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Elikia M’Bokolo : « Le Mali reste une plaque tournante de la nouvelle histoire africaine »

ENTRETIEN. Invité en février dernier à la Rentrée littéraire du Mali, l’historien revient dans une causerie sur son parcours intellectuel, depuis Léopoldville dans les années 1950. Extraits d’« ego-histoire »…

Historien, producteur à RFI ( Mémoire d’un continent), professeur émérite à l’EHESS, Elikia M’Bokolo continue d’enseigner l’histoire à Kinshasa, sa ville natale qui, en 1944, l’année de sa naissance, s’appelait alors Léopoldville. Dans cette causerie enregistrée à l’Institut français du Mali, l’auteur d’une « Histoire sonore de l’Afrique », engagé dans l’édition des derniers volumes de l ‘Histoire générale de l’Afrique, se livre à un exercice « d’ego-histoire », tel qu’il l’a nommé en intervenant auprès des étudiants de l’Université des lettres et sciences du langage de Bamako, au cours de la dixième édition de la Rentrée littéraire du Mali. Il y raconte sa chance d’avoir connu, en ces années cinquante du Congo encore belge, « une période de grand bouleversement », dans une ville aux quartiers très différents, celui où sa grand-mère l’a élevé étant peuplé de gens d’origine Kongo : « Ma première langue était le kikongo, avec les copains et les petites chéries. » Dans ce creuset aux multiples identités, Elikia M’Bokolo a eu la chance d’entendre dès l’âge de 8 ans, un professeur d’histoire lui raconter le royaume du Kongo, ce qui le mit déjà sur la piste de la discipline qu’il décida d’embrasser à Lyon, où, suivant la carrière de médecin de son père, il fut étudiant les dernières années de lycée, avant d’intégrer l’École normale supérieure.

Au cours de ses études, raconte-t-il, un de ses professeurs, chargé d’enseigner l’histoire des civilisations, déclara qu’il ne ferait pas de cours sur l’Afrique pour deux raisons : parce qu’il redoutait de dire des bêtises devant un jeune Africain (Elikia M’Bokolo !) qui semblait déjà tout à fait averti de l’histoire du continent, d’une part, et de l’autre, parce que venait de paraître en ce début des années soixante le livre d’un historien africain et, ce livre, « c’est tout ce que vous devez savoir ». L’auteur en était Joseph Ki-Zerbo, pionnier de l’histoire de l’Afrique.

Pourquoi l’histoire ?

Césaire et Senghor avaient brillé en lettres et en grammaire, Elikia M’Bokolo choisirait, quant à lui, l’histoire, sur les traces de Ki-Zerbo, « le vieux Joseph » comme il était appelé parfois. À Dakar où naît l’association des historiens africains, le jeune homme vient à sa rencontre : « J’ai passé l’agrégation d’histoire grâce à vous ! » lui dit-il. Et une relation ininterrompue s’en suivit jusqu’à la mort de Ki-Zerbo. « Tandis que Cheikh Anta Diop déroulait l’Histoire à partir d’une origine égyptienne, Ki-Zerbo, lui, ne cherchait pas à reconstruire mais à construire quelque chose de nouveau, ouvert à toutes les civilisations humaines, il fut pour moi un modèle d’historien, humaniste plutôt qu’engagé. » Elikia M’Bokolo se souvient que son professeur de latin invitait ses élèves à ne pas oublier que Terence et Saint-Augustin étaient des Africains…

Depuis Bamako, où il nous raconte son itinéraire, l’historien rappelle la place du Mali dans l’histoire continentale : « Le Mali est l’un des plus grands États africains, qui s’est constitué sans briser les petits morceaux qui étaient sur son sol. Le Mali était à la fois un empire et un espace dans lequel les lieux où les gens vivaient conservaient une large part de leur particularité et maintenaient, par les relations de plaisanterie, leur parentèle en dehors des replis identitaires. »

« Djenné, ou encore Tombouctou, malgré les difficultés actuelles, furent des lieux et des carrefours importants de l’histoire africaine », poursuit l’historien sans pour autant masquer des pratiques qui peuvent servir à la critique du présent de l’Afrique : « Je prends pour exemple Kankan Moussa. Nous sommes au XIVe siècle, le voilà qui prend tout le trésor de l’État pour voyager avec, faire des cadeaux sur la route, et au retour n’avoir plus rien pour survivre et être obligé d’emprunter de l’argent, c’est très grave et je fais le parallèle avec un certain nombre de despotes africains d’aujourd’hui qui ont ruiné leur pays, et pillent les ressources de l’État pour les investir dans des paradis fiscaux… » Ce passé, tout comme le passé esclavagiste, fait dire à l’historien que « le diable n’est pas nécessairement l’autre, le diable est aussi dans la maison ».

Réponse à Sarkozy depuis Bamako

Un autre lien très fort unit le Mali d’où partit la réponse des historiens africains au discours de Dakar de Sarkozy, encore très présent dans les mémoires et les échanges avec les étudiants au cours de la Rentrée littéraire : « Les historiens de ma génération ont la chance de s’apprécier et d’être en relation d’amitié, or après ce discours nous étions tous furieux. C’est alors qu’Adame Ba Konaré, épouse du président du Mali, nous interpelle : On ne peut pas rester comme ça, venez tous à Bamako, l’État malien a payé les billets et nous nous sommes réunis en répartissant les rôles pour savoir qui écrirait quoi dans un livre assez musclé intitulé Petit précis de remise à niveau sur l’histoire africaine à l’intention du président Nicolas Sarkozy, un titre provocateur… » Pour l’historien, le Mali est ainsi resté « une plaque tournante de la nouvelle l’histoire africaine. Ce renouveau doit beaucoup à ce pays, ainsi qu’au Ghana de Kwame Krumah ».

L’accès au livre

Reste que l’accès au livre demeure un problème majeur sur le continent, et celui qui enseigne toujours à Kinshasa en témoigne. « Moi, quand j’étais étudiant, je n’étais pas très argenté mais je donnais des cours et avec ce peu d’argent, j’achetais des livres : il fallait lire Hérodote, mais aussi La Guerre des Gaules, pour comprendre l’art de la déformation historique ! » Cette lecture lui fut une révélation : « Voici un colonialiste qui écrit l’histoire des peuples qu’il veut coloniser ! C’est fascinant, il construit la Gaule qu’il va détruire, comme les Européens au XIXe construisirent l’Afrique. » Se remémorant ses lectures enchaînées à l’époque, Elikia M’Bokolo se désole de la situation actuelle : « Ce qui est une tragédie pour la jeunesse africaine d’aujourd’hui, c’est qu’elle n’a pas les livres. On lui bâtit des universités mais sans les livres ! »

À partir de ce constat, des gens de sa génération ont réfléchi au fait que chacun d’entre eux possédait des milliers de livres : « On ne va pas emporter ça dans la tombe. Le Codesria à Dakar a imaginé de prendre les bibliothèques des seniors et de les basculer dans des universités. » Une belle idée qui n’a pas encore trouvé sa réalisation, mais à laquelle l’historien continue de penser, convaincu qu’un tel projet panafricain remporterait tous les suffrages dès lors que chaque bibliothèque de seniors serait conservée en l’état. »

Autobiographie de Koffi Djondo

Ce panafricaniste convaincu a été sollicité pour écrire l’autobiographie d’un homme d’affaires africain. Et en a accepté le challenge : « Je crois à l’unité du continent, mais celle-ci ne vaut rien si elle est seulement diplomatique et politique, il faut qu’elle repose sur du concret, des industries, des routes, des entreprises communes, etc. » Elikia M’Bokolo rencontre alors l’homme d’affaires togolais Koffi Djondo, l’initiateur et l’un des fondateurs d’Ecobank ainsi que de la compagnie panafricaine Asky Airlines : « Ce projet m’a beaucoup intéressé parce qu’il nous fallait résoudre le problème posé par Max Weber dans l’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme. À l’École normale, j’avais lu une thèse d’un historien nigérian Commerce et politique dans le delta du Niger, la région productrice de pétrole aujourd’hui qui montrait que – entre 1820, fin de la traite esclavagiste, et 1880 – il y a eu des capitalistes africains dans cette région, qui employaient une main-d’œuvre libérée de l’esclavage. Et ces gens avaient établi des connexions financières, notamment avec les Allemands, auxquels ils achetaient des canons Krupp. Cette génération fut laminée par la colonisation, mais prouve que le capitalisme nigérian ne naît pas de l’Indépendance. »

Parce que le Togo est proche du Nigeria, l’historien se passionne pour le parcours de Koffi Djondo et accepte d’en être l’écrivain, tout en y ajoutant son regard, ses analyses, ses interprétations nourries de ses enquêtes complétant le témoignage de l’homme d’affaires. Le livre paraîtra en anglais et en français, il sera alors temps de revenir en « causer » avec Elikia M’Bokolo !

Source: lepoint

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