est 172e sur 186 pour le développement humain. Voilà pourquoi sa jeunesse la quitte en masse, empruntant le parfois mortel « back way » (passage secret) pour rejoindre la Sicile, traversant l’Afrique de l’Ouest en bus, le Sahara en pick-up puis, avec de la chance, la Méditerranée sur des Zodiac surchargés à partir de la Libye. Selon l’Office international des migrations, en 2015, 4,31 % des ressortissants gambiens vivaient hors de leur pays. Certains constituent une diaspora très active politiquement, comme Fatou Camara qui anime une radio et a appelé, en direct, le juge chargé du cas Darboe. Ebrima Sabang, quelques jours plus tard, s’en est dessaisi – il a, depuis, été attribué à une juge tout aussi inféodée à Jammeh. C’est bien ce qui désespère la diaspora, éduquée, voyant de loin ses concitoyens tenter de se débattre. « Ils ne sont pas organisés, il y a sept partis et ils refusent de s’entendre et de laisser monter la jeune génération », estime Sam Phatey, expert et lobbyiste à Washington. D’autant qu’un chauffeur de bus qui avait amené des manifestants a été immédiatement appréhendé et arrêté. Comme toujours, « Jammeh en fait un exemple », explique Fatou Camara. Et cela marche. D’après des témoins, les manifestants qui se risquent encore à se rendre à Banjul y vont à pied, les chauffeurs ne prenant plus le risque de la torture. Dans ces conditions, pour beaucoup, seule la communauté internationale peut influer sur Jammeh. Human Rights Watch, Amnesty International et Article 19 ont publié un rapport sans concession. Les États-Unis ont condamné les arrestations ; Ban Ki-moon, le secrétaire général de l’ONU, a demandé une enquête. Le Parlement de l’Union européenne a également condamné le 12 mai « les disparitions forcées, détentions arbitraires, tortures et autres violations des droits de l’homme à l’encontre des voix s’élevant contre le président Yahya Jammeh, comme les journalistes, les défenseurs des droits de l’homme, les opposants politiques et les critiques, de même que les gays, lesbiennes, bisexuels et transgenres ». Il a donc recommandé aux États membres d’appliquer une interdiction de voyager à Jammeh et à son gouvernement. « C’est la seule chose qui pourrait le freiner, parce qu’il ne pourrait plus aller négocier de fonds à l’étranger », estime Pa Nderry M’Bai. À défaut, il continuera de massacrer tranquillement.

* The Gambia : The Untold Dictator Yahya Jammeh’s Story, Pa Nderry M’Bai, 182 p., 2012, iUniverse

 

Source: lepoint

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