Le 15 septembre, au cours d’un sommet de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) organisé à Ouagadougou, les chefs des États membres de l’organisation régionale s’accordaient sur un plan de financement de la force G5 Sahel d’un montant d’un milliard d’euros.
Une décision qui apparaissait pour beaucoup comme un tournant décisif alors que, quelques mois plus tôt, on s’interrogeait sur l’avenir d’une force conjointe qui peinait à se développer et à atteindre ses objectifs.
Si ce plan de relance financier semble donc tomber à pic, notamment à la suite des difficultés récurrentes en matière de réalisation budgétaire du dispositif, l’objectif de la force G5 au Sahel reste sujet à de nombreuses interrogations.
Derrière l’ambition d’une nouvelle approche développementaliste de la sécurité au Sahel se cache un certain nombre de contradictions non résolues quant à la finalité stratégique d’une telle initiative.
Une approche initiale résolument militaire
Si l’institution officielle de la force conjointe G5 Sahel (FC-G5S) remonte à février 2014, avec la réunion des cinq pays membres (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad) et le lancement de la force en novembre 2015, elle n’est cependant pas une création ex-nihilo initiée par la coopération entre les États sahéliens et des partenaires extérieurs étatiques et non étatiques.
Dès 2013, à la suite de l’opération Serval engagée par la France au Mali, la nécessité de lutter de manière transnationale contre les groupes terroristes sahéliens se fait ressentir.
À cet effet, plusieurs États sahéliens, comme le Tchad par exemple, avaient déjà développé des forces conjointes associant les ressources militaires de plusieurs pays afin de combattre plus efficacement un ennemi particulièrement mobile.
L’idée était ainsi de faciliter une coopération militaire et policière, souvent quasi inexistante entre les différents pays de la région sahélienne, afin de permettre, par exemple, un droit de poursuite des groupes armés ennemis au-delà des frontières du pays voisin.
Cette coopération transnationale et transfrontalière sera par exemple développée entre le Tchad et le Soudan avec la création, dès 2010, de la Force mixte tchado-soudanaise. Initiative intéressante puisqu’elle permettait de sceller un pacte de sécurité entre les deux États qui sortaient d’un conflit de cinq années au cours duquel ils s’étaient affrontés par groupes de rébellions interposés.
Ces pratiques de coopérations, encouragées par la France engagée au Mali pendant Serval, conduiront à plusieurs opérations « pilotes » comme l’opération Roussette, en novembre 2013, qui réunira les troupes maliennes, nigériennes et françaises afin de mener des actions au niveau de la frontière entre le Mali et le Niger. Le besoin d’une coopération transnationale des forces sahéliennes s’inscrit donc originairement dans une approche militaire et africaine.
La difficile mutation politique des objectifs du G5 Sahel
Ce contexte initial permet ainsi de mieux comprendre toute la difficulté actuelle que rencontre le G5 dans la définition de ses objectifs.
La convention instituant l’organisation et signée par les cinq États en décembre 2014 incluait déjà, au-delà des objectifs militaires initiaux, des objectifs politiques plus larges (démocratisation des institutions publiques, lutte contre le sous-développement, sécurité alimentaire, développement des infrastructure électriques et hydrauliques…).
L’implication de bailleurs de fonds extérieurs, notamment à partir de 2017 et de la création de l’« alliance Sahel » regroupant une douzaine de partenaires étatiques et internationaux (France, Allemagne, Union européenne, Banque mondiale…), a accentué ce processus d’élargissement politique des objectifs du G5.
Petit à petit, le paradigme « sécurité-développement » a été associé à la délimitation des objectifs fondamentaux du G5 avec, au passage, un accroissement particulièrement ambitieux des buts à atteindre.
Si ces projets, résolument inscrits dans le cadre normatif de la « sécurité humaine », permettent de dépasser les approches uniquement militaires et court-termistes, ils n’en demeurent pas moins très difficiles à mettre en œuvre du fait précisément de leur amplitude.
Par ailleurs, la structure décisionnelle et administrative du G5 souffre, jusqu’à aujourd’hui, d’importantes difficultés de fonctionnement. C’est particulièrement le cas au niveau du secrétariat permanent de l’institution (SP-G5S) : conçu initialement comme une structure administrative flexible et réduite, il est aujourd’hui prisonnier de ses frais de fonctionnement qui consomment la grande partie de son budget alloué.
De l’autre côté, les différents Comités nationaux de coordination (CNC) implantés dans chaque pays membre et censés mettre en œuvre de manière ciblée les actions relatives à la Stratégie pour le développement et la sécurité (SDS) restent mal coordonnés au secrétariat permanent.
Quel objectif pour le G5 Sahel ?
Par-delà les difficultés institutionnelles rencontrée, qui restent finalement le lot commun de toute institution naissante, c’est bien la définition des objectifs du G5 Sahel et l’affectation de ses moyens qui demeurent problématiques.
Si la récente annonce d’un financement d’un milliard d’euros de la force conjointe apparaît comme un soulagement, encore faut-il pouvoir assigner efficacement l’argent là où il est nécessaire. Le problème est que la multiplication des objectifs du G5 a conduit bien souvent à une dispersion des ressources.
D’une stratégie de sécurisation des espaces frontaliers par la coopération transnationale, le G5 est passé à une stratégie globale de lutte contre l’insécurité par le développement. Victime paradoxalement de son ambition, cette stratégie pose de réelles difficultés quant à son application à l’échelle de la force conjointe.
Composée d’un effectif d’environ 5 000 hommes, chiffre qui semble assez faible au regard de l’immensité des espaces à surveiller et à protéger, cette force reste sous-équipée (les budgets nationaux additionnés des États du G5 s’élèvent à moins d’un milliard de dollars avec d’importantes disparités en matière de formation, d’équipement et de doctrine), insuffisamment formée et bénéficierait d’une meilleure crédibilité si sa doctrine d’emploi était d’avantage clarifiée.
Cette dispersion des moyens est imputable à une contradiction persistante dans la représentation de la sécurité au Sahel : doit-on lutter contre l’expansion d’une forme présupposée de terrorisme global au Sahel ? Doit-on au contraire s’attaquer aux sources locales de la criminalité région par région ? Doit-on privilégier des moyens majoritairement militaires et réactifs ou, au contraire, appuyer des politiques de développement pro-actives qui traitent le problème en amont ?
Ces questions ne semblent pas encore résolues et entretiennent une forme de bipolarisation neutralisante entre la dimension militaire et la dimension politique du dispositif.
G5 Sahel : une authentique africanisation de la sécurité ?
Le G5 Sahel soulève en définitive, plus largement, la question subsistante de l’africanisation de la sécurité du continent.
Le transfert progressif de la capacité effective de sécurisation des espaces sahéliens, des forces extérieures aux forces nationales est encore loin. Sans le contingent français de la force Barkhane (4 000 hommes), les effectifs de la MINUSMA (opération de maintien de la paix au Mali, 8 800 hommes) et les multiples coopérants militaires et civils étrangers, la force conjointe du G5 ne pourrait être crédible.
Le problème est que cette force reste tributaire des perfusions financières extérieures et repousse toujours un peu plus loin, la capacité régalienne des États de la région à assurer leur mission de protection. Par ailleurs, à l’échelle continentale, l’Union africaine peine à mettre en place une force africaine en mesure de soutenir les forces locales.
Les problèmes de sécurité au Sahel ne seront clairement pas résolus dans les prochains mois ni dans les prochaines années.
Si le manque d’une approche politique d’ensemble est régulièrement souligné parmi les causes des difficultés rencontrées par le G5 Sahel, l’élargissement des objectifs politiques à atteindre n’est pas non plus souhaitable.
Le nexus « sécurité-développement », très à la mode au sein des organisations internationales dans les approches actuelles de la sécurité africaine trahit aussi, parfois, la recherche d’une légitimité, non des États africains mais des bailleurs de fond étrangers qui les soutiennent.
La « sécurité humaine », si elle traduit l’exigence d’un dépassement des considérations strictement militaires dans l’approche des nouveaux conflits, présente aussi paradoxalement le risque de minorer le rôle des États africains dans le processus de définition de leur sécurité.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
*Julien Durand de Sanctis est docteur en science politique. Il enseigne la science politique ainsi que les relations internationales à l’Université Jean Moulin-Lyon III ainsi qu’à SciencesPo Rabat (Université internationale de Rabat). Il a publié récemment Philosophie de la stratégie française I (La stratégie continentale) et II (La stratégie africaine) (éd. Nuvis). Ses recherches portent sur la politique de défense française, la théorie de la stratégie ainsi que les équilibres stratégiques et géopolitiques en Afrique.
Source www.moroccomail.fr