Si la transformation de cet ingrédient est très fastidieux pour les femmes, il n’en demeure pas moins que son incorporation dans la cuisson des répas permet de rehausser le goût, en plus de ses vertus.
De nos jours, si dans les campagnes, le « datou » est utilisé dans la préparation de certains mets, dans les villes, l’utilisation de cet ingrédient local connaît une forte régression. Beaucoup de femmes ont tendance à remplacer ce condiment, vieux de plusieurs siècles, par le « soumbala », une substance obtenue à partir de la transformation de la graine de « néré ». « Le « datou » donne à la sauce un goût succulent», lance Madié qui explique qu’il n’y a pas de comparaison à faire. Un autre affirme que c’est une question de préférence.
Le « datou » fait l’objet de critiques exacerbées. Beaucoup de personnes n’apprécient pas ses méthodes de préparation et de conservation qu’elles jugent, souvent insalubres et, surtout, déclare cet enseignant, « à cause de l’odeur qui s’en dégage lors de sa fermentation ». D’autres pensent, à tort, que consommer le « datou » est signe de pauvreté. Entendre ces propos irrite ceux qui mangent du « datou » de père en fils.
Cette année, la production du « datou » est abondante dans le Cercle de Diéma, contrairement à l’année précédente, où le produit a été rare, à cause de la mauvaise récolte du « dah » (oseille), liée au déficit de la campagne agricole. Le contenu d’une cuillère ou d’une louche en plastique est vendu à 50 Fcfa. Il arrive que certaines femmes troquent leur « datou » contre du mil, de l’arachide ou du maïs, ou encore du lait avec les Peulhs transhumants.
Le « datou » constitue une véritable source de revenus pour de nombreuses femmes. Celles de Fangouné-Bambara, un village de la Commune rurale de Diéma, produisent et commercialisent cette denrée sur laquelle elles font d’importants bénéfices. Ces braves femmes se rendent, régulièrement, comme certaines de leurs semblables, avec leurs produits, à la foire hebdomadaire de Diéma. L’argent tiré de la vente du « datou » leur permet de subvenir aux besoins de leur famille et d’alimenter, souvent, leurs caisses associatives.
MINUTIEUX PROCESSUS – La présidente de l’association Benkady de Fangouné Bambara, Kaba Diarra, explique les techniques et le long et fastidieux processus de fabrication du « datou ». « Quand le « dah » (oseille) devient mûr, on procède à la récolte », raconte la dame installée dans un fauteuil. « C’est une activité purement féminine dans cette localité. On rassemble les tiges de « dah » pour les faire sécher. Il n’y a pas de battage, comme c’est le cas avec les épis de mil. On secoue les tiges pour les débarrasser de leurs graines. On fait le vannage des graines de « dah », avant de les transporter à la maison, poursuit-elle. Avec le « mouré » (un instrument de mesure équivalant à 3 kgs), on mesure la quantité de graines de « dah » à transformer en « datou ». On les pile dans un mortier pour enlever les téguments et autres saletés. On fait bouillir de l’eau dans une marmite. On y verse les graines de « dah ».
à l’aide d’une louche, on enlève les écumes qui se forment à la surface. On laisse les graines cuire à point. On les met dans le couscoussier lié à la marmite par un ceinturon en vieux chiffon. « à travers un système de filtration, on déverse l’eau sur les graines de « dah », pour les assainir. On les enlève et les conserve dans un récipient. On récupère des tiges de millet ou à défaut, de sorgho ou de « dah », qui ont un goût fade. On les brûle et les laisse durant vingt-quatre heures pour s’assurer que toutes les tiges ont été transformées en cendre.
Pour fabriquer de la potasse, on met cette cendre dans un sac qu’on pose, minutieusement sur le couscoussier, lui-même, placé sur un récipient. On y verse progressivement de l’eau en la laissant suinter pour obtenir de la potasse. L’exercice se poursuit par le pilage des graines de « dah », jusqu’à les compacter comme de la pâte d’arachide. On verse la potasse sur la pâte de « dah » obtenue. On la malaxe soigneusement. On découpe la pâte de « dah » en plusieurs morceaux, pour les étaler sur la natte, en les éparpillant à l’aide d’un instrument pour favoriser l’aération. Quand le produit devient sec, on le remet dans le couscoussier pour la fumigation. On l’enlève et l’étale, quelques minutes après. On replace les mottes de « dah » dans le récipient pour les briser. Ainsi on dispose d’un « datou », prêt à être consommé. « Pour conserver longtemps le « datou », renchérit la femme, essoufflée par la narration, il faut ajouter du sel et le mettre à l’abri du soleil. Le « datou » a des vertus qui méritent d’être signalées. De l’avis de Modibo, la consommation régulière du produit permet de guérir les brûlures des plaies d’estomac et les ulcères. « L’année de la grande inondation dévastatrice, mon mouton a été emporté par les eaux. J’ai conduit mon frère qui souffrait de « plaies » dans son ventre, chez une guérisseuse qui m’a recommandé de bouillir le « datou », de recueillir l’eau et de donner à boire au malade », explique Modibo.
Tiatiné Diarra, notable à Débo Massassi, soutient que le « datou » sert à traiter la toux. « Il suffit de croquer, chaque jour quelques poignées ». « Dans notre village, ajoute l’homme, les familles qui ne mangent pas le « datou » se comptent sur les doigts d’une main ».
On utilise, généralement, l’ingrédient dans la sauce qui accompagne le tô (pâte traditionnelle de céréales) faite à base de gombo ou de poudre de feuille de baobab, dans la sauce à la pâte d’arachide.
Un passant, intéressé par le sujet, soutient que pour engraisser le mouton, il faut, de temps en temps, mélanger le son de mil avec du « datou » et donner cette combinaison à l’animal. Fousseiny, un chauffeur, raffole de la sauce à la pâte d’arachide préparée avec du « datou ». Il déclare que s’il s’installe autour du plat, rien ne peut le faire renoncer de là, même de l’argent. « La cuisson du « datou » nécessite une grande quantité de bois », constate une femme. Chaque fois qu’elle pense au bois qu’elle utilise pour préparer son produit, elle abandonne le projet. La production du « dah » duquel provient le « datou », doit être vulgarisée dans le Cercle de Diéma, pour permettre aux femmes évoluant dans ce secteur de générer des ressources pour leur plein épanouissement et autonomie. Pour ce faire, il faut renforcer les capacités des femmes et les doter de matériels adéquats pour mener à bien leurs activités. C’est le sens de l’appel de la présidente de l’Association Benkady des femmes de Fangouné-Bambara, Kaba Diarra, qui invite les ONG de la place à leur venir en aide.
Ouka BA
Amap-Diéma
Source: Journal l’Essor-Mali