Depuis l’annonce, mi-novembre, de la hausse des frais d’inscription pour les étudiants extracommunautaires en France, la colère dans les universités ne retombe pas. Elle regagnerait même en vigueur alors que plusieurs universités ont annoncé qu’elles n’appliqueraient pas cette hausse à la rentrée prochaine.
Il y a les images de Tolbiac sous les barricades. Celles des manifestations d’étudiants hérissées de banderoles « anti-Macron ». Mais une révolte plus feutrée et non moins féroce contre l’exécutif se joue aussi depuis deux mois au sein des instances universitaires.
Lorsqu’à la mi-novembre, le Premier ministre Edouard Philippe dévoile la nouvelle stratégie d’attractivité pour les étudiants internationaux, beaucoup d’entre eux tombent de leur chaise. Même surprise du côté des directeurs d’établissement. L’annonce qui retient surtout l’attention concerne la hausse des frais d’inscription pour les étudiants extra-européens, qui passent dès septembre prochain de 170 à 2 770 euros par an en licence alors qu’en master (243 euros) et en doctorat (380 euros), il faudra désormais s’acquitter de 3 770 euros. Une mesure qui ne concerne néanmoins que les nouveaux arrivants et non les étudiants déjà engagés dans leur cursus.
Depuis cette annonce, en marge des manifestations, les communiqués de présidences d’universités se multiplient pour dénoncer, comme Paris-Nanterre, un dispositif « parfaitement injuste » qui « accentue une discrimination par l’argent pour l’accès aux études supérieures ». Mais ces derniers jours, certains établissements sont allés plus loin en assurant qu’ils n’appliqueraient tout simplement pas cette hausse à la rentrée prochaine.
Clermont-Ferrand, Lyon 2, Toulouse 2, mais aussi Angers, Evry, Aix-Marseille, la liste s’allonge et approche désormais la dizaine d’établissements, selon un décompte de RFI. « Cette mesure vient heurter les valeurs que nous portons, comme l’égal accès à l’enseignement supérieur. C’est presque une question philosophique », commente Jim Walker, vice-président de Lyon 2 en charge des relations internationales.
En guise de justification, quelques universités ayant fait ce choix avancent une « absence de concertation » avec l’exécutif. C’est d’ailleurs ce que dit aussi le communiqué de la Conférence des présidents d’université du 11 janvier dernier. « Il n’y pas eu de concertation avec le gouvernement, c’est vrai, reconnaît Jim Walker. Mais [à Lyon 2], on n’a pas voulu insister sur ce point car il nous semblait que dire cela, c’est presque dire que la mesure en soi est bonne mais qu’il nous faut du temps pour la mettre en place... »
Sur le campus d’Aix-Marseille, l’une des universités les plus remontées, ce front plus institutionnel rassure. « Nous sommes soulagés mais nous souhaitons que les universités aillent plus loin parce qu’il est difficile pour nous de porter la voix au niveau des autorités », explique Elie Koulaï, président de l’Amicale des étudiants africains de Marseille.
L’Afrique en première ligne
La crainte est réelle. A l’annonce de la nouvelle stratégie, maladroitement nommée « Bienvenue en France », de nombreux postulants extra-européens se sont inquiétés auprès de leur futur établissement. Elie Koulaï assure même avoir discuté « avec un bon nombre d’étudiants de Côte d’Ivoire, du Mali, de RDC, du Sénégal, déjà engagés dans la procédure pour venir poursuivre leurs études dans l’Hexagone et qui ont décidé de mettre fin à leurs démarches. »
L’Afrique est en première ligne. La France a accueilli l’année dernière 325 000 étudiants étrangers dont 45 % provenaient du continent, selon les chiffres de Campus France. « Il est impossible pour beaucoup d’Africains d’avoir non seulement les 7 500 euros demandés pour pouvoir obtenir le visa [une attestation de retrait est exigée, ndlr] et en plus les 2 770 euros ou les 3 770 euros demandés pour s’inscrire ici. », poursuit Elie Koulaï.
« Et entre le coût des démarches sur place et le prix des billets d’avion, il faut ajouter 2 500 euros », renchérit Alioune Mbaye, en charge de la vie étudiante à la Fédération des étudiants et stagiaires sénégalais de France, qui regroupe une trentaine d’associations. « Au Sénégal, le salaire moyen est de 100 euros, comment voulez-vous qu’on puisse payer de telles sommes ? »
Moins bien lotis que d’autres étrangers, les étudiants africains ont l’impression d’être clairement visés par la démarche du gouvernement. Et ils se souviennent que lors de son discours à l’Institut de France, en mars dernier, Emmanuel Macron avait clairement fait un appel du pied aux étudiants provenant des pays émergents, dont la population « doublera ». « Etudiants indiens, russes, chinois seront plus nombreux et devront l’être », avait déclaré le président de la République.
Jim Walker s’interroge aussi sur l’efficacité de cette hausse des frais. « Il y a un problème d’attractivité de l’université française que l’on ne nie pas mais la logique [du gouvernement] est de dire que si on augmente les frais comme cela, on accroît cette attractivité. C’est une logique qui consiste à dire que ce qui est cher est bon. Or un des aspects de l’attractivité de la France a toujours été le coût de la formation, c’est pour cela qu’on attire les bons étudiants sénégalais ou burkinabè. »
Peu de solutions pour les universités
En contrepartie, l’exécutif a pourtant bien promis un triplement des bourses. Selon le vice-président de Lyon 2, il s’agirait en fait de 8 000 bourses (ou exonérations) dont 6 000 seraient attribuées à des postes diplomatiques en Afrique et 2 000 autres pour le reste du monde « y compris le continent africain ». Mais au vu des sommes demandées et du nombre des postulants, on est loin du compte.
De leur côté, les établissements qui sont entrés en résistance ont-ils les moyens de tenir leur promesse ? Un décret d’août 2013 permet théoriquement aux universités d’exonérer de frais leurs étudiants dans la limite de 10 % des effectifs. Or pour certaines, particulièrement prisées des étudiants étrangers, ce seuil est bien trop bas.
A Aix-Marseille, cela reste possible. « Et on restera en-dessous des 10 % pour les quatre ans à venir », fait savoir à RFI l’université. A Lyon 2, où près de 15 % des étudiants proviennent de pays extérieurs à l’Union européenne, « pour septembre qui arrive, on devrait être bon. Mais c’est vrai qu’à partir de 2020 et a fortiori 2021, on ne tiendra plus. », admet Jim Walker. Dans son communiqué, l’université s’est d’ailleurs bien gardée de s’avancer pour les années à venir.
Recadrage
Interpellée par les directeurs d’université, mais aussi par de nombreux chercheurs et enseignants, la ministre de l’Enseignement supérieur Dominique Vidal a nommé cinq personnalités qualifiées pour animer une concertation qui doit s’achever fin février. Mais pas question de revenir sur le principe ou le calendrier de ce qui est appelé pudiquement des « frais différenciés ». La ministre a même procédé à un recadrage en règle, le 16 janvier dernier, devant les sénateurs.
« Je tiens à rappeler que les universités sont des établissements publics, opérateurs de l’Etat et qu’effectivement, en tant qu’opérateurs de l’Etat et fonctionnaires d’Etat […] il est évidemment très important qu’ils portent les politiques publiques décidées par l’Etat. », a lancé Dominique Vidal, rappelant « le devoir d’obéissance et […] de loyauté » des fonctionnaires.
Dans les établissements concernés, on esquive sans difficulté. Chacun rappelle qu’ils jouent selon les règles, dans un cadre tout à fait légal.
RFI