C’est par Bissau que le président Emmanuel Macron a bouclé la tournée (du 25 au 28 juillet 2022) qui l’a aussi conduit au Cameroun et au Bénin. Et visiblement, le président bissau-guinéen a été tellement fasciné par la présence de son homologue français qu’il a brillé par des prises de position immatures et fantaisistes visant certainement à séduire ce dernier. Et naturellement, le Mali n’a pas été épargné par Umaro Sissoco Embaló qui veut créer une force anti-putsch au niveau de la Cédéao.
Face à la presse aux côtés d’Emmanuel Macron de la France, le président Umaro Sissoco Embaló de la Guinée-Bissau a déclaré que la Cédéao envisage la création d’une «force anti-putsch». Selon lui, la création d’une force pourrait certainement contribuer à dissuader ou à mettre fin aux crises politiques et institutionnelles qui frappent la région depuis quelques années. Il a naturellement fait allusion à la prise de pouvoir par les militaires au Mali, en République de Guinée et au Burkina Faso. Et lui-même a failli être balayé par un putsch le 1er février dernier.
Ragaillardi ou enivré par la présence de Macron, le Bissau guinéen s’est à la limite ridiculisé par des comportements irresponsables et des déclarations fantaisistes mettant en évidence son immaturité politique. Ceux qui ont été outrés par ses propos sur notre pays, l’auraient été moins s’ils avaient vu les vidéos du bain de foule pris en compagnie de son hôte et sans doute parrain. Le président français (en chemise-cravate) a demandé à son homologue (par un geste très clair) «d’enlever sa veste».
Et, séance tenante, Umaro Sissoco Embaló s’est débarrassé de sa veste et de sa cravate. Le président Bissau guinéen avait déjà rallié les alliés de Macron (Alassane Dramane Ouattara, Mohamed Bazoum…) pour appuyer les sanctions économiques et financières de la Cédéao et de l’Uémoa contre le Mali. Les Maliens ne devraient donc plus être surpris par une convergence de vues entre son pays et la France dans le dossier malien.
Après avoir connu plus d’une douzaine de coups d’État ou de tentatives de coup d’État depuis son indépendance en 1974, et avoir été utilisée comme une voie de passage pour le trafic de drogue, la Guinée-Bissau a fait face à une tentative avortée de putsch le 1er février 2022. Cela justifie-t-il le fait que le jeune président du pays ait perdu le nord ? On dit que chat échaudé craint l’eau froide!
Mais, comme l’ont critiqué de nombreux intellectuels, journalistes et activistes sur les réseaux sociaux, sa proposition de force anti-putsch est «un non-sens ridicule». Et cela d’autant plus que les raisons profondes des derniers coups d’Etat en Afrique de l’ouest sont connues. En effet, l’irruption des militaires au-devant de la scène politique résulte souvent de problèmes sociopolitiques non résolus.
Dans notre pays par exemple, on s’est retrouvé dans une véritable impasse quand le dialogue politique s’est enlisé entre le régime de feu Ibrahim Boubacar Kéita et le Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP). La seule issue, pour éviter des affrontements dramatiques entre les deux camps, était la prise de pouvoir par le Comité national pour le salut du peuple (CNSP). Et ce fut aussi la même situation en République de Guinée où le dialogue était au point-mort entre Alpha Condé et ses opposants voire son propre camp à cause d’un 3e mandat contesté jusque dans son propre camp.
Pour le chef de l’Etat bissau-guinéen, seul le peuple a le droit de sanctionner les mauvais dirigeants. L’alternance est en effet la norme théorique de la conquête du pouvoir en démocratie. Sauf que dans nos Etats, le peuple n’a pas réellement le pouvoir de sanctionner dans les urnes si l’on sait généralement comment nos élections sont organisées. Combien de dinosaures ont tripatouillé la constitution de leur pays pour s’offrir un 3e mandat malgré l’opposition du peuple ? C’est pourquoi, lors du sommet extraordinaire de la Cédéao du 4 juin 2022 à Accra (Ghana), le président Mahamadou Buhari du Nigeria a exigé que des dispositions soient prises contre les dirigeants qui s’évertueraient à briguer un troisième mandat.
Pour endiguer les coups d’Etat, la Cédéao doit régler ces problèmes au lieu de «gaspiller de l’argent pour constituer une autre force mort-née». Que l’organisation sous-régionale crée les moyens de l’organisation d’élections crédibles et transparentes pour garantir l’alternance au pouvoir et surtout qu’elle s’oppose énergiquement aux modifications constitutionnelles (pour se maintenir au pouvoir) comme elle le fait avec les putschs. Une gouvernance dans le sens des vraies préoccupations des populations, des élections transparentes garantissant l’alternance… sont les vrais antidotes des coups d’Etat.
Moussa Bolly
Source : Le Matin