La tragédie du Soudan n’est pas seulement préjudiciable à l’Afrique, elle cause aussi d’énormes souffrances à la population du pays, qui est affectée socialement, économiquement et politiquement
Le conflit qui a éclaté au Soudan, le week-end dernier, sape les acquis démocratiques du continent, ainsi que l’agenda de l’Union africaine visant à “faire taire les armes” en Afrique, selon des analystes africains.
“Le conflit actuel sape les efforts visant à garantir que la démocratie puisse prévaloir dans la région, notamment dans les grands pays comme le Soudan, qui a connu auparavant la violence et l’instabilité et qui était censé s’engager dans une ère de paix”, a déclaré, mardi, Kealeboga Maphunye, politologue à l’Université d’Afrique du Sud, dans une interview accordée à Anadolu.
Maphunye a affirmé que ce conflit compromettait également les objectifs à long terme de l’Union africaine en matière de paix, de stabilité, ainsi qu’à l’objectif de “faire taire les armes”, une initiative phare de l’Agenda 2063 de l’UA, qui aspire à mettre fin à toutes les guerres et à tous les conflits, à prévenir les génocides et à éradiquer la violence fondée sur le genre.
“Les conflits au Soudan et dans d’autres parties du continent ont pour effet de freiner les avancées de l’Afrique en matière de démocratie”, a déclaré à Anadolu le professeur Lesiba Teffo, de l’université d’Afrique du Sud.
Selon lui, l’Afrique a réalisé des progrès démocratiques au cours des dix dernières années et l’on avait des raisons de croire que le continent entrait dans une nouvelle phase, où les élections crédibles et la bonne gouvernance seraient la norme, mais les conflits et les coups d’État sont en train de réduire ces progrès à néant.
“La tragédie du Soudan ne fait pas seulement reculer l’Afrique, elle cause aussi d’énormes souffrances à la population du pays, qui est affectée socialement, économiquement et politiquement. La situation est telle qu’il y a notamment des milliers de personnes déplacées et des écoles qui ferment leurs portes”, a-t-il expliqué.
** Le conflit est extrêmement préjudiciable
Selon le professeur Maphunye, le conflit est extrêmement préjudiciable aux objectifs à long terme de l’Afrique en matière de démocratie, ainsi qu’aux pays en difficulté, en particulier dans la région du Sahel.
Lesiba Teffo a, quant à lui, accusé les dirigeants africains de conduire à des crises lorsqu’ils sont renversés ou que les masses se soulèvent contre eux, du fait qu’ils ne respectent pas leur mandat et s’accrochent au pouvoir, jusqu’à en arriver à fonder des dynasties dans leurs pays.
“Les dirigeants africains qui restent trop longtemps au pouvoir, à l’instar de l’Ougandais Yoweri Museveni et du Camerounais Paul Biya, contribuent à faire régresser l’Afrique. Lorsque les gens prennent les armes, c’est parfois à cause des présidents en exercice et des partis politiques qui pensent qu’ils ont été investis d’un droit divin leur permettant de gouverner en dépit de leurs piètres performances”, a-t-il déclaré.
Interrogé sur la capacité de l’Union africaine à mettre fin au conflit au Soudan, qui a fait au moins 270 morts, (selon le dernier bilan- ndlr) à la suite d’affrontements entre les forces armées soudanaises et le groupe paramilitaire des Forces de soutien rapide (FSR), Lesiba Teffo a répondu : “L’UA est un bouledogue édenté. Elle n’a pas servi les peuples (du continent) avec gloire et honneur. Ce sont les dirigeants africains qui font échouer l’organisation, en raison de leur tendance à se protéger les uns les autres”.
Selon lui, les dirigeants africains s’entraident, craignant d’avoir un jour besoin de se réfugier chez un voisin lorsqu’ils fuiront leur pays après avoir été renversés.
Et d’affirmer que les blocs régionaux sont plus efficaces que l’Union africaine en termes de règlement des conflits, citant l’exemple de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) qui, en 2017, est intervenue avec succès en Gambie lorsque le président Yahya Jammeh a refusé de quitter le pouvoir.
** Le conflit soudanais demeure du ressort de l’Union africaine
Selon Kealeboga Maphunye, le conflit en cours au Soudan reste du ressort de l’Union africaine.
“À mon avis, l’UA a la capacité et la volonté politique de traiter de tels conflits dans l’espace géopolitique de l’Afrique”, a-t-il déclaré, ajoutant qu’il serait préjudiciable au rôle de l’organe continental, chargé de toutes les questions en Afrique, d’attendre l’intervention de puissances extérieures.
Maphunye estime que le conflit étant plus complexe, il nécessite davantage d’efforts de collaboration entre l’Union africaine, en tant que chef de file, et d’autres acteurs, notamment les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite, pour aider à la médiation.
“C’est le rôle de l’Afrique, par l’intermédiaire de l’UA, de montrer qu’elle peut résoudre le conflit sans ingérence extérieure… La région est instable. Le Sud Soudan, le Tchad et l’Éthiopie, par exemple, ont tous connu des conflits”, a-t-il estimé.
Selon lui, l’Union africaine devrait remettre à l’ordre du jour son idée de créer une force permanente de réserve, capable de stabiliser temporairement un pays susceptible de sombrer dans la guerre civile, le chaos ou l’instabilité militaire.
Pour le professeur Maphunye, une telle force pourrait contribuer à régler les conflits lorsqu’ils éclatent, et bien avant que ceux-ci ne deviennent incontrôlables.
“Il est nécessaire de mettre en place un mécanisme permanent de règlement des conflits et des différends au sein de l’Union africaine […] La Commission de l’UA devrait se pencher sur l’élaboration d’un tel mécanisme”, a-t-il ajouté.
Source : AA