- ZUFO ALEXIS DEMBÉLÉ, DOYEN DE LA FILIÈRE JOURNALISME ET COMMUNICATION DE L’UCAO UUBA
« Proposer des formations courtes mais basées sur des éléments pratiques »
Au Mali, une véritable inadéquation existe entre les filières d’études proposées par la plupart des universités et les emplois accessibles. Plusieurs jeunes, après avoir fait des études supérieures, se retrouvent au chômage à cause de ce phénomène. Pour pallier ce problème, les écoles supérieures ont une fonction indispensable à jouer. Dr. Zufo Alexis Dembélé, Doyen de la filière Journalisme et Communication de l’UCAO Uuba, ébauche ici des pistes de solutions.
Les Echos : Comment expliquez-vous l’inadéquation entre les filières d’études et le marché de l’emploi au Mali ?
Dr. Zufo Alexis Dembélé : C’est un constat qu’il n’y a pas une adéquation exacte entre le marché de l’emploi et les filières proposées par certaines universités dans notre pays. Mais il faut faire très attention. Depuis les années 80, nous sommes plus ou moins influencés par des orientations au niveau mondial. C’est ce problème qu’on a essayé de corriger avec l’adoption du système LMD. Le premier élément est le problème de la formation traditionnelle. Il faut savoir qu’à travers la formation traditionnelle, on essayait d’inculquer aux étudiants les connaissances de base, de manière à les préparer aux professions qu’ils vont exercer. Mais aussi de manière à ce qu’ils puissent faire de la recherche. Il se trouve que beaucoup de pays ont laissé le champ de la recherche fondamentale. Par exemple, si nous voulons envoyer des gens sur la lune, il faut former de bons mathématiciens. Le deuxième élément est qu’on veut absolument savoir faire les choses tout de suite. J’ai passé plusieurs années en Suisse. Là-bas, ils adoptent toujours le système traditionnel mais avec une autre alternative. Si ta volonté est de t’intégrer dans une profession, on te propose toute une série d’activités. C’est-à-dire des ateliers, des sessions pratiques etc. Au bout de 4 ans, tu as une très large maîtrise du métier. Pour le cas du Mali, nos services d’éducation n’ont pas fait très attention à cet aspect. Nous avons continué avec le système traditionnel tout en oubliant que les populations veulent seulement travailler. D’où la nécessité pour les universités, aujourd’hui, de prendre en compte cet élément. Par contre, cela demande toute une réorganisation. Il faut peut-être proposer des formations courtes mais qui sont basées sur des éléments pratiques. C’est plus coûteux, et il nous faudra des gens qui sont performants et qui ont la pédagogie. Parce que si les parents envoient leurs enfants dans les universités et que ceux qui doivent les enseigner ne sont pas des experts du domaine, le problème ne se sera jamais résolu. Il ne faut également pas oublier l’avantage de la formation fondamentale. C’est ce qui va permettre à nos politiques et à nos dirigeants d’avoir une vision à long terme pour pallier ce problème.
Les Echos : Selon vous, quelle est l’ampleur de cette donne sur le marché de l’emploi au Mali ?
- ZAD :La première conséquence est que plusieurs jeunes vont s’affirmer être en chômage. Ils s’appelleront des diplômés sans emploi. En Asie, j’ai été frappé par une chose très importante. Même ceux qui font de la mendicité le font comme si c’était du vrai travail. C’est-à-dire qu’il n’y a pas de sots métiers chez eux. Dès que ça rapporte, c’est un travail. Contrairement à nous, on pense qu’il faut seulement avoir de gros diplômes. D’autres pensent que si on possède un gros diplôme, on ne peut pas se permettre d’exercer un certain nombre de métiers. C’est là que se situe le problème au Mali. Il faut beaucoup travailler sur les mentalités. Ceux qui ont été en Europe savent bien que les étudiants font les jobs d’été. Que ça soit en restauration, en nettoyage etc. Ce n’est pas parce que je suis titulaire d’une Licence ou d’un Master que je dois me sentir supérieur(e) à l’exercice d’un petit métier.
Les Echos : Selon vous, quel peut être le rôle des universités dans la réduction du taux de chômage au Mali ?
Dr. ZAD : Il faut d’abord retenir que tout le monde n’a pas l’opportunité d’étudier jusqu’à l’université. Ceux qui atteignent ce niveau d’étude doivent savoir faire le bon choix. Nous constatons maintenant que le diplôme de Licence ne suffit plus pour avoir certains postes. Au niveau des offres de formation, il faut que les universités soient réalistes. Qu’ils offrent des filières qui sont demandées. Mais, parfois, ici, on est un peu frileux parce qu’on veut penser comme en Occident. On ne valorise pas toutes les ressources qui sont à notre portée. On peut travailler le bois ou la pierre, nous avons plusieurs collines autour de Bamako. Ce sont ces genres de formation que nous nous devons de valoriser. Mais cela n’est pas chose facile. Il faut non seulement de l’imagination mais aussi des personnes qui soient totalement versées dans l’apprentissage et le savoir-faire afin qu’ils aient la capacité de bien transmettre ce savoir-faire. Egalement des artisans qui sont bien formés dans leur domaine etc. Les universités doivent énormément miser sur l’écoute de la population. Très peu d’universités font les sondages pour savoir ce que les jeunes veulent. Or, cela est absolument nécessaire. En tant qu’Africains, nous devons regarder nos parents qui ont travaillé et qui ont traversé les âges. Il y a des modèles que l’on peut retrouver et qui peuvent nous aider. Par rapport à tout ce qui concerne l’oralité, il y a des chemins qui peuvent être favorables aux étudiants. Ici, à l’UCAO, on avait envisagé à enseigner tout ce qui est Art ; on a pensé à dispenser un module « la griotique ». Il y a une filière qui peut prendre la charge d’enseigner ce cours aux étudiants car c’est un art. Cela permettrait de mieux connaître cette discipline, et certains peuvent exceller dans ce domaine.
Les Echos : Comment alors choisir la bonne filière d’étude ?
- ZAD :Il faut aimer, être passionné de ce que vous voulez faire. C’est l’élément de base. Cela, afin de bien apprendre et bien servir les autres. Les jeunes doivent s’intéresser à énormément de choses à la fois pour savoir dans quoi ils sont bons. Il faut aimer l’apprentissage, être curieux et être très ouvert.
Les Echos : Actuellement, nombreux sont ceux qui intègrent le domaine du journalisme sans avoir suivi des formations ou être passés par des écoles de journalisme. Selon vous, comment cela peut impacter l’évolution du domaine journalistique au Mali ?
- ZAD :Le journalisme est une profession très nouvelle. De manière structurée, elle est apparue au début du 20èmesiècle. Celui qui a l’idée d’approcher les universités pour qu’on puisse l’enseigner est Joseph Pousler. Ceux qui ont fait des écoles de journalisme et qui voient d’autres personnes intégrer ce domaine brusquement, doivent savoir une chose : on peut être journaliste de deux manières. Un : passer par une école pour apprendre tels les médecins à faire des injections et à prescrire des médicaments. Deux : ou l’apprendre sur le tas. C’est-à-dire, avoir, par exemple, un charisme pour écrire ou avoir une belle voix peut être des atouts qui peuvent amener à exercer ce métier directement. Vous faites certainement allusion à ceux qui se baladent avec leurs micros etc. Le phénomène des réseaux sociaux fait qu’il y en a qui s’arrogent le titre du métier. Mais, notons qu’il y a des règles pour avoir la carte de presse et pour être appelé journaliste confirmé. Ce qui est intéressant, c’est que, dans les règles, il faut avoir appris et respecter la déontologie journalistique. Et pour être appelé journaliste, il faut vivre du métier.
Les Echos : Selon vous, quelles sont les solutions envisageables pour remédier au problème de l’inadéquation entre les filières proposées et le marché de l’emploi ?
DR.ZAD : Un pays comme le Rwanda a revu toutes ses offres de formation, cela, en fonction des réalités de son environnement. On a besoin de tout coordonner. Si, par exemple, le tissage s’avère être une source de revenus pour les jeunes et le pays, nous devons faire en sorte d’enseigner ça dans nos universités. En faire une filière et en donner plus de valeur pour que les jeunes puissent être attirés par le métier. Ensuite, on peut attribuer un diplôme à ceux qui étudient la filière. Il faut qu’on ait le courage de revoir nos offres de formation. L’Etat peut donner l’impulsion en écoutant au mieux les jeunes ainsi que les parents. La réussite d’une vie se prépare entre 16 et 20 ans. On peut avoir des accidents de parcours mais il faut retenir que c’est dans cette fourchette d’âge qu’un jeune doit choisir le sens dans lequel il veut évoluer.
Entretien réalisé par Fatoumata Boba Doumbia
Source: journal les échos Mali