«La « démocratie » a fini par faire pire que la dictature, surtout au niveau de la qualité des ressources humaines. Elle a injecté sur la scène politique toutes sortes de gens, parfois de véritables voyous. Les éléments les plus sains ont fini par être, presque tous, marginalisés au profit d’une génération spontanée de politiciens sans foi ni loi », écrivait en mai 2014, Pr Issa N’Diaye, philosophe, homme politique et non moins acteur du mouvement démocratique dans une tribune publiée sur le site de Médiapart sous le titre « Faut-il désespérer du Mali d’IBK ».
Le Mali célèbre demain mardi 26 mars la chute du régime de Moussa Traoré et son parti unique constitutionnel, l’Union Démocratique du Peuple Malien (UDPM). A cette occasion, le Président de la République, Ibrahim Boubacar Kéïta, se rendra au Monument des Martyrs pour rendre hommage à ceux qui ont consenti le sacrifice ultime pour l’avènement de la démocratie.
Le 26 mars 1991, l’armée malienne conduite par le Lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré, alias ATT, parachevait une insurrection populaire en mettant fin aux 23 ans de règne de Moussa Traoré et compagnie. Démocratie, liberté, Kokadjé (laver proprement), sont les slogans que scandaient les manifestants demandant l’ouverture démocratique.
28 ans après, la démocratie est là. Des libertés publiques sont acquises. Des infrastructures ont changé le visage du pays. Quand bien même ça reste une goutte d’eau dans un océan de misères. Encore que l’extrême gravité de la situation prévalant actuellement au Mali interpelle, devant le tribunal de l’histoire, tous ceux qui ont géré les affaires publiques depuis mars 1991. Un système sanitaire et éducatif au rabais ! Une justice minée par la corruption ! Une armée incapable d’assurer ses missions régaliennes. Un pays au bord de la partition !
28 ans après la chute de Moussa Traoré, la démocratie malienne souffre de l’injustice sociale, de l’arbitraire, de la corruption, du népotisme, du favoritisme, des alliances opportunistes, contre-nature voire incestueuses. Le mensonge, l’hypocrisie, la démagogie ont été érigés en système de gouvernance. Aujourd’hui, on assiste à deux camps : celui des gens qui possèdent tout, et d’autre part, celui de ceux qui n’ont rien. Les ressources financières nationales sont devenues un puits intarissable pour une petite minorité alors que la populace broie du noir. La gouvernance a enfanté une génération spontanée de milliardaires. Tout le monde connaît la provenance des fortunes colossales amassées sur le dos du peuple.
La faillite des « démocrates convaincus » et des « patriotes sincères » dont certains ont trahi leur propre conviction sur l’autel des ambitions personnelles et égoïstes, ne saurait remettre en cause la lutte héroïque menée par les forces vives de la nation pour chasser Moussa Traoré et ses compagnons.
Chaque cause a ses traitres, dit-on. Les traîtres de la démocratie et des idéaux des martyrs ont pignon sur rue. Ils narguent aujourd’hui le peuple avec leurs « butins de la démocratie », pardon le salaire de leur traîtrise. Les déviances et les dérives de l’ère démocratique sont essentiellement dues au manque de vigilance du peuple.
L’état dans lequel se trouve le pays est tel qu’il faut nécessairement un sursaut national. Cependant la reconquête par le Mali de sa place dans le concert des nations pourrait-elle s’opérer avec une telle élite aux commandes des affaires publiques depuis la chute du dictateur ? Le changement dont rêvaient les martyrs de mars 1991 est-il possible ? Oui, le changement est bel et bien possible. Mais pas avec ces acteurs qui s’échangent les rôles au sein de l’appareil d’Etat depuis 28 ans. Il faut se réveiller. Et dès maintenant !
Chiaka Doumbia
Le Challenger