Après la reconquête des trois régions du nord du pays, l’armée malienne fait désormais face au défi de la discipline dans ses rangs. Les derniers évènements le prouvent. Enquête.
“La discipline faisant la force principale des armées, il importe que tout supérieur obtienne de ses subordonnés une obéissance entière, et une soumission de tous les instants, que tous les ordres soient exécutés littéralement, sans hésitations ni murmure; l’autorité qui les donne en est responsable et la réclamation n’est permise au subordonné que lorsqu’il a obéi. » .
Cette phrase figure en bonne place dans le RSA (Règlement du service dans l’Armée) un véritable bréviaire des militaires. Compte tenu de son importance chaque militaire est tenu de la mémoriser à tout moment.
Hiérarchie à vau l’au
Entre ce que disent les textes militaires et la pratique sur le terrain, il existe souvent un décalage. C’est le cas notamment du Mali. Dans le pays le Soundjata Kéita, ces prescriptions semblent être la chose la moins partagée dans l’armée ces dernières années. La grande muette souffre aujourd’hui d’un manque de discipline qui avait failli ébranler la cohésion même de l’armée.
Les derniers développements de l’actualité dans le pays ont mis en exergue cette réalité cruelle. Mais qu’est ce qui est à l’origine de ce grand mal ? Les chefs et subordonnés se rejettent mutuellement la responsabilité. « C’est le comportement des chefs qui poussent les subordonnés à l’indiscipline. Ils détournent sans vergogne les droits des hommes. L’avancement ne se fait pas dans la règle de l’art ».
Autant de facteurs évoqués par M. Maïga, lieutenant, et qui expliquent selon lui l’effritement de la discipline entre les supérieurs et leurs subalternes. Son frère d’armes qui a requis l’anonymat est sous-officier et partage son point de vue.
Pour cet homme à la voix grave, le non-respect de la hiérarchie passe par un exercice d’introspection de la part de chefs qui profitent de l’armée pour s’enrichir sur le dos des pauvres soldats par des détournements de toutes sortes. Sans oublier le favoritisme érigé en règle de conduite. Les illustrations données par un sous-officier supérieur, responsable de sport militaire, chargent davantage la hiérarchie.
L’homme en uniforme avoue être victime plusieurs fois de l’injustice et de l’indélicatesse de ses chefs. Le cas qui l’a le plus marqué remonte à la coupe d’Afrique militaire en novembre 2012 en Côte d’Ivoire. « Contrairement aux autres pays, le Mali a été le seul pays à effectuer le voyage par route.
Pendant ce temps, le responsable se paye le luxe d’aller en avion. Comble les joueurs ont remis ça (retour par car) malgré le trophée arraché de haute lutte en terre ivoirienne. J’ai été blessé dans mon amour propre ce jour-là. », dit- il avec un pincement au cœur.
Et d’ajouter : « En guise de récompense, les joueurs n’ont perçu que 500 000 F CFA et l’entraîneur 600 000 F CFA. Cette somme était bien en deçà de celle donnée par les autorités. Pendant ce temps les joueurs des autres pays ont touché près du triple de ce qu’on a perçu. Comment voudriez-vous que les soldats puissent avoir du respect dans ces conditions à l’égard de tels chefs peu scrupuleux ?», s’indigne celui qui témoigne de plus de décennies dans le métier des armes.
Mauvais casting ?
Les griefs formulés contre les chefs sont balayés du revers de la main par ceux-ci, lesquels estiment d’ailleurs que les ‘’plaignants’’ sont de mauvais soldats. Incorporé dans l’armée à la fin des années 70, ce haut gradé de l’armée estime que les jeunes militaires des dernières années viennent dans l’armée avec une mentalité incompatible avec l’armée et dont ils ont du mal à se départir.
La logique consistant à revendiquer à tout bout de champ, avance-t-il, ne rime pas avec la pratique militaire. Tout en reconnaissant le mauvais comportement de certains chefs, cet autre chef militaire se lâche sur les soldats qu’ils accusent de faire un mauvais procès aux chefs souvent accusés à tort et à travers.
De l’avis de l’officier supérieur, les jeunes militaires se trompent d’analyse. « Ce sont des militaires qui veulent tout avoir tout de suite. Ils veulent avoir des grades très vite et ignorent qu’on ne vient pas dans l’armée pour s’enrichir », se défend-il.
Yaya Diarra, sociologue, tente de diviser la poire en deux. Selon lui, l’indiscipline des soldats est liée à ce qu’il appelle un mauvais ‘’casting’’ lors du recrutement où l’on se retrouve avec des enfants recalés ou chassés de l’école et même souvent des repris de justice. Ceux-ci viennent avec un comportement qu’ils ne tarderont pas de contracter après quelques années de service si bien qu’ils tentent de transposer leur mode de vie antérieur dans le milieu militaire.
Ce qui n’exonère pas, à l’en croire, des chefs qui adoptent une attitude mercantile pendant le recrutement pour avoir de l’argent. Tout comme certains d’entre eux s’adonnent à des détournements des droits des subordonnés.
Le coup d’Etat du 22 mars 2012, illustre le sociologue, a permis de mettre à nu le comportement peu orthodoxe des chefs militaires qui s’employaient plus à gagner de l’argent que d’équiper l’armée ou d’améliorer les conditions de vie.
Refonder l’armée durablement
Au moment où le Mali se remet peu à peu de la plus grave crise de son histoire contemporaine, la refondation de l’armée est plus que nécessaire dans le cadre de la reconstruction du pays. En tout cas les nouvelles autorités y attachent du prix. Elles ont donné le ton récemment en mettant fin de manière énergique au mouvement d’humeur de certains soldats de Kati.
Dans son adresse à la nation pour la circonstance, le président de la République ; Ibrahim Boubacar Kéïta, appelé les chefs militaires rétablir très vite la discipline dans la grande muette.
Ce après avoir décidé la dissolution de comité de suivi et de réforme de l’armée et le désarmement de l’ex-junte. La volonté présidentielle est prise au sérieux par le gouvernement.
La preuve par le ministre en charge de la sécurité, le Gal Sada Samaké qui a entrepris une visite dans les différents services relevant de son département. Après la police et la gendarmerie, le ministre était en visite à la garde nationale le jeudi 10 octobre 2013.
Partout le message n’a pas varié : le respect strict de la discipline et le travail bien accompli. « Je suis à cheval sur la discipline. On ne peut rien avoir d’un soldat indiscipliné.
Un chef qui bouffe le droit des hommes n’est pas un chef, je ne travaille avec ce chef », a déclaré, le ton ferme, Sada Samaké à la garde nationale. Un signal fort.
Par Moussa CAMARA
Source: Journal du Mali