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Du dialogue politique au Mali : La grande illusion des acteurs politiques

« Parler du Mali », tel fut l’objet de la rencontre du 26 février entre le président Ibrahim Boubacar Keita (IBK) et le chef de file de l’opposition Soumaila Cissé. Une première rencontre tant attendue au regard des tensions socio-politiques que le Mali traverse. Le début d’un dialogue politique qui répond également aux attentes de la communauté internationale. Cependant, la forme de la rencontre, en particulier, sa surmédiatisation n’a-t-elle pas relégué au second plan les vraies questions de fond ? En quoi ce dialogue est-il un préalable à l’impératif d’action pouvant aboutir à des solutions concrètes aux problèmes qui mettent à mal tout le pays ?

Dans la démocratie malienne, le plébiscite du dialogue relève d’un « impensé » politique. Certes, les valeurs culturelles et les structures sociales favorisent la tolérance et le dialogue dans les rapports interindividuels -et en cela, le dialogue s’avère utile. De fait, on le dote des mêmes vertus en politique où, comme le souligne le professeur Bakary Camara, « le dialogue politique a [toujours] prévalu dans les différentes crises politiques et les protagonistes ont toujours fini par s’entendre. » Toutefois, nous constatons que le dialogue, en politique, n’est pas si efficace malgré les engouements qu’il suscite.

Les dialogues politiques successifs n’arrivent ni à consolider la démocratie malienne ni à prémunir la société contre d’éventuels conflits sociaux. Des rébellions de groupes armés (1963, 1990, 2006, 2012) à la crise postélectorale de 2018 en passant par les boycotts électoraux (1997-1999) du COPPO (collectif des partis politiques de l’opposition) et le putsch militaire de 2013 ; les accords de paix, les assises nationales sur le Nord, les concertations nationales ou encore la conférence d’entente nationale recyclent de vieilles recettes qui ont pourtant bien démontré leurs limites.

Le recours routinier au dialogue politique témoigne d’un dépassement du politique et révèle un déficit d’ancrage de culture démocratique dans l’esprit et le comportement des acteurs de la vie publique et de la société civile car ils n’arrivent pas à produire de discours cohérents et d’outils efficaces pour penser et résoudre nos propres crises.

 Un dialogue en trompe-l’oeil ?

Sont-ils réellement soucieux des conditions de vie des Malien.ne.s ? Nous sommes tentés de répondre par l’affirmatif. Pourtant, l’analyse des éléments de langage utilisés par les deux acteurs nous poussent à nuancer les différents commentaires qui veulent que cette rencontre soit la manifestation d’une réelle volonté de décrispation et d’apaisement socio-politique.

Nous ne pensons pas qu’il y ait un déficit de dialogue politique au Mali -ou du moins à Bamako. Par contre, nous avons l’impression que les différents acteurs se parlent sans s’écouter et s’entendent sans réellement se comprendre.

Le chef de file de l’opposition Soumaila Cissé n’a pas rencontré le Président de la République, il « [a] été reçu par [son] aîné » contrairement à 2013 où il se rendit chez un aîné pour féliciter le Président élu. Et jusqu’ici, il n’a fait aucune déclaration officielle reconnaissant la légitimité du président IBK dont la « main tendue rencontrait le vide » depuis la déclaration des résultats des dernières élections présidentielles. « On n’a pas parlé, insiste Soumaila Cissé, des histoires de reconnaissance, de la fin de non reconnaissance. » Or, la logique institutionnelle aurait voulu une réunion entre le Président et le chef de file de l’opposition plutôt que d’une rencontre entre un « aîné » et son « cadet » comme si celui-ci continuait dans la négation du statut de celui-là sans pour autant le dire officiellement.

Et c’est là où réside la problématique du « dialogue politique » dans une démocratie fragile comme la nôtre en ce sens qu’il est perçu comme un « partage de gâteau » à partir d’arrangements négociés entre « frères » sans pour autant résoudre des questions purement politiques que nous aborderons plus loin. Une mise en scène entre deux personnalités politiques qui contribue de fait à la personnalisation et à la personnification du débat public. IBK cherche-t-il à éviter un isolement politique ? Est-il dans une stratégie car ne mesurant pas la gravité de la situation ? Pourtant, IBK semble maitriser son agenda « le temps du rapprochement et du dialogue viendra » quand le chef de file de l’opposition donne l’impression de crier pour se faire entendre « depuis cinq (5) ans, rappelle Soumaila, j’ai essayé d’avoir un dialogue avec ce régime, même sur les sujets les plus importants comme la situation sécuritaire au Centre du Mali, mais c’[était] impossible. »

Au-delà de la mise en scène, les vrais enjeux

Il y a une rupture de confiance entre les gouvernants et les gouvernés, d’où cette crise de légitimité que la seule légalité électorale ne peut résoudre au regard du taux de participation (34,54 %) au second tour de la présidentielle de 2018.

Si les Malien.ne.s, malgré tout, ont accueilli favorablement cette rencontre entre les acteurs politiques de premier plan, c’est parce qu’ils constatent, d’une part, l’incapacité des autorités à sortir le pays des différentes crises et, de l’autre, que les dérives autoritaires, la corruption, la mauvaise gouvernance, l’injustice, les inégalités sociales et les grèves incessantes fragilisent davantage le pays.

En outre, cette rencontre semble s’inscrire dans un calendrier politique bien défini en vue des réformes institutionnelles telles que prévues par l’accord d’Alger. Lesquelles réformes nécessitent une transformation profonde de la structure de l’État ainsi que dans son fonctionnement car elles appellent à une révision constitutionnelle. Sur ce point, une convergence semble exister entre « l’aîné » et « le cadet » qui sont tous les deux favorables à la mise en oeuvre de l’accord d’Alger. Cependant, le hic se pose quant à l’appropriation de l’accord par les populations dont la majorité manifeste leur rejet de certaines dispositions du texte, d’où leur opposition à toute tentative de révision de la Constitution.

Par ailleurs, les masses populaires, face à l’inefficacité des acteurs politiques et la faiblesse de l’État, ont dû trouver recours auprès des religieux dont l’aile la plus radicale est allée jusqu’à demander la démission du Premier ministre. De fait, « les deux frères » ont intérêt à un apaisement du climat sociopolitique avant d’assister impuissants à une insurrection populaire, ce qui explique quelque part cette rencontre, avec le timing qui la caractérise, entre les deux acteurs principaux de la vie politique. Pourtant, à trop se satisfaire de ces dialogues formels entre camarades politiques, le risque, comme très souvent, est de ne pas ouvrir le débat public à travers de réelles consultations citoyennes. Toutefois, il urge de redéfinir la gouvernance politique et économique sur la base d’un document soumis au débat public et paraphé par les acteurs politiques et les organisations de société civile.

« Le dialogue de la refondation » auquel appelle l’ancien ministre de la décentralisation le Dr Ousmane Sy, est nécessaire pour restaurer la confiance entre le bas et le haut en ce qu’il pose la « refondation » comme un impératif. Toutefois, cela n’est possible que dans un contexte spécifique -le contexte actuel y est favorable- et dans un cadre politique bien défini — transition politique ou recyclage du consensus politique ? Dans Mali : une démocratie à refonder, préfacé par le Dr O. Sy, le constat fait, il y’a des années, par Aly Cissé, garde toute sa pertinence,

« La solution ne consiste certainement pas à faire des réparations superficielles sur la bâtisse, en renforçant un vieux pilier par-ci, ou en replâtrant les fissures béantes par-là. Se résoudre à cette question de facilité qui est à la fois temporaire et trompeuse, c’est méconnaitre la gravité du problème, un peu comme un malade qui prend un sédatif pour calmer sa douleur mais ne se cherche pas à traiter le mal que cause cette souffrance. »

Nul ne peut prédire avec certitude quels seraient les impacts de(s) prochaine(s) rencontre(s) entre les différents acteurs politiques dans la mesure où la dynamique politique dépend d’autres enjeux indépendants des acteurs et organisations politiques. Ce qui est certain, en revanche, est que les conditions politiques (volonté et sincérité ou même capacité des acteurs politiques) ne sont pas réunies si l’on analyse leurs pratiques au pouvoir, d’une part, à répondre aux aspirations de la jeunesse et, de l’autre, à réellement représenter et défendre les intérêts des citoyens.

Pour le Centre de Recherche et d’Analyses Politiques, Economiques et Sociales du Mali – info@crapes.net

Ballan DIAKITE, Politologue, Analyste Politique au CRAPES

Mahamadou CISSE, Politologue, analyste politique au CRAPES

Khalid DEMBELE, Economiste, analyste au CRAPES

 

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