Le Mali est dans la dynamique d’un Dialogue national inclusif en vue d’identifier en ensemble et de débattre des maux qui minent le pays, depuis longtemps. Il s’agira de tracer, de façon participative, les chemins d’un Mali réconcilié avec lui-même, un Mali en paix. Cependant, pour des raisons qui leur sont propres, certains Maliens sont dans la logique de se mettre à l’écart de ce nouveau départ du bateau Mali. Pour Sambou Sissoko, cela est surprenant dans un Mali basé pourtant sur des valeurs culturelles dont le « Diatiguiya », le « Grin » et le « siguikafo boulon ». Il pense certainement que les initiateurs et les concepteurs du Dialogue National Inclusif n’ont pas suffisamment mis en avant les concepts et ces valeurs culturelles dont les Maliens sont toujours accrochés et qui fondent notre fierté légendaire et notre identité.
Les Maliens peuvent-ils se mettre ensemble pour se parler et pour parler du Mali ?
La Charte du Mandingue ou « Mandé kalikan », aurait été proclamée en 1222, lors de l’intronisation de Soundjata Keita comme empereur du Mali, par la confrérie des chasseurs dont il en faisait partie.
Cette charte est l’une des premières déclarations des Droits de l’Homme, elle a une vocation universelle. La charte est citée comme référence dans certains articles juridiques actuels et elle a même servi de modèle à nos constitutions. Elle pose en principe, le respect de la vie humaine, la liberté individuelle et la solidarité.
Cette charte ne comporte que quelques articles non écrits, mais précieusement conservés et vulgarisés par la tradition orale. Si cette Charte, l’une des premières du monde, est brève et laconique, l’usage qui en a été fait a permis l’instauration d’une société où la justice sociale, la sécurité des personnes et des biens, la solidarité, le respect de l’autre, la concertation, l’ouverture, sont fortement ancrés dans la mémoire de tous les citoyens.
J’ai eu la chance de visiter quelques localités de ce pays. J’ai pu apprécier sa richesse culturelle et l’enracinement profond des valeurs nées de cette loi fondamentale qu’est la charte du Mandingue. Permettez-moi de vous livrer quelques modestes témoignages :
1- Le concept de la « Diatiguiya » ou hospitalité en langue Bamanan, consiste à permettre à chaque étranger de choisir son « logeur » qui lui procurera le logis et la nourriture au mieux de ses possibilités. À partir de cet instant, il devient membre à part entière de la famille et cette relation se transmettra de père en fils avec ses droits et obligations qu’elle implique réciproquement. À Bamako comme dans toutes les villes de l’intérieur du pays presque chacun a son « diatigui ».
Voici l’exemple de l’ouverture, du partage et de l’élasticité des liens affectifs entre humains.
2- Le concept du cousinage à plaisanterie ou « SINANKOUYA », d’apparence très anodine, consiste à créer entre des familles et des tribus différentes des liens d’amitié et d’intimité héréditaires et sacrés qui interdisent l’agression et imposent l’entraide et la solidarité. Les liens consanguins universellement reconnus sont prolongés par un acte aussi simple que la plaisanterie. Ce qui est considéré comme déplaisant devient une source d’amour, de soutien et d’assistance mutuelle. Voici une forme d’élargissement du cercle familial, tribal, ethnique qui consacre la cohésion sociale.
3- Le concept du « Grin », très répandu dans notre pays, désigne un lieu de rencontres entre amis dédié à la détente, l’échange et le règlement des contentieux. Ces clubs d’une très grande convivialité permettent à tous les Maliens d’avoir une adresse fixe commune à tout un groupe où se règlent un nombre incalculable de problèmes tous les jours que Dieu fait. Chaque Malien est membre d’un « Grin », il est solidaire de ses membres, il s’y rend tous les après-midi sauf cas de force majeure.
Le pays est une immense toile faite de cellules de réflexion interconnectées, une société civile en marche quotidiennement.
4- L’arbre à palabre ou le « siguikafo boulon », que tout le monde connaît et qui matérialise la démocratie participative africaine en vigueur depuis la nuit des temps, est très élaboré et codifié au Mali. Chez les dogons, une case à toiture basse appelée «Toguna » fait office, dans tous les villages, de siège du conseil des sages. Tous les contentieux y sont réglés à l’amiable. Il est interdit de s’emporter et le contrevenant risque de se cogner la tête sur les poutres du toit anormalement bas.
À travers tout ce qui précède, on voit bien qu’il n’y a aucune difficulté majeure pour que les Maliens se mettent ensemble autour d’une table pour se parler, se dire toutes les vérités dans le respect et la courtoisie afin que nous puissions sortir notre pays du chaos dans lequel il a été plongé.
Ce qui a manqué aux initiateurs et aux concepteurs du Dialogue National Inclusif c’est de mettre en avant les concepts et les valeurs culturelles dont les Maliens sont toujours accrochées et qui fondent notre fierté légendaire et notre identité.
En impliquant les légitimités traditionnelles, les leaders religieux et les médiateurs sociaux à tous les niveaux de l’organisation du processus du Dialogue National Inclusif, la réussite sera effective. Et le Mali pourrait compter sur l’ensemble de ses fils pour le sauver…
Sambou Sissoko