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Fred Eboko : « L’Afrique a gardé la mémoire d’Ebola »

ENTRETIEN. Face au Covid-19, c’est un décryptage en règle que propose Fred Eboko, spécialiste depuis vingt ans des politiques publiques de santé en Afrique.

Qu’il s’agisse d’interdire les voyages et les rassemblements de masse ainsi que de fermer les écoles, les gouvernements africains adoptent de plus en plus des mesures radicales dans le but de freiner la propagation du nouveau coronavirus, le Covid-19. Ces mesures d’urgence interviennent alors que le nombre d’infections enregistrées ces derniers jours à travers le continent augmente de manière exponentielle. Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général éthiopien de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), a déclaré mercredi que le nombre de cas sur le continent était probablement plus élevé et a exhorté les pays africains à « se réveiller » face à la menace croissante. « Le meilleur conseil pour l’Afrique est de se préparer au pire et de se préparer aujourd’hui », a-t-il déclaré. Dans l’entretien qu’il a accordé au Point Afrique, Fred Eboko**, directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement et spécialiste des politiques publiques de santé en Afrique depuis vingt ans, propose une analyse fouillée de la situation qui permet de mieux comprendre comment, dans le contexte actuel, l’Afrique a des faiblesses, mais aussi des points forts.

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Le Point Afrique : L’OMS table sur une aggravation de la situation sur le continent africain. La catastrophe annoncée peut-elle être encore évitée ?

Fred Eboko : L’OMS est peut-être en train d’anticiper par rapport à des critiques éventuelles. Elle avait été pointée du doigt lors de l’épidémie d’Ebola de 2014 pour ne pas avoir réagi assez tôt. C’est dans cette mémoire du drame d’Ebola qu’elle se positionne en disant que le pire est à venir, pour obtenir le meilleur.

Ce n’est pas la réalité ?

Pourquoi le pire serait à venir sur le continent africain ? Je m’interroge. Cela revient à considérer, comme un certain nombre d’acteurs, que l’Afrique subsaharienne n’a absolument rien retenu de l’épidémie d’Ebola, ce qui n’est pas vrai. Parce qu’il y a quand même eu entre-temps une mémoire administrative, sanitaire, politique et épidémiologique assez forte. Par exemple, en février, il n’y avait que deux laboratoires pour tester convenablement le nouveau coronavirus pour toute l’Afrique : un au Sénégal à l’Institut Pasteur et un autre en Afrique du Sud. Un mois plus tard, et c’est l’OMS et l’Union africaine qui le disent, il y en a plus de quarante. Je n’ai jamais vu une telle réactivité de ce point de vue sur le continent africain. Mais c’est lié au fait que l’épidémie d’Ebola est passée par là et que les partenaires internationaux qui ont accompagné les États africains ont pu réagir plus vite.

Mais, là, l’urgence est de limiter la transmission locale du nouveau coronavirus…

Le nouveau coronavirus est extrêmement contagieux et sa forme la plus grave concerne les personnes âgées ou atteintes d’autres pathologies. La majorité des décès connus dans le monde concerne soit des personnes de plus de 70 ans, soit des personnes qui présentent une comorbidité. Aujourd’hui, si le pays le plus touché en Europe est l’Italie, c’est qu’il y a un rapport avec la pyramide des âges. L’Italie a la population la plus âgée du monde juste derrière le Japon. L’équivalent en France, c’est la région du Limousin, où on voit très bien que la mortalité des patients qui ont été atteints par le Covid-19 est plus ou moins directement liée à leur âge et aux comorbidités. C’est ce qu’explique le professeur Jean-François Delfraissy.

En Afrique subsaharienne, les populations âgées de plus de 70 ans sont peu nombreuses. Il faut regarder les données de l’espérance de vie des Africains. Certes, elle a augmenté ces vingt dernières années, mais elle reste encore inégalitaire. Les pays qui comptent déjà le plus grand nombre de décès pour le moment sont l’Égypte, le Maroc, la Tunisie et l’Algérie. À ce jour, c’est l’Algérie qui compte le plus grand nombre de décès, c’est aussi le pays qui a une des espérances de vie parmi les plus élevées en Afrique (76 ans). Alors qu’elle ne dépasse pas les 60 ans dans le sud du Sahara. Les efforts doivent donc aller vers ces populations déjà identifiées comme plus fragiles. C’est aussi la première fois qu’on voit une épidémie aussi violente où les enfants ne sont pas les plus vulnérables.

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On voit de plus en plus de patients jeunes gravement malades qui ont besoin d’une aide respiratoire d’urgence

Il faut souligner qu’il y a très peu de personnes qui ont été prises en charge et qui ne présentaient pas une autre maladie que le Covid-19 qui sont décédées. On l’observe aussi en Afrique où les personnes décédées étaient porteuses d’une autre pathologie, sinon, les enfants seraient les premières victimes. Certes, l’épidémie se propage déjà en Afrique, mais elle va rencontrer des populations beaucoup plus jeunes qu’en Europe. Elles vont être infectées, mais, si elles sont prises en charge a minima, elles seront guéries, ce qui va provoquer à plus long terme ce qu’on appelle l’immunité de groupe. Donc, la catastrophe qu’on annonce pour l’Afrique ne me semble pas si évidente que ça, et je ne suis pas en train de faire de l’afro-optimisme, je regarde juste des variables épidémiologiques et démographiques qui sont tout à fait sérieuses.

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Fred Eboko prépare avec Carine Baxerres un numéro spécial de Politique africaine consacré aux politiques de santé en Afrique à l’ère de la Global Health. © DR

Vous oubliez juste que le Royaume-Uni a prôné l’immunité collective, mais que ça n’a pas marché…

Je ne parle pas de « prôner l’immunité de groupe ». Je ne prône rien. Je me projette de manière pragmatique à partir des dynamiques sociales et démographiques africaines face à l’étiologie du Covid-19. C’est tout.

Est-ce que l’OMS n’a pas raison au vu de la situation en Europe ?

Dans de nombreux esprits, par rapport à l’Afrique, on se fonde particulièrement sur tout ce qui n’a pas marché en termes de gestion de crises sanitaires. Mais personne ne se réfère aux pays qui ont su trouver des réponses pour juguler l’épidémie d’Ebola ou du VIH pour donner des exemples précis. Personne n’en parle. Ebola, ça a été un drame absolu. Mais il faut bien comprendre qu’à un moment donné, il y a eu des stratégies qui ont produit des résultats favorables pour éviter la propagation de l’épidémie. Souvenez-vous : ça a été le cas au Mali, au Sénégal, au Nigeria. Qui en parle ? La manière avec laquelle les inquiétudes médiatiques, légitimes par ailleurs, se projettent sur l’Afrique est liée à la mémoire des crises sanitaires qu’elle a subies, mais peu à la mémoire des contributions transnationales qui lui ont permis d’y répondre.

L’OMS s’inquiète aussi parce qu’il n’y a pas assez de kits de dépistage du coronavirus disponibles sur le continent

Il faut relativiser par rapport à cette question des kits de dépistage. Aujourd’hui, toutes les personnes qui sont suivies présentent des symptômes ou ont été en contact avec un malade. La question du dépistage massif n’est pas spécifique à l’Afrique. Par ailleurs, le géant chinois de la livraison à domicile vient d’annoncer qu’il va livrer aux 54 États africains des millions de kits de dépistage avec le concours d’Ethiopian Airlines. Mais vous avez du mal à entendre la construction des solutions qui part d’un partage mondialisé et accéléré des connaissances à des décisions politiques quotidiennes. C’est un peu l’image d’une Afrique hors du monde pour laquelle le seul roman qui vaille serait « Chronique d’une mort annoncée ».

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Alors, comment expliquez-vous ces messages alarmistes…

Parce que l’Afrique a payé un lourd tribut à l’épidémie d’Ebola et à la pandémie du VIH. L’image d’une Afrique qui plie sous le joug des épidémies est restée. Avec le Covid-19, nous sommes face à une épidémie qui est différente, de plusieurs points de vue, si l’on compare aux deux pathologies mentionnées précédemment. Le Covid-19 est moins létal que la maladie à virus Ebola chez les jeunes. On guérit du coronavirus. Certes, les systèmes de santé africains sont en crise – mais je n’ai pas l’impression que la bonne manière de procéder est d’égrener la litanie de tout ce qui manque à l’Afrique. Si on veut que les personnes adoptent des comportements à moindre risque, il faut leur porter des messages sur ces comportements plutôt que de leur faire peur. Et ces messages et les directives politiques qui vont avec se suivent tous les jours depuis le début de l’épidémie sur le continent africain. La peur a de tout temps et en tous lieux des conséquences contre-productives.

Au niveau des pratiques de la prévention, certains disent qu’il faut les adapter aux réalités africaines ? C’est-à-dire ?

Je ne sais ce que signifie le terme « de réalités africaines ». Je sais juste que ça sent à plein nez des amalgames de triste mémoire. Concrètement, le problème qui est soulevé et qualifié de culturel, c’est la proximité des gens, la distance sociale appelée proxémie, très réduite sur le continent. C’est un fait, il existe. Plusieurs pays ont déjà imposé des fermetures d’écoles, de lieux publics, d’églises, de mosquées, ce qui diminue déjà fortement les interactions. D’autres sont en train de prendre des mesures supplémentaires pour limiter les regroupements ou les proscrire, comme pour les enterrements. Quand on connaît le rapport des Africains à la mort et aux cérémonies, c’est dire combien la prise de conscience est visible sur ce plan-là. Considérons aussi pour une fois que non seulement l’Afrique a gardé la mémoire d’Ebola, mais que nous sommes aussi en face d’êtres humains tout à fait ordinaires qui adhèrent avec plus ou moins de discipline à des consignes collectives, suivant les pays, les régions, les catégories sociales, la confiance qui lie ou sépare les autorités politiques des citoyens. Comme partout. Ensuite, au-delà des fariboles classiques sur « les réalités culturelles africaines », il faut tenir compte des situations concrètes et structurelles de survie qui mobilisent les personnes dans l’espace public en Afrique.

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Tout le week-end, on a vu des images de personnes qui priaient dans les rues ou qui se rendaient quand même dans les églises…

Ce n’est plus une généralité, mais une exception. Ce qui était vrai il y a deux semaines ne l’est plus forcément aujourd’hui, et le Covid-19 nous place devant des situations dont l’évolution est très rapide et devrait nous dispenser des poncifs. Ouvrons les yeux et acceptons que nous gérions tous des incertitudes auxquelles les antiennes culturelles résistent peu. Il y a un mois, il était évident, pour un certain nombre d’observateurs, que les grands rassemblements religieux au Sénégal ne pouvaient pas être reportés. Ils ont été ajournés et les résistances ont été très ponctuelles parce que les leaders religieux se sont ralliés aux directives des autorités politiques, avec intelligence. Par ailleurs, on réfléchit comme si les Africains devaient avoir un comportement idéal, faute de quoi, c’est la fin du monde. Partout, que ce soit à Milan, Paris, Dakar ou Douala, il y a des gens qui ne respectent pas les consignes.

Pourquoi les Français sont confinés ? Pourquoi le président Macron a tapé du poing sur la table, il ne s’adressait pas à des Africains, mais aux Français. Donc, oui, il y a des gens qui ne respectent pas les consignes, mais ce n’est pas un comportement « africain ». Il ne faut pas stigmatiser des comportements humains, mais avoir un raisonnement pragmatique pas culturaliste. De ce que j’observe sur le terrain où je suis à Dakar, les gens sont déjà en train de changer de comportement, jour après jour. Reste que ce n’est pas au seul niveau individuel qu’il faut appréhender la situation. La réduction autoritaire des regroupements a un effet immédiat au-delà des comportements individuels. Quand les restaurants sont fermés, le consommateur n’a pas le choix. Lorsque la mosquée et l’église sont fermées, la prière s’effectue à la maison.

Je constate que les citoyens sont très vigilants et très critiques vis-à-vis même de certaines directives des gouvernants qui sont jugées contre-productives. Les citoyens ont aussi appris de l’épidémie d’Ebola, il me semble plus judicieux de leur apporter des réponses concrètes.

Est-ce qu’il ne vaut pas mieux être alarmiste maintenant notamment face aux fausses rumeurs. On entend encore que le virus ne résiste pas au climat tropical ou qu’il faut se soigner en buvant de l’eau chaude, etc.

Ayons un peu de mesure et de décence lorsque nous parlons des Africains. Cette fake news sur l’eau chaude ou sur le virus qui ne résiste pas à la chaleur est partout, pas seulement en Afrique. J’ai entendu le professeur Olivier Bouchaud, un spécialiste, parler de cette infox ; il s’est appuyé sur la température du corps humain pour ruiner cette rumeur et il ne s’adressait pas spécifiquement aux Africains. Cette fake news ne tient pas deux minutes. Mais ça concerne tout le monde et il n’y a pas là à évoquer une quelconque résistance culturelle. Comment peut-on parler de résistance culturelle pour une rumeur née il y a à peine quinze jours ? Évidemment, les gens ont des représentations sociales et culturelles, mais personne n’a envie de mourir. Pour éviter à quelqu’un d’aller vers la catastrophe, ce n’est pas seulement de la catastrophe dont il faut lui parler, mais aussi de sa propre capacité à l’éviter.

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Qu’est-ce qui a changé entre-temps ? Les systèmes sanitaires sont toujours aussi défaillants…

Les systèmes de santé sont évidemment défaillants, ruinés et affaiblis par les politiques d’austérité des années 1980 et 1990 imposées par les institutions financières internationales. Si l’épidémie flambe et qu’elle touche des gens qui ont besoin de soins d’urgence, comme en Europe, ça va être la catastrophe. Je me suis rendu au Centre hospitalier national universitaire de Fann à Dakar et je sais qu’ici comme ailleurs les médecins sont à pied d’œuvre, malgré des moyens limités. Et ils sont prêts au combat, comme ailleurs. Ils ont l’avantage d’être en face d’une population générale très jeune, et nous sommes loin de l’hécatombe italienne. Le défi est donc d’éviter une arrivée massive de personnes infectées qui auraient besoin d’être réanimées. Le nombre de malades est encore relativement faible et il n’y a pas encore de structures de soins qui soient complètement débordées. Pour l’instant. Le débat sur les systèmes de santé publique peut être actualisé non pas par des récriminations, car le temps est précieux, mais par des financements massifs et rapides pour équiper les structures de soins et renforcer les systèmes de santé. Des évaluations ad hoc sont en cours, et la Banque mondiale, entre autres, va apporter une contribution qui devra être à la hauteur des enjeux. Il faut anticiper. Maintenant. Plutôt que de dire qu’ils vont tous mourir, continuons de montrer l’exemple en insistant sur ce qu’il faut faire. Tout de suite.

Ebola nous a ramenés à un problème qu’on avait ignoré, notamment, en partie, à cause des politiques d’ajustements structurels. On oublie trop rapidement cette période. Dans les années 1980 et 1990, les prêts du FMI et de la Banque mondiale étaient assortis de conditions drastiques, sous forme d’« ajustements structurels ». Mis en place pour permettre aux pays pauvres de sortir de la crise économique engendrée par le fardeau de la dette, les deux premiers chocs pétroliers (1973 et 1979) et la baisse du prix des matières premières ont mis à mal l’accès des populations aux services publics de base. Vingt ans plus tard, l’Afrique est encore dans une position fragile dans le concert de l’économie néolibérale mondiale. Maintenant, il faut accélérer pour renforcer les systèmes de santé, mais, pour le moment, on ne peut pas créer en Afrique des centaines d’hôpitaux et sortir du chapeau des millions de médecins en un mois, il faut anticiper, et c’est ce qui est déjà en train d’être effectué, jour après jour, par le personnel soignant et les autorités politiques. Toute conclusion serait prématurée, en Afrique comme ailleurs.

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Est-ce que vous ne donnez pas trop rapidement un blanc-seing aux dirigeants et élites africains ?

Les « élites africaines », c’est comme « les cultures africaines », entre la commodité et l’abus de langage. Macky Sall n’est pas Paul Biya. Alpha Condé n’est pas Paul Kagame. Les liens que les uns et les autres entretiennent avec leurs concitoyens sont différents, et l’effet de leurs décisions dépend également de ce qui les lie. Donc, je n’accorde de chèque en blanc à personne. Je constate simplement que le discours sur la suspicion généralisée qui occupe la représentation que l’on se fait d’eux nie la différence entre les pays et que, par ailleurs, de manière générale, leur réactivité au coronavirus est inédite, si l’on compare aux autres épidémies qui ont frappé l’Afrique.

Quelle serait la bonne approche, alors ?

Dans le cas du coronavirus, il faut partir de la réalité pour amener les gens à changer de comportement. Il faut plutôt insister sur la pédagogie et mettre en scène les messages correspondants. C’est ce que j’ai vu ce soir à la télévision sénégalaise, en observant le président Macky Sall transmettre un message sur le lavage des mains. Certes, c’est une mise en scène, mais les symboles sont importants dans ce type de circonstance.

Sur le plan sanitaire, comment se laver les mains quand on n’a pas accès à l’eau ?

Il faut tenir compte non pas de la catastrophe annoncée, mais de la réalité, pour anticiper sur la catastrophe pour qu’elle n’arrive pas. Si vous savez qu’à tel endroit les gens n’ont pas accès à l’eau, il faut prendre des mesures immédiatement, comme je le vois autour de moi. Il y a plusieurs lieux où on trouve déjà des gels hydroalcooliques ou des installations pour se laver les mains. Évidemment, il faudrait qu’il y en ait partout. Un humain qui n’a absolument pas accès à l’eau ne vit pas. Puisque le corps humain est fait aux deux tiers d’eau, sinon, on meurt. Donc, l’Unicef ne parle pas de personnes qui n’ont aucun accès à l’eau, elle parle de personnes qui n’ont pas accès à l’eau potable ou propre. Ce qui nécessite qu’on réfléchisse à des solutions structurelles.

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Qu’avez-vous constaté depuis votre arrivée au Sénégal ?

On observe déjà des modifications au niveau pratique par rapport aux rassemblements. Il n’y a pas de matchs de foot ni de grandes cérémonies religieuses. En revanche, sur le plan de la proximité, la fameuse distance sociale, c’est plus compliqué, et je l’ai encore vu ce soir au marché de Colobane à Dakar.

Comment expliquer la foule à Touba, ville sainte des Mourides, alors que les mosquées sont censées être fermées ?

J’ai déjà répondu à cette question. Le président Macky Sall a écouté les experts qui ont sonné l’alerte, et les leaders religieux ont intelligemment joint leurs efforts à ceux des politiques. Qu’il y ait eu des résistances n’est plus d’actualité.

Qui fait passer les messages de prévention ? Comment se déroule la communication autour du coronavirus ?

La presse sénégalaise ainsi que les autorités ont fait passer un grand nombre de messages sur le coronavirus. Ici, les réseaux sociaux tournent à plein régime. Comme dans toutes les grandes villes du monde, les jeunes sont très connectés et les informations tournent beaucoup. Pour autant, le gouvernement a réussi à garder la mainmise sur la diffusion des informations officielles, jour après jour. C’est un choix politique. Des discussions ont lieu sur le contenu des messages qui visent à être ajustés suivant la richesse des échanges entre les spécialistes de la communication et les responsables de la santé publique.

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Y a-t-il eu un avant et un après-Ebola ?

De manière plus générale, au niveau du continent africain, je dirais qu’il y a eu un tournant dans les années 2000. Avec notamment la montée en puissance du Fonds mondial créé en 2002 sur la prise en charge des trois pathologies auxquelles il est dédié : le sida, la tuberculose et le paludisme. On a vu une constellation d’acteurs telle qu’on en a jamais vue sur le continent africain, c’est une dynamique autour de ce qu’on appelle aujourd’hui la santé globale. Les pays africains et leurs partenaires ont fait inverser pas mal de catastrophes sanitaires ces dernières années, je pense au paludisme, à la tuberculose, au VIH et, dans une moindre mesure, à Ebola. Les gens ont gardé la mémoire de ces traumatismes, surtout ceux qui l’ont vécu de plein fouet comme en Guinée, au Liberia. Les gens savent maintenant qu’ils ne doivent plus toucher les corps des défunts, ils ont appris de cette expérience pour vous citer un exemple. Servons-nous de ces expériences.

Évidemment, si on reprend toutes les erreurs qui ont été faites, au niveau international et national, au moment d’Ebola pour les reproduire face à cette crise du coronavirus alors, là, on aura commis une grosse erreur scientifique et morale. Mais la question ne se pose plus en ces termes, de toute évidence. J’ai l’intime conviction que nous sommes à l’aube d’une nouvelle ère et que l’Afrique et ses partenaires scientifiques, politiques et sanitaires vont écrire une page qui sera plus proche de « la promesse de l’aube » que du « chant du cygne ».

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* IRD, c’est Institut de recherche et de développement (Centre Population et Développement – CEPED-Université de Paris).

** Fred Eboko est diplômé en sociologie, en anthropologie ainsi qu’en sciences politiques. Enseignant à Sciences Po Paris, ce spécialiste des politiques publiques de santé en Afrique depuis vingt ans est actuellement membre du Conseil d’Administration d’Epicentre-MSF (Centre de recherche épidémiologique de MSF France).

Propos recueillis par 

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