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Fact-Checking au Mali : Une protection contre les discours haineux ?

À l’ère du numérique, l’accès à l’information est devenu instantané, mais cette facilité a également ouvert la voie à une propagation massive de fausses informations et de violences verbales en ligne. Au Mali, le phénomène de la désinformation, souvent couplé à des discours de haine, constitue un enjeu majeur pour la paix sociale, la sécurité et la démocratie. Face à cette réalité, le fact-checking ou vérification des faits émerge comme un outil essentiel, mais insuffisamment intégré dans les habitudes médiatiques et citoyennes.

Depuis la crise politico-sécuritaire de 2012, le Mali traverse une période marquée par l’instabilité, les tensions communautaires et les manipulations de l’opinion publique. Dans ce climat, les réseaux sociaux sont devenus des terrains fertiles pour la désinformation. Des contenus falsifiés, des images détournées, des rumeurs et nouvelles infondées sur les opérations militaires ou les décisions politiques circulent rapidement, alimentant les polémiques, renforcent la méfiance entre communautés et envers les autorités.

L’absence de régulation efficace des plateformes numériques et le manque d’éducation aux médias favorisent la viralité de ces fausses informations et ne contribuent pas à la stabilité. Des acteurs malintentionnés — parfois liés à des groupes politiques ou à des intérêts étrangers — utilisent ces outils pour semer la confusion, renforcer la polarisation et déstabiliser le débat public.

Au Mali, les principaux canaux de désinformation utilisés sont les nouveaux médias sociaux : Facebook, Whatsapp, et TikTok. « Facebook est sans nul doute le réseau social le plus utilisé au Mali pour la diffusion de fausses nouvelles. Ceci s’explique par sa large accessibilité, combinée à une faible culture numérique chez une partie des utilisateurs, en fait un terreau fertile pour les rumeurs, les discours de haine et les manipulations de l’information. WhatsApp suit de près, en raison de son caractère privé et viral, ce qui rend la traçabilité encore plus difficile », observe Fatouma Harber, Exécutive de Sankorelabs, factcheckeuse/blogueuse.

Nombreux sont ceux qui se souviennent de ces deux cas traités par Niangaly Lassina du site de vérification, Le Jalon : un pseudo professeur d’université sur un plateau TV qui a affirmé que « la Tunisie, l’Algérie et le Maroc faisaient parties de la zone F CFA mais qu’ils se sont retirés ». Le second cas c’est celui d’un rapport relatant le taux d’attaques au Mali lu à l’envers par un journaliste sur un plateau. Deux cas qui, après vérification se sont avérés fausses comme informations.

Selon Tidiani Togola, Président fondateur de Tuwindi, une fondation de soutien aux médias et qui fait de la vérification, « les discours de haine exploitent souvent des divisions sociales préexistantes, exacerbant encore davantage les tensions ». « Dans le nord et le centre du Mali, par exemple, certaines communautés sont régulièrement stigmatisées et accusées de complicité avec des groupes armés. Cela alimente des représailles violentes et détruit la cohésion sociale. Les femmes, quant à elles, sont souvent victimes de harcèlement en ligne et de propos sexistes, surtout lorsqu’elles occupent des positions publiques ou osent exprimer leur opinion. Et puis, il y a les discours religieux, manipulés par des groupes extrémistes pour justifier des violences. Même dans l’espace politique, on observe un climat manichéen où les influences des réseaux sociaux, comme TikTok, amplifient les radicalisations et les insultes entre influenceurs ou même des personnalités institutionnelles. Ces discours divisent profondément le pays », déplore monsieur Togola.

« Nous devons agir de manière proactive. Identifier les « super-propagateurs » leaders influents ou médias alternatifs – et engager un dialogue constructif avec eux est essentiel. Nous devons aussi promouvoir des messages de paix et de cohésion sociale via des campagnes médiatiques et des partenariats avec des leaders communautaires », suggère-t-il.

Les initiatives de fact-checking au Mali

Diverses initiatives sont mises en œuvre par certains fact-chekeurs ou journalistes, qui au-delà de leur devoir fondamental de vérification comme le demande la déontologie de la profession, s’inscrivent dans un registre de vérificateurs appelés fact-checking, qui constitue un métier à part entière aujourd’hui.

Parmi ces initiatives, la toute première formelle au Mali est « le Veritomètre », lancé en 2015 par la fondation Tuwindi, à travers sa plateforme Xensa et sa technologie Wuya, nous confie Tidiani Togola, fondateur de Tuwindi.

D’autres initiatives ont suivi : entre autres BenbereVerif de DoniBlog ou Appel-Verif ou encore « Mali Check ». A cette liste, s’ajoute « Alfarouk Décrypte », et d’autres.

Si certains se concentrent exclusivement sur le fact-checking, d’autres forment en plus des journalistes et des citoyens à mieux analyser l’information.

« Nous publions régulièrement, poursuivit madame Harber, des contenus de vérification de faits, en ciblant les informations virales, notamment sur les réseaux sociaux, qui peuvent nuire au vivre-ensemble ».

Fatouma Harber, explique que son organisation mène aussi des campagnes d’éducation aux médias, avec des formations destinées aux jeunes, aux journalistes et aux acteurs communautaires, afin de renforcer leur capacité à identifier et contrer la désinformation. Et que l’objectif de ce projet est de bâtir une culture de la vérification, du doute sain et de la responsabilité numérique. Elle ajoute que sa structure SankoreLab est une dynamique de collaboration sous-régionale également avec des organisations notamment Guinée Check et Nigercheck dans le domaine du fact-checking et de l’éducation aux médias.

Tout comme SankoreLab, Tuwindi, Benbere, Le Jalon s’inscrivent dans la même dynamique de la formation des journalistes et fact-checkeurs.

« Wuya, qui signifie en bamaba « mensonge » est notre plateforme phare pour combattre la désinformation et elle vise à éclairer les esprits face aux fake news. Notre équipe vérifie rigoureusement les informations grâce à des outils avancés qui circulent sur les réseaux sociaux ou dans les médias, Cela nous permet de confirmer si le contenu est faux ou dangereux. Une fois validé, nous le signalons immédiatement aux plateformes comme Facebook ou WhatsApp, avec qui nous collaborons activement à travers notre partenariat avec Meta. Ces plateformes jouent un rôle clé pour supprimer ou désamplifier ces contenus et nous expliquons toujours comment nous procédons. Nous alertons aussi directement le public via nos réseaux pour éviter que ces messages ne se propagent davantage. Dans les cas graves, il est préférable que les autorités judiciaires poursuivent les auteurs. Chez Tuwindi notre priorité reste la prévention. Nous travaillons donc avec les leaders communautaires pour désamorcer les tensions et organisons des campagnes pour promouvoir la tolérance et le vivre-ensembleGrâce à Wuya, nous avons pu rétablir la vérité sur des sujets sensibles comme les questions sécuritaires, politiques et sociales, témoigne Togola.

Outre la vérification des faits, Tuwindi forme des journalistes et membres des OSC à repérer les fausses informations et collaborent également avec d’autres organisations africaines et internationales, comme Africa Check, pour partager des bonnes pratiques et renforcer son expertise.

« Convaincu que la désinformation et les discours de haine sont des fléaux qui minent notre société, nous croyons qu’en éduquant les citoyens, en collaborant avec les acteurs locaux et internationaux et en mettant en place des régulations adaptées, nous pouvons construire un Mali plus informé et plus uni. Ce combat est crucial pour notre avenir et celui de toute la région. C’est pourquoi nous plaidons pour créer un espace global de coordination pour mutualiser les efforts et maximiser l’impact », espère-t-il.

Diallo Aliou, directeur de programme à Benbere dit qu’à Doniblog, ils ont beaucoup d’initiatives de lutte contre la désinformation, sans oublier les discours de haine. « Nous organisons permanemment des ateliers de formation pour former des blogueurs et des journalistes sur la désinformation. Actuellement nous sommes à Kela dans le cadre du festival international des masques et marionnettes, pour une formation des animateurs radio et d’autres utilisateurs des réseaux sociaux, un projet dénommé blog camp ».

De son coté, Lassina Niangaly, responsable du Le Jalon explique dès leur création, ont mis en place un Desk de fact-checking « Mali Check. « A travers ce Desk, nous avons différents projets avec l’appui de nos partenaires, nous faisons de la formation, nous formons des journalistes des étudiants des élèves, nous les sensibilisons, nous produisons aussi des contenus pour minimiser les conséquences des fausses informations et voilà donc notre principale initiative de lutte contre la désinformation »

Mais malgré ces efforts, les défis restent immenses. La désinformation devient de plus en plus sophistiquée avec l’évolution des technologies, notamment l’intelligence artificielle (IA). Aujourd’hui, des deepfakes – des vidéos ou audios manipulés grâce à l’IA – peuvent circuler et semer la confusion. Cela rend notre travail encore plus crucial, révèle le fondateur de Tuwindi.

La solution idoine ?

Le rôle des structures de vérification comme « Le Jalon » et d’autres initiatives, n’est pas de vraiment mettre fin à la diffusion de fausses informations. Parce que les fausses informations, « ça fait partie de l’humanité, ça a toujours existé. Mais notre rôle, c’est vraiment de sensibiliser le public, leur faire comprendre d’abord : quels sont les mécanismes de production de l’information. Il faut que le maximum de citoyens soit en mesure de faire la différence entre une bonne information et une mauvaise information. Depuis, nombreux sont les internautes, qui avant ne se posaient jamais de questions, ils diffusaient les informations comme bon leur semblent. Mais à présent, ils vérifient, s’interrogent, réfléchissent avant de publier quoi que ce soit. Ce sont des choses encourageantes. On espère atteindre le maximum de personnes pour minimiser les conséquences des fausses informations sur nos communautés et notre état», s’exprime Niangaly avec un air satisfait.

Pour Fatouma Harber : les structures de vérification jouent un rôle crucial, mais elles ne peuvent pas, à elles seules, éradiquer le phénomène. La lutte contre la désinformation nécessite un écosystème impliqué : citoyens formés, médias responsables, plateformes numériques collaboratives, et autorités transparentes. Les fact-checkeurs comme nous, avec Alfarouk Décrypte, peuvent alerter, sensibiliser et outiller, mais c’est en combinant nos efforts avec l’éducation, la régulation intelligente et l’innovation que nous pourrons réellement freiner la propagation des fausses nouvelles, Fatouma Harber, Directrice Exécutive de Sankorelabs factcheckeuse /blogueuse.

Monsieur Togola rejoint en partie Fatouma, en insistant sur l’urgence de la mise en place d’une régulation nationale claire pour responsabiliser les médias et les plateformes, tout en préservant la liberté d’expression. Il ne s’agit pas de censurer, mais de sanctionner les discours de haine sans tomber dans des pratiques partisanes ou injustes.

Perspectives

Tidiani Togola, « il faut poursuivre les formations pour renforcer les capacités des acteurs de l’information et des citoyens. Nous devons aussi sensibiliser les populations vulnérables aux dangers de la désinformation et promouvoir l’esprit critique. C’est là qu’intervient l’importance des collaborations avec des géants du numérique comme Meta (Facebook, WhatsApp), avec qui nous avons déjà un partenariat solide. Ce genre de collaboration est indispensable pour bloquer ou signaler rapidement les contenus problématiques ».

Pour Niangaly, les fausses nouvelles, à long terme, ne vont pas finir, mais les gens vont de plus en plus avoir des compétences pour mieux faire la part entre les fausses et les mauvaises informations. Elles ne causeront plus assez de dégâts, ajoute-t-il.

Les fake news, poursuivit Togola, vont probablement devenir plus sophistiquées. Avec l’essor de l’intelligence artificielle et des technologies de deepfake, la manipulation de l’image, du son et de la vidéo devient plus facile et plus crédible. Cela représente un défi majeur pour les citoyens et les médias.

Toutefois, cette menace peut aussi être une opportunité pour renforcer les systèmes de vérification, l’esprit critique, et l’éducation aux médias dès le plus jeune âge. La réponse doit être collective et préventive. « Je crois qu’avec l’arrivée des outils de l’intelligence artificielle, il est maintenant beaucoup difficile de démêler les fausses informations des vraies. En claire nous devons réfléchir à un renforcement de nos capacités de vérification avec des outils qu’il faut, tout en éduquant le grand public », formule Aliou Diallo, Responsable programme à Benbere.

 

Aminata Agaly Yattara

 

Source: Mali Tribune
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