Depuis le 9 janvier 2017, les juridictions administratives et judiciaires sont paralysées par une grève du Syndicat Automne de la Magistrature (SAM) et du Syndicat Libre de la Magistrature (SYLIMA). Les deux syndicats des magistrats réclament une augmentation de salaires, d’indemnités et de meilleures conditions de travail. Le week-end dernier a été riche en événements dans ce bras de fer qui oppose le gouvernement aux syndicats des magistrats. Le Président du SAM qui a suspendu le mot d’ordre de grève à la télévision nationale a été désavoué par sa base. Au cours d’une assemblée générale, les magistrats persistent et signent que la grève continue, tout en laissant la porte ouverte au dialogue.
Le dimanche 5 février, le Ministre de la Justice, Me Mamadou Ismaël Konaté, invité au Journal télévisé de 20 h, a étalé les propositions du gouvernement pour satisfaire les doléances des magistrats. Le ministre menace les grévistes de suspension de salaires et n’exclut pas de recruter de nouveaux magistrats si la grève se poursuivait. Le lendemain, les syndicats des magistrats ont maintenu le mot d’ordre au cours d’une assemblée tenue à la Cour d’appel de Bamako. D’un constat général, ce mot d’ordre est largement observé dans les cours et tribunaux. Les intimidations du ministre Mamadou Ismaël Konaté n’ont pas fait bouger les choses. Et le gouvernement a repris langue avec les grévistes. Entre le gouvernement et les syndicats des magistrats, qui est donc de mauvaise foi ? Les magistrats sont-ils dans le maximalisme ?
Le véritable enjeu de ce bras de fer ne se situe pas au niveau de la capacité du gouvernement à satisfaire financièrement les revendications des syndicats des magistrats mais plutôt dans une tentative de l’Exécutif de caporaliser le corps judiciaire. Depuis 2013, le Ministère de la Justice est l’un des départements les plus instables. Quatre ministres se sont succédé à la tête de ce département. Pourquoi ce changement à chaque remaniement ministériel ? Un signe que les rapports sont difficiles entre l’exécutif et le corps judiciaire.
Le pouvoir exécutif dont les principaux animateurs se sont installés dans un népotisme et une cupidité sans égal, ne veut nullement l’avènement d’une justice véritablement indépendante. On veut des magistrats aux ordres. Dans ce pays où la Constitution consacre la séparation des pouvoirs, personne ne peut nier la manipulation et l’instrumentalisation de la justice à des fins politiques et mercantiles. Combien de Procureurs intègres que l’on ne peut pas contrôler ont été démis de leurs fonctions au vu et au su de celui qui se glorifie de n’avoir jamais donné un ordre à un juge.
Personne ne peut remettre en cause l’intégrité et la détermination de cadres comme Daniel Tessougué et Mohamed Sidda Dicko pour l’avènement d’une justice au service exclusif du peuple. Et pourtant ils ont été relevés de leurs fonctions. Les magistrats qui refusent de porter le collier et la muselière sont relevés par le Conseil supérieur de la magistrature dans des conditions s’apparentant à de l’humiliation. L’argument brandi jusque-là selon lequel l’Etat n’a pas les moyens, ne tient pas la route.
Il y a des ressources. Depuis vingt ans, le problème est qu’une petite bourgeoisie arrogante et insolente profite des ressources publiques au détriment des masses laborieuses. L’autre argument selon lequel le pays est dans une situation difficile est inopérant. Le comportement de tous les jours de nos gouvernants est loin de refléter cette situation de crise. La corruption de certains acteurs de la justice est un autre débat dissociable des revendications des syndicats de magistrats. C’est une lapalissade que de dire que la justice malienne est un vecteur de propagation de l’injustice.
Dans un dialogue franc et constructif sans fuite en avant, ni manipulation, encore moins de mensonge et d’hypocrisie, le gouvernement et les syndicats des magistrats doivent se mettre d’accord pour abréger la souffrance des justiciables.
Par Chiaka Doumbia