Selon une nouvelle enquête menée entre les 26 et 28 avril par la Fédération internationale des Journalistes auprès de 1308 journalistes originaires de 77 pays, 75% des répondants ont subi des restrictions dans leur travail ou ont été confrontés à des obstructions et à des intimidations lors de reportages sur le Covid-19. Deux tiers des journalistes salariés et indépendants ont également été victimes de réductions de salaire, de pertes de revenus ou de primes, de suppressions d’emploi et ont constaté une détérioration de leurs conditions de travail.
L’enquête a également révélé qu’à la suite de la pandémie Covid-19 :
- Presque tous les journalistes indépendants ont perdu des revenus ou des opportunités de travail.
- Plus de la moitié des journalistes souffrent de stress et d’anxiété.
- Plus d’un quart d’entre eux ne bénéficient pas des équipements essentiels pour travailler en toute sécurité depuis leur domicile, tandis qu’un sur quatre n’a pas d’équipement de protection pour travailler sur le terrain.
- Des dizaines de journalistes ont été arrêtés, poursuivis en justice ou agressés.
- Plus d’un tiers des journalistes ont changé de sujets pour se consacrer à la couverture des événements liés à Covid-19.
Interrogés sur l’état de la liberté de la presse dans leur pays, la grande majorité des personnes interrogées ont déclaré que la situation avait empiré avec la crise. De la Grèce à l’Indonésie, du Tchad au Pérou, le champ lexical est inquiétant : « précaire », « problématique », « terrible », « pire », « en déclin » et « restreint » sont quelques adjectifs employés pour résumer la situation.
De même, un grand nombre ont déploré les conséquences de la pandémie sur la qualité du travail des journalistes : pertes d’emploi, diminution des heures supplémentaires et des moyens sont autant d’obstacles à une couverture adéquate de la pandémie. Dans de nombreux pays, l’absence de protection sociale et de conditions de travail décentes décourage aussi ces professionnels.
Une journaliste indépendante péruvienne a déclaré à la FIJ : « L’État n’était pas préparé à cette pandémie : il y a des secteurs totalement abandonnés par les autorités, la corruption continue et, dans le même temps, les entreprises de presse ont montré qu’elles n’avaient aucun moyen de soutenir les salariés et faire face à la chute des recettes. De nombreuses familles sont tombées dans la pauvreté ».
Une journaliste grecque a ajouté : « Je travaille plus, mais je gagne moins d’argent et le propriétaire du journal pour lequel je travaille nous doit, à moi et à mon collègue, plus de 7 mois de salaire. Et le gouvernement n’apporte aucune réponse ».
De nombreux journalistes se sont plaint aussi des attaques croissantes contre la liberté des médias. Près d’un journaliste sur quatre a déclaré avoir rencontré des difficultés pour accéder aux informations provenant du gouvernement ou aux sources officielles. Beaucoup ont déclaré avoir été verbalement attaqués par des personnalités politiques. D’autres se sont plaints des restrictions imposées lors des conférences de presse ou des difficultés de circuler pendant la crise, et ce malgré leur carte de presse. Certains ont pointé que la place accordée aux sujets liés au Covid-19 a conduit à ignorer d’autres questions toutes aussi importantes.
Une journaliste brésilienne a déclaré : « Le gouvernement fédéral méprise les journalistes. Il attaque la presse chaque jour à propos des informations qu’elle publie, nous discrédite et nous humilie ».
Un confrère indien a ajouté : « La liberté de la presse est complètement étouffée, confinée. Des journalistes ont été arrêtés pour avoir publié des articles mettant en évidence les lacunes du gouvernement ».
Mais beaucoup saluent les journalistes qui mettent en péril leur propre sécurité en publiant des reportages sur la pandémie et qui tentent de trouver des sources indépendantes afin de contrer la désinformation.
Un journaliste portugais a répondu : « Nous devons admettre que le contexte est mauvais : plus de communiqués de presse, moins de reportages réels, conférences de presse sans questions, heures de travail en hausse, confinement, mais dans le même temps explosion des appels téléphoniques, conditions de travail difficiles… Mais on a aussi l’impression de vivre des moments extraordinaires car les journalistes réagissent, sont plus motivés pour partir en reportages. Comme pour les médecins et le personnel de santé, c’est LE moment de faire du journalisme ».
Les résultats de l’enquête confirment enfin les appels lancés par la FIJ et les représentants de plus de 200 millions de travailleurs dans le monde entier en faveur d’une action urgente pour sauver des emplois, protéger les médias indépendants et financer un journalisme de qualité.
La Plateforme mondiale pour un journalisme de qualité, un appel lancé par les syndicats de journalistes de la FIJ dans 146 pays et soutenu par les grandes fédérations mondiales de travailleurs, exige des mesures urgentes pour protéger et renforcer le journalisme d’intérêt public, en instaurant notamment : - Une taxe sur les revenus des géants technologiques tels que Facebook et Google afin de créer un fonds mondial pour soutenir les médias indépendants.
- Des avantages fiscaux et sociaux pour les journalistes et les médias.
- Des campagnes publicitaires d’intérêt public pour soutenir les journaux locaux.
Le Secrétaire général de la FIJ, Anthony Bellanger, a déclaré : « Les résultats de cette nouvelle enquête mondiale de la FIJ montrent une fois encore que la liberté de la presse est partout en déclin, que le journalisme subit des coupes claires dangereuses au moment même où l’accès à l’information et à un journalisme de qualité est crucial. Le journalisme est un bien public, il mérite le soutien du citoyen et on doit mettre fin à toute obstruction et à toute ingérence politique ».
Notes pour les médias :
- 1308 journalistes ont participé à l’enquête dans 77 pays/territoires – Allemagne, Angola, Argentine, Australie, Belgique, Bhoutan, Bosnie-Herzégovine, Brésil, Burkina Faso, Cambodge, Cameroun, Canada, Chili, Colombie, Congo-Brazzaville, Costa Rica, Croatie, Chypre, Égypte, Équateur, El Salvador, Éthiopie, Finlande, France, Ghana, Grèce, Guatemala, Guyane, Hong Kong, Inde, Indonésie, Irak, Tchad, Irlande, Israël, Italie, Japon, Kenya, Lettonie, Luxembourg, Macao, Mali, Malte, Mauritanie, Mexique, Maroc, Népal, Pays-Bas, Nigeria, Macédoine du Nord, Norvège, Pakistan, Panama, Paraguay, Pérou, Philippines, Portugal, Sénégal, Serbie, Slovénie, Somalie, Afrique du Sud, Espagne, Sri Lanka, Suède, Suisse, Taiwan, Togo, Tunisie, Turquie, Royaume-Uni, Ouganda, Uruguay, États-Unis, Vanuatu, Venezuela, Vietnam
- 42% des répondants étaient des femmes, 58% des hommes.
- 57% avaient un emploi salarié, 43% étaient des indépendants.
Source: Fij