Dans cet entretien, l’ancien ministre et écrivain, Seydou Badian, parle des qualités exceptionnelles de l’ancien président, Modibo Keïta, des capacités d’IBK à relever les défis, de l’armée, de la jeunesse malienne et de la domination de notre pays par le grand capital international. Il suggère aux autorités maliennes l’orientation de notre coopération vers la Russie et la Chine.
L’Inter de Bamako : Quelles sont les qualités d’un dirigeant exemplaire ?
Seydou Badian : Le dirigeant exemplaire est celui qui ne se bat pour ses intérêts privés. Un tel chef n’a pas de penchant pour l’argent qui est un pouvoir de perversion de l’homme. Modibo Keïta était de ceux des rares hommes qui considéraient l’argent comme un simple moyen d’échange de toutes les marchandises.
Pour le premier président de la République du Mali, l’argent souille la personnalité de l’homme, le désoriente, le pervertit, l’aliène. A la mort de Modibo Keïta, il avait en tout dans son compte la modique somme de trois cents mille francs maliens (300.000), soit 150.000 francs CFA. C’est là un exemple pour dire à la postérité que ce n’est pas l’argent qui fait le bonheur. Lorsque l’argent fait tomber une nation, elle fera une chute libre aux conséquences incalculables.
Hélas, notre pays est aujourd’hui sous l’emprise de l’argent. Cela signifie qu’il est à la merci du grand capital international. L’on comprend donc pourquoi, depuis l’adhésion de notre pays au PAS (Programme d’ajustement structurel), les conditions de vie de notre peuple ne cessent de dégringoler aux dépens de son mieux- être socio-économique fondamental.
Ainsi, de 1983 à nos jours, les travailleurs végètent dans la misère crasse. La suite n’échappe à personne : le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale font chez nous depuis près de trois décennies la pluie et le beau temps, nos dirigeants s’étant installés dans la bourgeoisie nauséabonde. Rares sont ces hauts fonctionnaires maliens qui n’ont pas un compte bancaire en Europe et une résidence en Europe et en Amérique. Certainement, la voix de Modibo n’a pas retenti dans leurs oreilles. Aujourd’hui, au nom de l’argent, notre peuple est humilié, indigné, réduit à sa plus simple expression.
L’Inter de Bamako : Que faire pour redonner confiance au peuple du Mali ?
Seydou Badian : Pour redonner confiance à ce peuple, il est impérieux pour le Mali, de revoir son orientation politique et sa stratégie de coopération. Il est donc nécessaire de donner un élan nouveau à la coopération entre le Mali et la Russie, d’une part, et d’autre part, entre notre pays et la Chine. A travers ces relations, notre pays doit renforcer sa coopération avec la République démocratique et populaire de Corée, le Venezuela, Cuba et tous les pays africains d’orientation progressiste.
L’Inter de Bamako : IBK est-il sur cette voie ?
Seydou Badian : IBK est, à mes yeux, sur cette voie. Tout au moins, je le souhaite vivement. La situation du Mali n’est pas facile. Voici une anecdote assez intéressante pour nous Maliens : un dirigeant chinois s’est trouvé en Chine : le peuple demandait de lutter contre la corruption ; mais il y avait le risque de perdre bien de cadres du parti. «Vous me demandez de lutter contre la corruption ! Si je lutte contre la corruption, je perds mon parti ; si je ne lutte pas contre la corruption, je perdrai mon peuple. Il me faut lutter contre la corruption pour rester en accord avec le peuple.»
L’Inter de Bamako : Quel est le message que vous-voulez transmettre à la nouvelle génération ?
Seydou Badian : Le clientélisme, l’achat de conscience, l’injustice, le «moussalaha», ne mèneront le Mali qu’à l’abime pour ce qui reste de sa grandeur des années d’indépendance. Il faut à la jeunesse malienne et aux dirigeants du courage, de la témérité. Si la jeunesse malienne ne s’implique pas véritablement dans la gestion des affaires du Mali, elle assistera impuissante à la montée fulgurante des brigands qui n’ont nul droit de revendiquer les biens de notre peuple.
L’Inter de Bamako : Voulez-vous faire sienne cette célèbre phrase de votre compagnon Modibo Kéita : «lorsque les vrais propriétaires deviennent des spectateurs, c’est le festival des brigands» ?
Seydou Badian : C’est un appel que je lance à la jeunesse. Je suis optimiste pour un Mali nouveau, parce qu’il y a rencontre des militants décidés à se battre pour bâtir une société nouvelle, encore à naître. Mais cela ne se fera pas sans mal. Ce chantier, d’où peut émerger une nouvelle nation, est une bataille plus difficile encore que la lutte contre la corruption. Et, pour cela, les progressistes maliens ont besoin d’une solidarité nationale. Le Mali ne sera ce que les Maliens en feront.
L’Inter de Bamako : Les fonds récoltés des ventes des ressources minières peuvent-ils rendre notre balance excédentaire ?
Seydou Badian : Oui absolument. Les fonds publics sont mal gérés. Notre pays renferme des richesses colossales. Faléa est un plateau d’uranium. A Kati, il y a le gaz. Partout au Mali, il y a le gaz. Il y a le pétrole dans le sous-sol malien. La présence de l’or presque partout prouve à suffisance qu’avec des dirigeants intègres et patriotes notre pays peut amorcer un développement durable à l’avantage des peuples.
Les Soviétiques connaissent bien notre sous-sol pour l’avoir exploré. Les produits alimentaires coulent à foison chez nous. Il suffit de les rentabiliser pour que le peuple malien en soit exportateur. Nos gouvernants peuvent construire des usines de toutes sortes comme une usine de transformation de sésame, de jus de citron, de jus de tamarin, de poids de terre, d’orange, etc. Cela ajouté aux potentialités de l’Office du Niger (environ 1.700.000 de terres cultivables), les Maliens peuvent se nourrir.
L’Inter de Bamako : Qu’en est-il de l’armée malienne ?
Seydou Badian : Un colonel français m’a dit que l’armée malienne est démobilisée, démoralisée, détruite. Eloigné de la chose militaire, le peuple malien ignore complètement cette triste réalité de notre armée qui avait imposé le respect du Mali par le passé. Surtout, le cinquantenaire de l’accession de notre pays à la souveraineté nationale a laissé croire que non seulement notre armée était bien équipée, mais aussi hautement opérationnelle.
A la surprise générale, le peuple a découvert que son armée a été sabotée, disloquée, sous-équipée et cela c’est la rébellion de 2012 qui l’atteste éloquemment. Pour nous, il faut que les responsabilités soient situées, les responsables de la déconfiture du tissu militaire démasqués et chacun d’entre eux à la hauteur des fautes commises. Nous n’avons pas en face de nous le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA), mais bien plutôt les politiciens français et leurs rares amis maliens. Je souhaite à notre jeunesse courage et longévité.
Réalisé par Fodé KEITA