Des dizaines de magasins tenus par des étrangers ont été attaqués et pillés ces derniers jours à Soweto, au sud-ouest de Johannesburg. Des violences déclenchées après la mort d’un adolescent abattu par un commerçant somalien lors d’un vol dans sa boutique.
L’adolescent de 14 ans a été tué par balle le 19 janvier alors qu’il tentait de voler dans un magasin appartenant dans un commerce de Snake Park, dans l’ouest de Soweto, un des plus grands bidonvilles d’Afrique. L’un de ses complices a également été blessé. L’incident a provoqué la colère de la population locale, qui s’est retournée dans la soirée contre les commerçants d’origine étrangère du quartier, en pillant leurs magasins.
“Des amis à moi, que je croyais ouverts d’esprit, se trouvaient aussi dans les pillards”
La vague de violence s’est ensuite propagée à d’autres quartiers pendant plusieurs jours. Lungile Buale se trouvait jeudi à Dube Village, dans l’est du township, où elle a été témoin d’une de ces attaques.
162 interpellations, 10 marchands en possession illégale d’armes à feu
Face à cette violence, de nombreux commerçants ont fermé leur magasin et fui la zone, tandis que d’autres se sont enfermés chez eux. Deux commerçants étrangers ont confirmé à France 24 avoir été exfiltrés de leur boutique par la police sud-africaine, et que certains n’avaient aucun endroit où aller, voire aucune ressource.
Si les forces de l’ordre ont assuré l’évacuation de plusieurs vendeurs, un policier s’est toutefois illustré en participant aux pillages et a été filmé par un habitant du quartier Dobsonville. La police a annoncé vendredi matin qu’il avait été identifié et serait poursuivi par la justice.
Vendredi soir, le bilan s’élevait à 162 interpellations, parmi lesquels des émeutiers et des commerçants. Selon le porte-parole de la police, onze personnes, dont dix marchands étrangers, étaient en possession illégale d’arme à feu. Outre l’adolescent de 14 ans, au moins deux autres personnes auraient été tuées dans les émeutes mercredi et jeudi, selon des journalistes locaux.
Les Sud-Africains qui s’en prennent à ces étrangers sont les premiers à venir leur acheter des produits car ils sont moins chers
Ce n’est pas la première fois que Soweto connait des affrontements entre Sud-Africains et marchands étrangers : en 2008, une vague de violence xénophobe avait fait 62 morts et des centaines de blessés dans le bidonville. À cette époque, le pasteur Trevor Amafu Nthlota faisait parti d’un groupe de médiateurs chargé d’apaiser les tensions. Cette année, il est de nouveau sur le terrain pour tenter d’apaiser les esprits.
Mais l’arrivée de cette nouvelle concurrence a été trop rapide pour les communautés noires défavorisées, notamment à Soweto. Les étrangers ont su rapidement s’organiser entre eux pour se procurer des produits à bas prix, très compétitifs. Ces commerces ne sont d’ailleurs pas soumis à des contrôles ou aux taxes, contrairement à beaucoup d’épiceries tenues par des Sud-Africains [selon d’autres médiateurs contactés par France 24, la plupart des vendeurs étrangers ont commencé en louant des maisons à des Sud-Africains pour ensuite les aménager en commerce, ndlr.].
Les marchands étrangers, sont également mal vus car ils habitent souvent dans leur magasin, ne se mélangent pas beaucoup avec les Sud-Africains et n’embauchent pas de locaux.
Le paradoxe aujourd’hui, c’est que ceux qui s’attaquent aux boutiques des étrangers sont les premiers à venir leur acheter des produits, car ils sont moins chers que chez un vendeur sud-africain.
Je suis assez inquiet de voir de très jeunes Sud-Africains, qui n’ont pas connu l’apartheid, avoir autant de rancœur envers des communautés identifiées. Beaucoup considèrent ces marchands étrangers comme symbole de leurs maux : la plupart des habitants sont au chômage [entre 50 à 65 % de la population selon les quartiers, ndlr] et pour eux, c’est comme si ces vendeurs leurs “volaient” le travail disponible. Sept ans après, je constate que cette frustration économique et sociale est toujours là.
Pour tenter d’endiguer les tensions liées à l’immigration massive, le président Jacob Zuma a mis en place une nouvelle législation migratoire, plus restrictive, après son élection en juin dernier. Par exemple, toute personne ayant dépassé son titre de séjour peut désormais êtreinterdite de territoire entre 2 à 5 ans.
Selon le dernier recensement, qui date de 2011, près de 1,8 million d’étrangers vivrait dans ce pays de 51 millions d’habitants, des chiffres sous-estimés selon certaines associations qui évoquent entre 4 à 5 millions d’étrangers sur tout le territoire.