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Fabrice Santoro : « Roger Federer était le champion du monde de l’élégance toutes catégories »

Le Français, ancien 17ᵉ joueur mondial, réputé pour son jeu créatif et atypique, revient sur la carrière du Suisse, dont la palette technique et la « fraîcheur d’ado » l’épataient.

US Open 2005. Roger Federer affronte le Français Fabrice Santoro, classé 76e mondial, au deuxième tour. Tout le monde s’attend à une promenade de santé pour le Suisse, numéro un mondial incontesté. Mais le « magicien », ainsi que le surnomma Pete Sampras, régale le public new-yorkais ce soir-là en offrant une résistance farouche au patron du circuit (victoire 7-5, 7-5, 7-6 de Federer). « Sur les onze matchs disputés face à lui, j’en retiens deux, ma défaite à New York en 2005 et ma victoire à Madrid en 2002 [7-5, 6-3] », dit Santoro, à l’heure où le Suisse fait ses adieux au circuit.

Comment résumer la singularité de Roger Federer ?

Il avait une élégance rarissime, unique, c’était de loin le plus élégant sur un court de tennis. On avait l’impression d’un danseur qui vole sur le terrain, touchant à peine le sol, bougeant extrêmement bien, ce qui est très rare dans un sport aussi violent que le tennis. On ne peut pas trouver de « sale » photo de Roger Federer, le buste est toujours bien droit, équilibré, même en plein effort on a l’impression que la chemise est bien mise.

Etait-ce inné ou travaillé ?

Sur les vidéos de lui gamin, il avait déjà une aisance et un port de tête assez singuliers, c’était un peu sa marque de fabrique. Après, ça a été travaillé, développé. Le fait aussi qu’il ait une dissociation entre le haut et le bas du corps, ça le rendait un peu unique. Quand on le voyait se déplacer, on avait presque l’impression qu’il y avait deux personnes.

On a toujours essayé de le comparer à Rafa [Nadal] ou Novak [Djokovic], mais Federer appartient à une catégorie où il restera seul, c’est le champion du monde de l’élégance toutes catégories.

Aujourd’hui, si on doit lister les gens les plus connus sur la planète, Federer serait très haut et probablement devant tous ses concurrents. Par rapport à ce style, au fait qu’il touche énormément de gens, des passionnés de notre sport, mais aussi des jeunes, des moins jeunes, qui ne suivent pas le tennis. Aujourd’hui, Federer c’est une marque.

Il était un joueur « globalisé », qui aura amené le tennis dans une autre dimension économique…

Ce n’est pas le premier, il y a eu Björn Borg dans les années 1980, et si on a bien gagné notre vie par la suite, c’est grâce à lui. Il y a eu [André] Agassi ensuite, qui a eu un impact en matière de sponsoring. Et donc, effectivement, Federer. Surtout, c’est le seul qui était « habité » par l’intégralité [des routines] de la profession, où l’on doit énormément s’entraîner, enchaîner les tournois, voyager, rencontrer des fans, répondre à une multitude de médias, etc. C’est très rare et c’était sincère chez lui. Il n’y avait qu’à voir à quel point il était heureux d’être dans un vestiaire, à l’hôtel, à l’entraînement…

Son charisme en imposait, il savait parfaitement ce qu’il représentait dans le sport et dans le monde, mais il avait la fraîcheur d’un ado.

Parmi sa palette technique, qu’est-ce qui vous bluffait le plus ?

Le placement des pieds, les plans de frappe, toujours positionné devant, un revers slicé qui donnait l’impression qu’il tenait la raquette avec deux doigts, une volée toujours parfaite… Le grand public s’en rendait compte, donc nous, dans le vestiaire, on l’appréciait mille fois plus. On peut essayer de l’imiter sur quelques minutes à l’entraînement, mais sinon c’est inimitable.

« Si je devais aller dans des clubs à la rencontre d’enfants, je leur montrerais des vidéos de Federer »

Aujourd’hui, si je devais aller dans des clubs à la rencontre d’enfants, je leur montrerais des vidéos de Federer, mais surtout celles d’un David Ferrer [ex-n° 3 mondial], d’un Roberto Bautista Agut [ex-n° 9] ou encore d’un Daniil Medvedev [actuel n° 4 mondial], des joueurs beaucoup plus laborieux, mais qui ont malgré tout réussi. Federer, c’est décourageant quelque part.

N’y avait-il pas chez certains joueurs la volonté de l’imiter et de se brider émotionnellement, comme lui l’avait fait, au risque de rendre le vestiaire trop aseptisé ?

Je trouve cette remarque exagérée, il y a quand même des forts caractères dans le vestiaire. Après, Federer n’a jamais communiqué là-dessus, mais je pense qu’il faisait un travail mental important, qu’il était suivi et épaulé de façon à être le plus performant de ce côté-là aussi. Mais quand on voyait l’émotion dans ses yeux après une balle de match, on se rendait compte que, même s’il ne montrait rien, à l’intérieur c’était une cocotte-minute.

Quels moments de sa carrière garderez-vous plus particulièrement à l’esprit ?

Je garde en mémoire sa victoire à Roland-Garros en 2009, parce que, des fenêtres de tir, il n’y en avait pas beaucoup [au regard de la domination de Rafael Nadal] et qu’il fallait la saisir cette année-là. Je retiens aussi des finales mémorables à Wimbledon, notamment face à Andy Roddick [en 2009, remportée par le Suisse 5-7, 7-6, 7-6, 3-6, 16-14] et contre Nadal [surtout celle de 2008, gagnée par l’Espagnol 6-4, 6-4, 6-7, 6-7, 9-7].

Son chef-d’œuvre, ou peut-être la fois où il m’a le plus épaté, c’est contre Nadal en 2017 à Melbourne. Il a 36 ans, il revient de blessure et, pour son premier tournoi, il s’impose et récupère la place de numéro un mondial un mois plus tard… C’était monumental. Personne n’aurait mis une pièce sur lui, probablement que lui aussi y croyait peu.

Il semble avoir été le premier à avoir programmé sa longévité…

Il a toujours géré son calendrier pour durer, Pierre Paganini [son préparateur physique] est un monstre dans son domaine. Il y a trois personnes-clés dans sa carrière : Mirka [sa femme], Paganini et Séverin Lüthi [son coentraîneur]. Roger a souvent travaillé avec deux entraîneurs, Séverin est toujours resté.

Cette organisation en interne revêtait néanmoins un aspect extrêmement secret…

A chaque fois que quelqu’un s’exprime sur Roger, ça fait parler. Tout le monde a envie de savoir comment il vit, ce qu’il mange, où il dort et part en vacances. Forcément, les gens qui sont dans sa bulle ont, de manière contractuelle, certaines obligations. Mais tout ceci est dans l’intérêt de tous, pour le protéger. Aujourd’hui, c’est peut-être le seul parmi les plus grandes stars du sport avec zéro zone d’ombre ou dérapage.

Source: Le Monde avec AFP

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