Alors que l’insécurité n’a jamais été aussi grande, les élections législatives sont annoncées pour le dimanche 29 mars prochain. Ces élections pourront-elles avoir lieu dans un contexte sécuritaire alarmant sur une grande partie des régions du Nord et Centre ?
En effet, la situation sécuritaire au Nord et au Centre ne cesse de se détériorer. Les attaques terroristes de Sokolo (cercle de Niono), de Dioungani (cercle de Koro) voire d’Indelimane, Tabankort et d’ailleurs en sont l’illustration parfaite. Dans les régions de Kidal, Tombouctou, Gao ou Mopti, voire Ségou, Koulikoro, les représentants de l’Etat ont en effet dû abandonner leur poste face à la menace terroriste. Comment, dans ces conditions, les candidats pourraient-ils battre campagne, et l’État assurer la bonne tenue du scrutin ?
Autre épine dans le pied du gouvernement ? La position de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA). Elle estime unilatérale la convocation du collège électoral pour la tenue des législatives et pose des conditions pour sa participation. Cette Coordination conditionne sa participation à ces échéances électorales à la diligence d’engager le processus de la réorganisation territoriale et du nouveau découpage administratif ; à la prise en compte et en charge dans le prochain processus électoral des régions de Taoudéni et de Ménaka en plus des cercles d’El-Moustarat et d’Achibogho dont l’organisation territoriale a été adoptée par le Gouvernement en Conseil de ministres depuis le 28 février 2018 et à la possibilité de faire participer les centaines des milliers des réfugiés et déplacés internes.
Comme motif avancé pour de telles exigences, la CMA exprime sa volonté de faire bénéficier chaque citoyen de ses droits civiques et de le faire participer à la construction de la nation. Elle rappelle pour ce faire le Chapitre 2 – Article 5 – Paragraphe 3 – Alinéa 3 de l’Accord pour la paix qui stipule « une plus grande représentation des populations du Nord au sein des institutions nationales ».
La classe politique sceptique
Sur le plan politique, le principal regroupement de l’opposition prédit un hold – up électoral. Dans un communiqué de presse en date du 24 janvier 2020, le Front pour la sauvegarde de la démocratie (FSD) énumère des griefs sur la tenue des élections législatives de mars prochain. Pour le FSD, la convocation du collège électoral sans les réformes législatives nécessaires et la correction des tares du système électoral est une volonté manifeste du gouvernement et sa majorité d’orchestrer un hold-up électoral. «Il s’agit donc, ni plus ni moins pour le Gouvernement et sa majorité, de procéder par malice, en prenant comme prétexte les résolutions du Dialogue national inclusif pour répéter le hold-up électoral perpétré déjà lors de l’élection présidentielle de 2018. Un tel projet est évidemment porteur des germes d’une crise électorale dont notre pays n’a nullement besoin aujourd’hui. Le FSD réaffirme sa volonté de prendre part aux élections législatives et tient le gouvernement pour responsable de toute crise pré ou post-électorale pouvant survenir en raison de la persistance des déficiences à l’origine des précédents reports», indique le Président du FSD, Soumaïla Cissé.
Les griefs du regroupement politique conduit par le chef de file de l’opposition portent essentiellement sur l’absence de débat entre les acteurs concernés pour s’assurer que les déficiences à l’origine des précédents reports ont été corrigées. Il s’agit de la situation sécuritaire, l’opérationnalisation des nouvelles régions et des réformes électorales dont la nécessité a été unanimement reconnue, selon le FSD. En plus de ces griefs, Le FSD met en avant la non prise en compte des conclusions de la mission de la Cedeao effectuée en octobre 2018 pour étouffer la crise née de la présidentielle de 2018. La délégation de la Cedeao avait émis la nécessité de la réforme, tenant compte des dysfonctionnements largement reconnus et évoqués par tous les interlocuteurs lors du scrutin présidentiel passé, «il est impératif que le Gouvernement et tous les acteurs sociopolitiques conviennent, de manière consensuelle, d’entreprendre des réformes courageuses des cadres légaux, y compris la Constitution de février 1992, et du système électoral avant de s’engager dans les prochaines échéances électorales que compte mener le pays…». Déjà au lendemain de la présidentielle 2018, l’opposition et certains partis politiques de la majorité présidentielle avaient, dénoncé des bourrages d’urnes à maints endroits du territoire. « Des zones où les populations n’ont pas pu voter, mais dont l’Administration a pu donner des résultats », disait un opposant. Et ces récriminations avaient donné lieu à de houleuses contestations et des marches et meetings de protestations dans les rues
La CENI dans l’irrégularité
Selon Dr Brahima Fomba, chargé des cours à Université des Sciences Juridiques et Politiques de Bamako (USJP) « l’organe chargé d’organisé le scrutin la Ceni est hors la loi. Il évolue dans l’illégalité la plus totale. Elle avait été mise en place par le décret n°2017-0214/P-RM du 13 mars 2017 dans la perspective de l’élection présidentielle de 2018 dont les résultats définitifs ont été proclamés par la Cour constitutionnelle par l’Arrêt n°2018-04 en date du 20 août 2018. Son mandat a pris fin au troisième mois consécutif à cette date, c’est-à-dire depuis le 18 novembre 2018. Cela fait donc un (01) an et six (06) mois environ que la CENI est hors la loi ».
Il ajoute : « Conformément à la loi n°2016-048 du 17 octobre 2016 modifiée par la loi n° 2018-014 du 23 avril 2018 portant loi électorale, la CENI est chargée de la supervision et du suivi des opérations référendaires, de l’élection du Président de la République, des députés et des conseillers des collectivités territoriales excepté pour les partielles. Cependant au fil des scrutins, la CENI s’est transformée en institution clochardisée par ses écarts par rapport à la loi électorale. De 2013 à ce jour, le régime du Président IBK a pratiquement condamné la CENI à la peine capitale d’illégalité absolue qu’elle n’a toujours pas fini de purger. Au moment où le collège électoral des législatives vient d’être convoqué pour le 29 mars 2020, la question se pose de savoir comment la CENI actuellement en place depuis 2017 au mépris de la loi électorale, pourrait-elle en assurer la supervision en veillant notamment, comme stipulé à l’article 16 de la loi électorale, « à ce que la loi électorale soit appliquée aussi bien par les autorités administratives que par les partis politiques, les candidats et les électeurs ». Quel crédit peut-on accorder à la transparence d’une élection lorsque l’institution chargée de veiller à sa régularité se trouve elle-même empêtrée dans l’irrégularité ! ».
Mémé Sanogo
Source: Journal L’Aube- Mali