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Dr Jeff Dorsey sur le projet de la télévision numérique terrestre au Mali : «L’état de la communication est pénible au Mali. Le pays choisit des équipements de deuxième génération ou pire, à prix d’or.»

Dans cet entretien, via Skype, qu’il a bien voulu nous accorder depuis les Etats-Unis d’Amérique, Dr Jeff Dorsey parle de la problématique de la transition numérique terrestre au Mali. Il trouve que le marché de la TNT a été offert à la Thomson broadcast alors que la société est empêtrée dans une grave crise financière ; d’où le fait qu’elle passe de main en main. Pour lui, ce dernier ne pourra pas fabriquer des pièces de rechange. Aussi, le Docteur pense, entre autres, que l’état de la communication au Mali est pénible. Pour lui, le Mali choisit souvent les équipements de deuxième génération ou pire et paie à prix d’or pour les avoir. Egalement, il estime  que la bande FM est pleine d’interférences, en partie dues à la mauvaise qualité des émetteurs et le manque d’un entretien adéquat. Lisez !

InfoSept: Bonjour Dr. Dorsey !  Il y a quelques semaines nous avons discuté sur l’aide américaine à l’agriculture malienne. Maintenant, connaissant bien votre parcours dans le domaine de la Télécommunication, nous allons parler, aujourd’hui, de la transition  numérique terrestre du Mali. Surtout des sujets de communications, de diffusion de la radio et de la télévision. Alors, première question, d’où vient votre intérêt pour le système des télécommunications ?

Dr. Jeff Dorsey: J’ai commencé mes activités en radio dès mon enfance. J’ai eu ma première licence de radio quand j’avais seulement 13 ans. Quelques années plus tard, en 1962, j’ai réussi la licence, la plus haute de radio amateur offert pour la FCC aux Etats-Unis  (l’équivalent de l’AMRTP au Mali). Et quelques semaines plus tard, c’était la licence la plus haute commerciale de radio téléphonie avec habilitation pour le radar. Je pratique la radio encore avec une puissante poste de radio HF et VHF au Mali. J’ai rencontré des opérateurs de radio dans 200 pays et petites iles à travers le monde.

InfoSept: Vous avez eu des expériences concernant la société Thompson dans votre carrière ?

Dr Jeff Dorsey : Il y a une cinquantaine d’années, vers la fin des années 1960, je travaillais au Chili dans le Corps de la Paix, le Peace Corps américaine. En ce temps, le Colonel Waldo Brucher était le chef du département d’œuvres civiles de la Corporation de la Reforme Agraire où je travaillais et je lui ai fait savoir mes compétences dans le domaine de la radio de la haute fréquence (HF) et que je parlais français. Le Colonel Brucher m’invitait comme conseiller technique aux pourparlers qui ont eu lieu à Santiago au Chili pour négocier l’achat des radios Thompson-Houston afin d’améliorer les communications du ministère de l’Agriculture. Le modèle offert était d’un design déjà dépassé. Ce qui remontait à l’époque de la deuxième guerre mondiale. J’ai conseillé au Colonel de ne pas acheter ces postes et de m’autoriser à chercher des radios américaines plus modernes qui pourraient répondre mieux aux besoins des fonctionnaires du ministère qui devaient les employer quotidiennement. La réponse du Colonel était géniale : «Les équipements américains peuvent être mieux, mais ce sont les français qui offrent le financement pour nous permettre d’acheter leurs radios».

InfoSept : Venons au cas du Mali que vous connaissez bien. Aujourd’hui, voyez-vous  des parallèles avec la situation actuelle du Mali dans sa transition vers le numérique avec la société Thomson ?

Dr Jeff Dorsey: Bien sûr. Rien n’a changé depuis un demi-siècle : la Thomson opère en étroite collaboration et avec l’appui du gouvernement français qui apporte le financement pour la TNT. Leur technologie n’est pas la plus performante. Thomson a accompli des projets de télévision dans plusieurs pays. Parmi ceux-ci, l’Ouganda qui  est un pays que je connais bien. En Ouganda, la couverture de la TNT est limitée à Kampala et à quelques 60 kilomètres aux alentours. Dans le reste du pays la télévision analogue, c’est-à-dire, l’ancien système qu’on veut remplacer au Mali, qui continue comme le seul moyen de transmission jusqu’à nos jours.  A la différence du Mali, l’appel d’offre pour les  décodeurs  (« set-top boxes », ou les STB) à l’Ouganda était séparé de ceux des émetteurs et annexes. Mais comme c’est le cas au Mali, le processus était peu transparent. Les projets de la Russie et du  Kazakhstan de la Thomson semblent aussi ne pas avoir réussi de mettre la télévision numérique en service.

InfoSept : Y-a-t-il d’autres facteurs qui peuvent empêcher Thomson de produire les émetteurs promis dans son contrat signé avec le Mali le 26 juin 2018 ?

Dr Jeff Dorsey : Ce qui reste de l’ancien Thomson, c’est seulement le nom. La plupart du personnel est dispersé aux quatre coins du monde et l’usine est vendue. La Thomson n’avait pas les fonds nécessaires pour opérer et  a du entrer en cessation de paiements depuis le 15 mai 2018. Cette action judiciaire a eu lieu plus d’un mois avant la signature du contrat à Paris entre Thomson et la Société Malienne de Transmission et de Diffusion (SMTD), en présence des Premiers ministres du Mali et de la France. Signer un contrat avec une compagnie en cessation de paiements est très bizarre. D’ailleurs, ce n’est pas la première fois que la compagnie Thomson souffre des problèmes financiers. Ce qui remonte à 2009 quand la Thompson SA a demandé la protection de la Cour de New York City pour protéger ses actifs aux États-Unis. Ce qui permet à une compagnie de continuer son opération sans payer ses créanciers dans les termes pactés au moment d’entreprendre les dettes. En 2012, la société Thomson a été vendue au Groupe Arelis. Ce qui non plus n’a pas réussi à résoudre ses problèmes et qui, à la mi-mai 2018, l’ont amené à la cessation de paiements. Le Groupe Sipromad d’Antanarivo, Madagascar, s’est basé sur une compagnie malgache qui fabrique du savon et des cordes et qui se dédie à l’achat des actifs de compagnies en détresse comme c’est le cas de la Thomson. Sipromad dit gérer les affaires de Thomson qui restent à travers d’une compagnie qui s’appelle PHENIXYA dont il n’y a pas beaucoup d’information disponible.  L’usine de la Thomson a été vendue à Thales. De 65 personnes qui travaillaient à la Thomson avant la cessation de paiements, il ne reste que 19.  Un chiffre exigu pour pouvoir produire des émetteurs que la Thomson a offert à la SMTD.

InfoSept : Donc, Thompson ne pourra pas produire les émetteurs dans son ancienne usine qu’elle  partage avec Thales qui produit des radios militaires ?

Dr Jeff Dorsey : A Seattle, j’ai visité la ligne de production des avions Boeing 787 Dreamliner. Je me demande si un de ces beaux jours la Boeing recevra la demande de partager sa ligne de production avec les fabricants de l’avion de chasse ultramoderne F-35. Je ne crois pas que la production des émetteurs dans une usine qui ne soit pas la propriété de la même entreprise soit une bonne idée. D’ailleurs, les maliens doivent se poser la suivante: Est-ce que le Mali veut acheter le dernier émetteur de télévision jamais produit dans le monde sous la marque Thomson ?

InfoSept : Quel est votre avis sur l’état de la communication au Mali ?

Dr Jeff Dorsey : L’état de la communication au Mali est pénible. Le Mali choisit souvent les équipements de deuxième génération ou pire. Souvent le pays paie à prix d’or pour les avoir. La bande FM est pleine d’interférences, en partie dues à la mauvaise qualité des émetteurs et le manque d’un entretien adéquat.

InfoSept : Qu’est-ce qui doit être fait avec l’appel d’offre sur la TNT au Mali ?

Dr Jeff Dorsey : Dès son ouverture le 18 décembre 2017, cet appel d’offre a été problématique.  J’ai dû personnellement demander à l’autorité compétente l’extension du délai d’au moins un mois. Ce qui était insuffisant pour les entreprises qui n’auront pas reçu un préavis sur l’appel d’offre. La SMTD a du étendre le délai  à quelques 3 mois. Ce qui était plus raisonnable pour un appel d’offre de plusieurs milliards de F CFA et qui couvre tout le territoire du Mali. Maintenant, les autorités doivent revoir l’ensemble du marché de la TNT pour avoir des émetteurs de plus haute qualité et qui donnent une garantie vers le futur. Cela par le moyen d’une bonne installation initiale et de qualité avec l’entretien nécessaire pour assurer un bon service après vente pour beaucoup d’années après. Un appel d’offre séparé doit avoir lieu pour les décodeurs (STB). Les procédures qui ont amené à la sélection d’une compagnie en cessation de paiement pour la conversion à la télévision numérique doivent être revues par les autorités compétentes et, dans le cas, les responsables de possibles délits doivent être sanctionnés.

InfoSept : Y-a-t-il d’autres exemples de marchés peu clairs dans le domaine de la communication ?

Dr Jeff Dorsey : Bien sûr. Il y en a d’autres exemples, mais il faut laisser un « break » à vos lecteurs pour se centrer en ce moment sur le problème majeur que confronte le pays, qui est le projet TNT. On peut en parler prochainement des autres opportunités dans le domaine de la communication dont le Mali n’en profite pas.

InfoSept : Ok

Dr Jeff Dorsey : Je veux que le pays soit développé d’une manière qui favorise la majorité de la population et d’avoir les équipements de la plus haute qualité dans la communication comme dans tous les domaines. Les compagnies américaines dominent la technologie des communications, soit de la radio FM, soit radios tactiques militaires, soit les émetteurs de télévision numérique et les systèmes de réseaux. Un appel d’offre doit séparer clairement l’offre technique et financier des équipements, leurs installations et la mise en marche, le financement de l’ensemble du projet. Dans ce cas, c’est probable qu’une entreprise américaine gagnera le concours pour monter la TNT au Mali en partenariat avec des entreprises spécialisées dans d’autres aspects du projet. Mon but principal, c’est d’assurer que le Mali ait en premier lieu un projet de TNT performant et durable. Ce que je pourrai gagner personnellement, c’est très secondaire.

Notons que le financement du projet est un point différent et doit être séparé du projet technique. Il y a des programmes du Gouvernement américain qui peuvent être mis en place pour couvrir une partie du financement. Aussi, des investisseurs privés américains peuvent financer une compagnie sérieuse qui a signé un contrat transparent. Ce qui favorisera autant le Mali comme le fabricant des émetteurs et d’autres membres du consortium gagnant. Après 58 ans d’indépendance, le Mali doit finalement gagner son indépendance économique de l’ancien pouvoir colonial.

Propos recueillis

Par Dieudonné Tembely

InfoSept

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