Il y a six mois à peine, ils étaient encore à la tête du pays. Aujourd’hui, ils sont considérés comme une « organisation terroriste ». Traqués, la plupart des chefs de la confrérie des Frères musulmans sont derrière les barreaux. La décision d’en faire des terroristes, confirmée le mercredi 25 décembre par le gouvernement, est lourde de conséquences.
L’attentat à la bombe, perpétré mardi contre un commissariat à Mansoura au nord du Caire, a été revendiqué par un groupe jihadiste, Ansar Beit al-Maqdis (littéralement « les défenseurs de Jérusalem »). Il s’agit d’un groupe d’extrémistes radicaux, qui a reconnu son implication directe dans cette attaque.
Mais pour les autorités égyptiennes, il n’y a qu’un seul coupable : la confrérie. D’abord parce qu’ils sont la bête noire du gouvernement. Depuis la destitution de leur président, l’islamiste Mohamed Morsi, ils ne cessent de provoquer de l’agitation. Ils ne semblent pas vouloir renoncer à ce qu’ils appellent leur légitimité ; ils veulent retrouver le pouvoir.
Ensuite, aux yeux du gouvernement, même s’il n’y a pas de preuves tangibles, la confrérie est accusée de financer ces attentats terroristes.
Tolérance zéro pour les Frères musulmans
Selon la chercheuse Selma Belaala, spécialiste des mouvements islamistes en Egypte et au Maghreb, c’est un tort que de porter cette accusation. Pour elle, associer systématiquement les Frères musulmans à des actes terroristes n’est pas correct, d’autant que l’Egypte est un pays qui, par le passé, a connu d’autres attaques de ce genre perpétrées par des groupes jihadistes, qui n’ont absolument rien à voir avec la confrérie.
Les autorités égyptiennes appliquent néanmoins la tolérance zéro avec les Frères musulmans. Cela s’est fait progressivement. Les manifestations, les mouvements de contestation des Frères musulmans ont été matés, leurs chefs ont été emprisonnés, leurs médias fermés, leurs avoirs financiers gelés et enfin, leur parti politique a été dissous.
Il faut néanmoins préciser que cette dernière étape, qui a consisté à les reconnaitre comme « organisation terroriste », a fait l’objet de nombreuses hésitations.
Quid de la branche sociale de la confrérie ?
Depuis mardi, jour de l’attentat contre le quartier général de la police à Mansoura, la confrérie islamiste a été interdite, puis autorisée, puis interdite une nouvelle fois. Signe d’un « pouvoir faible et impuissant », si l’on en croit les partis politiques et la presse laïque égyptienne. Mais on peut très bien imaginer d’autres raisons.
Cette décision en effet lourde de conséquences, à commencer par le fait que l’appartenance à la confrérie est désormais considérée comme un crime. Selon un ministre égyptien, les membres de cette organisation islamiste ont la possibilité d’annoncer rapidement leur démission. Dans le cas contraire, ils deviennent par conséquent hors-la-loi.
Il y a ensuite toute la puissante branche sociale de la confrérie. Les Frères musulmans possèdent des écoles, des mosquées et des petits hôpitaux. Fermer toutes ces infrastructures reviendrait tout simplement à bloquer net une partie de l’Egypte.
Des islmaistes bannis mais tolérés dans le passé
Cette décision n’est pas sans rappeler certains épisodes de la longue existence de la confrérie. Les Frères musulmans, c’est en effet 80 ans d’histoire avec des hauts et des bas. Ils ont tout connu : la clandestinité, la prison, leurs chefs exécutés, comme Sayid Kotb, ou assassinés (Hassan al-Benna), mais jamais leur travail n’a été interrompu sur le terrain.
Après la révolution de 1952 en Egypte, la confrérie a par exemple été officiellement interdite, mais pas empêchée de poursuivre son action sociale. Elle reste et restera toujours très active dans les mosquées et les réseaux sociaux, où elle se substitue à l’Etat pour venir en aide aux défavorisés. Elle est alors – et demeurera – très active dans les universités et les syndicats.
L’objectif demeure de prendre le pouvoir et instituer la loi divine. Sous l’ère Moubarak, il en a été de même. Les Frères musulmans étaient bannis, mais tolérés.
Aujourd’hui, c’est véritablement la descente aux enfers pour les Frères musulmans. Surtout après avoir goûté au pouvoir, après avoir dirigé l’Egypte pendant une année, écrit la Loi fondamentale de leur pays – la Constitution égyptienne -, et l’avoir fait adopter par un référendum populaire.
Un nouveau référendum doit d’ailleurs se tenir en janvier. Selon un membre de la confrérie, toute cette « machination » est d’ailleurs étroitement liée au prochain rendez-vous électoral.
Pour lui, les autorités responsables du coup d’Etat savent pertinemment que leur projet de Constitution ne passera pas. Leur feuille de route est en danger. Il y a aussi la crise économique.
Alors, ils désignent les Frères musulmans comme des ennemis. Une stratégie avec un but précis selon ce membre de la confrérie : détourner l’attention des Egyptiens des véritables problèmes.
En destituant un président élu démocratiquement, à savoir l’islamiste Mohamed Morsi le 3 juillet dernier, les militaires ont promis une transition démocratique en Egypte.
Ses trois principales étapes sont donc le référendum sur la Constitution prévu mi-janvier, puis des élections législatives, et enfin une élection présidentielle avant la fin du premier semestre 2014. Cette dernière échéance électorale doit clore la période transitoire.
■ DE NOUVELLES ARRESTATIONS CE JEUDI
Plus d’une centaine de Frères musulmans présumés ont été arrêtés jeudi 26 décembre. Les interpellations ont principalement eu lieu dans le Delta du Nil et à Alexandrie. Ces personnes ont été arrêtées parce qu’elles sont considérées comme des dirigeants des Frères musulmans, ou parce qu’elles ont participé à des manifestations de la confrérie, rapporte notre correspondant au Caire, Alexandre Buccianti.
Les manifestants risquent cinq années de prison, tandis que les dirigeants peuvent écoper des travaux forcés selon une déclaration du porte-parole du ministère de l’Intérieur. De son côté, le ministère de la justice a décidé de consacrer six chambres de la cour d’assises du Caire aux seules affaires de terrorisme pour accélérer les procès. Par ailleurs, des numéros de téléphone ont été consacrés à la dénonciation de personnes suspectées de terrorisme.
Pour tenter de calmer la population, après l’attentat à la bombe qui a visé un bus de transport public jeudi matin, le ministère de l’Intérieur a indiqué que des patrouilles spécialisées dans la détection d’explosifs seront déployées avec des chiens renifleurs un peu partout en Egypte.
Source : RFI