Depuis sa création, le 14 Octobre 1960, en remplacement de la Société Africaine d’Electricité (SAFELEC), la société Energie du Mali a bien évolué en termes de capital, mais jamais en termes de résultat. Ainsi, la mauvaise gestion des ressources financières, la corruption, la délinquance financières, les nominations par affinité à la tête de de la société, etc. ont toujours existé au sein de l’EDM.
Cette société d’Etat de production et de fourniture d’électricité est la principale et la seule à exercer sur toute l’étendue du territoire national. Aussi, si les délestages ne se faisaient sentir qu’à partir du mois de Mars jusqu’à Juillet, aujourd’hui, EDM étant ruinée, les populations passent les 12 mois de l’année dans le noir. Comment comprendre que les technologies avancent, mais qu’EDM régresse ? Comment analyser les 63 années d’échec de cette société où les salariés sont très riches, mais les moyens de production, de transport et de distribution d’électricité restent toujours anachronique ?
« Notre pays est confronté aujourd’hui à une crise aiguë dans la fourniture de l’électricité qui provoque des désagréments à la population. Il faut cependant rappeler que cette situation est consécutive à plusieurs années de mauvaise gestion et de manque de vision pour le développement de ce secteur stratégique. Conscientes de l’impérieuse nécessité d’atténuer les souffrances des populations et de trouver des solutions pérennes à cette crise, les autorités de la transition ont initié des actions sur le court, moyen et long terme. Ces actions ont concerné l’accélération du renforcement des équipements de production et de transport, le financement d’opérations immédiates, les réformes et l’amélioration de la gouvernance du secteur de l’énergie. Des projets structurants sont lancés avec nos partenaires », a déclaré le colonel Assimi Goïta, lors de son adresse à la nation, le 31 Décembre 2023.
Si le Ministre de l’Energie et de l’eau a eu le courage de s’asseoir sur un plateau de télévision nationale pour évoquer les problèmes qui font chuter la société EDM-SA, c’est que l’objectif de la refondation est toujours d’actualité. Ce qui est sûr, c’est que la justice a du pain sur la planche dans cette affaire. Le capital de la société est monté à 32 Milliards FCFA, en 2021. Mais les investissements en matière d’équipements de transport et autres n’évoluent pas.
« Quand les difficultés ont commencé à EDM, ils ont voulu payé de l’électricité avec Albatros Energy. En ce moment, je travaillais dans cette société de production d’électricité. Mais le constat était amer : EDM ne disposait pas de matériels pouvant transporter ce courant. C’est ce qui a retardé les choses. Et jusqu’au moment où je vous parle, la situation n’a pas évolué », a martelé un ancien travailleur de Albatros Energy, basée à Kayes.
En fait, en 63 ans, les Maliens paient leurs factures ; le peuple s’est habitué à tout faire avec l’électricité en acceptant le développement, etc. Mais en 63 ans, EDM ne nous a proposé que des centrales thermiques avec des groupes électrogènes à Gasoil. Où est le développement ? Et pourtant, les travailleurs de cette société sont les plus nantis au Mali. Donc, il y a toujours eu de la place pour la corruption (politique, administrative, sociale), le vol, la délinquance financière, la mauvaise gestion, etc.
Si le Président de la transition parle de manque de vision, il a tout à fait raison. Quelqu’un qui veut piller les ressources financière d’une société peut-il penser à son avenir ? D’ailleurs, sous les régimes politiques, les Directeurs Généraux de cette société n’étaient-ils pas nommés pour la piller ? Ils avaient généralement pour rôle de financer les activités des partis politiques et de maintenir certains leaders. Les recrutements se faisaient de la même manière : toujours par affinité politique, familiale, etc. « A l’EDM, les voleurs succédaient toujours aux voleurs aux postes de responsabilité. Comment cette société pouvait-il se développer ? », S’interroge un agent à laretraite, sous couvert d’anonymat.
C’est dans ces conditions d’incertitudes généralisées que les autorités de la transition ont pris le dossier de l’EDM en main. Et ce qui ressort, après plusieurs mois de gestion contrôlée est sans équivoque : des groupes électrogènes qui fonctionnent avec du fioul ont été modifiés afin de les faire fonctionner avec le gasoil pour se donner une certaine autonomie de vol du carburant ; l’achat de 80 Mégawatt avec la Côte d’Ivoire a été compromise compte tenu de la nouvelle dynamique diplomatique et militaire du Mali. C’est une société française qui fournit de l’électricité à l’énergie ivoirienne. Des fonds de la société, sortis pour acheter des groupes électrogènes en Turquie se sont retrouvés au Nigéria et des groupes en cartons que l’EDM a réceptionnés ont majoritairement brûlés à l’essai. Des millions de litre de gasoil disparaissent hebdomadairement, d’après le ministre de l’énergie et de l’eau. C’est dans ces conditions que la justice a ouvert une enquête. Actuellement, le dossier étant au niveau du Pôle Economique et financier, les informations font état de mise en garde à vue de certaines personnalités de la société. Ainsi, le 10 janvier 2024, le Pôle National Économique et Financier a placé en garde à vue des cadres de l’Énergie du Mali-SA (EDM-SA) pour présumé faux et usage de faux ; et atteinte aux biens publics. Il s’agit de Koureichi Konaré, ancien Directeur Général de la société ; Madame Aminata Niane, Secrétaire Général responsable du département juridique et du département contrôle des contrats et passation des marchés, complaisance et communication ; Mamadou Sidibé, chef du département contrôle des contrats et passation des marchés ; Boubacar Diallo, ancien Directeur Administratif et Financier, actuellement conseiller spécial du Directeur Général ; Joseph THERA, chef du département juridique ; Ousmane Traoré, ancien Directeur de la production, Madame Saran Diakité, inspecteur des douanes, ancien chef du bureau des produits pétroliers. Aussi, le 12 Janvier 2023, Lamine Seydou Traoré, ancien ministre de l’énergie et de l’eau a aussi été interpellé chez lui. Il aurait été placé en garde à vue. Les enquêtes sont en cours, selon certaines indiscrétions.
Les hommes politiques et certains ingénieurs, agents techniques, contrôleurs ont tué l’EDM. Elle doit ressusciter sous une forme qui n’accepte pas la mauvaise gestion, la corruption et le manque de vision. Il faut donc dépolitiser cette société ou la privatiser.
Alfousseini Togo
Source : Le Canard de la Venise