« L’effet cumulé des fortes pluies et des retards dans l’expédition et le transport vers le site [des équipements miniers, Ndlr] a conduit la direction à prendre la décision prudente d’annoncer un retard potentiel de quelques semaines dans la première production, au début du premier trimestre 2025 », explique Bernard Aylward, PDG de Kodal Minerals. Plusieurs éléments permettent d’espérer le début de la production à Bougouni début 2025, comme l’extraction du minerai pour constituer des stocks qui seront traités au moment de la mise en service de l’usine. L’usine de traitement préfabriquée est d’ailleurs arrivée sur le site et son installation a commencé.
Selon les plans de Kodal, la première phase d’exploitation devrait voir la mine livrer annuellement 125 000 tonnes de concentré de lithium durant quatre ans, grâce à un investissement initial de 65 millions de dollars. La phase 2 permettrait ensuite de produire 230 000 tonnes de concentré par an entre 2028 et 2036. « La construction de la ligne de flottation pour la phase I du projet de spodumène de Goulamina est en cours de finalisation, et la ligne de concassage a été achevée et activée pour commencer à concasser le minerai pour la réserve, et devrait produire le premier lot de produits de spodumène au cours de cette année », a également noté Ganfeng dans un rapport d’août 2024.
Un report de mise en service dans un contexte d’effondrement du prix du lithium
Le report de la mise en service de la mine de Bougouni intervient dans un contexte où les prix du lithium se sont effondrés, avec une baisse de 90% entre décembre 2022 et début septembre 2024 selon Benchmark Mineral Intelligence.
Selon l’évaluation quotidienne de la firme Fastmarkets, le prix du spodumène de lithium est passé d’une fourchette de 2500 à 2700 dollars la tonne le 21 janvier 2022, à une fourchette de 720 à 770 dollars la tonne le 11 septembre dernier. Benchmark Mineral Intelligence a évalué de son côté le prix du spodumène à 818 dollars la tonne, contre un record de 6401 dollars la tonne en décembre 2022, soit une baisse d’environ 90 % en moins de deux ans. Les prix de l’hydroxyde et du carbonate de lithium de qualité batterie ont par ailleurs plongé ces deux dernières années, passant d’un pic à plus de 70 000 dollars la tonne en 2022 à environ 11 000 dollars la tonne en septembre 2024. Les prix ont baissé notamment parce que la demande mondiale de lithium a augmenté moins rapidement que l’offre. À titre d’exemple, la production de lithium a plus que doublé au cours des trois dernières années pour atteindre 194 000 tonnes en 2023 selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), en hausse de 81% par rapport à 2021. Dans le même temps, l’institution a évalué la demande mondiale à 165 000 tonnes, contre 101 000 tonnes en 2021, soit une croissance de « seulement » 63% en deux ans.
Arrivée des batteries sodium-ion, un coup dur pour le lithium
L’arrivée des batteries sodium-ion pourrait donner du fil à retordre aux pays africains producteurs de lithium. Même si elles ne sont pas encore adaptées à certaines applications comme les smartphones et les ordinateurs portables, les batteries au sodium pourraient engendrer une réduction de la demande mondiale de lithium allant jusqu’à 37%, d’ici à 2035. Les batteries sodium-ion, qui commencent à être adoptées par de grands constructeurs automobiles pour produire des voitures électriques plus abordables, pourraient pousser les pays africains producteurs de lithium et les compagnies minières spécialisées à réduire leurs ambitions, selon un rapport publié le 28 juillet 2023 par Ecofin Pro, la plateforme de l’agence Ecofin dédiée aux professionnels de plusieurs secteurs. Intitulé « Alerte sur le marché du lithium : les premières batteries au sodium sont annoncées en Chine », le rapport rappelle que la première génération de batteries sodium-ion a été lancée en 2021 par l’entreprise chinoise CATL, qui compte parmi ses clients les géants automobiles Tesla, BMW ou Volkswagen. Mais les recherches ont beaucoup évolué en moins de deux ans, à telle enseigne que le premier cas d’utilisation de cette technologie est intervenu au quatrième trimestre 2023. CTAL a confirmé que le constructeur automobile chinois Chery est le premier à utiliser ses batteries au sodium dans son modèle de véhicules à énergie nouvelle (NEV).
L’intérêt croissant des constructeurs automobiles pour les batteries au sodium tient au fait que cette technologie alternative est moins onéreuse que le lithium. Une batterie au sodium coûte 20% moins cher par kilowattheure qu’une batterie au lithium. Cela s’expliquerait par le fait que le sodium est beaucoup moins cher que le lithium, car beaucoup plus abondant (dans les sels de roche et les saumures du monde entier) et mieux réparti sur le globe. La fabrication d’une batterie sodium-ion ne nécessite pas également de nickel ou encore de cobalt, comme c’est le cas dans les cellules de batteries lithium-ion. De plus, l’extraction du sodium est moins coûteuse et plus respectueuse de l’environnement que l’extraction du lithium. Ainsi, le remplacement du lithium par le sodium permettrait de réduire de 10% le coût d’un véhicule électrique.
Au regard de cette situation, l’on peut dire que l’espoir tant suscité par la découverte de ce minerais au Mali risque de ne pas être comblé. Les autorités et les populations devraient revoir leurs ambitions à la baisse par rapport à l’exploitation du lithium.
Cyrille Coulibaly
Source: Nouveau Réveil