Tribune de l’Ancien Premier Ministre, Ahmed Mohamed Ag Hamani)
1- Juste le cri de cœur d’un patriote
Chers Compatriotes !
Cette tribune est une contribution, celle d’un fils de la Nation, tout en étant un vibrant cri de cœur, une ode ardente à la nécessité du VIVRE ENSEMBLE.
Comment garder le silence quand la nation est en proie aux périls de l’émiettement ?
Comment se murer dans le mutisme quand c’est notre présent et notre avenir communs qui sont plus que jamais hypothéqués ?
Comment ne pas honorer la parole quand, à défaut de guérir les maux, elle permet de rappeler la communauté de destin tout en donnant droit de cité à des vérités qui méritent d’être dites, même au risque de choquer ?
Les vertus de la parole libre ne sont nullement de produire de l’unanimité mais d’enrichir le débat, l’échange et même la polémique, à condition d’avoir pour seule visée l’intérêt public, rien que l’intérêt public, l’intérêt supérieur de la Nation, en laquelle se retrouvent les enfants de Kidal et de Sikasso, de Kayes et de Mopti, de Gao et de Koulikoro, de Tombouctou et de Ségou.
Si Henri-Fréderic Amiel disait ceci de la parole : « Le silence est plus sage que la parole. », Hervé Bazin prenait plutôt le contre-pied en valorisant la parole : « La parole est d’or ; le silence est de plomb. »
Pour réconcilier ces deux sagesses antagoniques, nous disons simplement que la parole est très utile si elle tient fermement le Flambeau du Bien, de la Paix, de l’Amour, de la Fraternité, bref de l’Humanisme. La parole utile doit tisser les liens, unir les différences !
2- Eprouvons et Prouvons notre Volonté d’Unité !
Au-delà des mots lénifiants, c’est le moment, plus que jamais de nous unir pour faire œuvre collective, pour faire Ensemble Mali, le Mali divers culturellement mais un et indivisible. Avons-nous oublié que notre vaillant peuple et notre vieille nation sont travaillés par des brassages interethniques, interculturels qui font notre belle particularité ?
Notre joyau d’unité est justement cette convergence des cultures, des ethnies et des « sangs mêlés », du nord au sud dont Bamako, notre coquette capitale, constitue une traduction parfaite, un symbole de ce Mali de diversités dont la force n’est en nulle autre chose si ce n’est l’unité. Or pour s’unir, il faut avoir une forte volonté.
Cette volonté ne peut, elle-même, être sincère et forte sans la conscience et la connaissance de notre histoire. Et c’est la connaissance profonde de notre histoire qui fait naître et prospérer la « communauté de destin ».
Sans unité et ferme volonté de faire chemin ensemble, de continuer à bâtir la nation malienne, de la renforcer et la consolider chaque jour plus, nous ne pourrons, si ce n’est nous leurrer, juguler la grave crise qui affecte dangereusement notre cohésion sociale, notre vivre ensemble.
3- Avons-nous oublié que la crise est structurelle ?
Si l’actuel Président fut élu pour régler la crise, il l’a héritée comme crise plus que grave car il s’agit d’une crise lointaine, profondément enracinée, structurelle et aux enjeux multiples. Voilà pourquoi nous devons dépersonnaliser les questions à envergure nationale, les dissocier des personnes, dépassionner les débats pour analyser avec ce qui sied à une réflexion sans émotion.
L’implosion de la Libye a projeté sa charge sur tout le Sahel et on assiste d’ailleurs à une sorte de « cancérisation » avec des métastases qui contaminent ou menacent d’autres pays qui hier étaient encore épargnés. Notre voisin burkinabé constitue hélas l’un des cas de propagation transfrontalière, transnationale de la crise du terrorisme, à laquelle viennent se greffer des problèmes « intercommunautaires ».
4- Le Péril de la Contamination communautariste
Faisons attention et sachons raison garder car avec la grave crise structurelle qui a sérieusement affaibli l’Etat malien et secoué la nation, c’est un autre danger qui nous menace. Il est même confortablement déjà installé au cœur de la cité, au cœur du pays, nous mettant au défi, le défi communautariste.
Si au centre, les enjeux sont plus que compliqués et complexes nous invitant à éviter les amalgames, le superficialisme, la passion pour ne pas tomber dans le piège communautariste, nous-mêmes contribuons, chaque jour plus, sans suffisamment y prendre garde, à faire assoir une sorte de « cycle communautariste » qui, s’il se prolongeait, mettra fin à l’Etat-nation.
5- Pourquoi donc toutes ces associations communautaristes cachées sous le vernis culturel ?
Pourquoi autant d’associations ethniques avec des accents de valorisation culturelle tout en développant le repli identitaire, ethnique et communautariste ? Si chaque ethnie du Mali crée son association, bien que les raisons avancées soient toujours séduisantes, évoquant le salut de la culture, nous savons tous que cela finira par la « valorisation des cadres de l’ethnie » et pire par des revendications soit pour la communauté d’origine soit la région concentrant une forte communauté de la dite ethnie.
Ces associations ne se gênent guère de se référer clairement à la mention « ethnique » dans leurs appellations, phénomène constituant de plus en plus une sorte de contamination, une tendance à effets domino qu’il faut clairement condamner.
Alors, revenons à ce qui a plus d’avenir que ces mouvements et associations communautaristes : le Commun Mali !
6- Le Mali d’abord avant les enjeux politiciens !
La démocratie doit respirer par la différence d’opinion et supporter les querelles légitimes entre pouvoir et opposition et au-delà porter les nobles et profondes aspirations de la société civile. Elle doit même les encourager au nom de la liberté et de la pluralité des points de vue, des visions mais l’intérêt supérieur de la nation doit primer sur tout.
On évoque souvent la nécessité d’alternance. N’est-elle pas l’une des logiques et des exigences du jeu démocratique si le peuple la veut et la décide ? Mais avant l’alternance, il faut que le Mali existe d’abord. Si demain, un autre président devait succéder à l’actuel, faudra-t-il qu’il trouve un Mali « UN ET INDIVISIBLE », un Mali non implosé. Le combat pour la survie du Mali est donc la priorité des priorités avant toute autre considération.
7- Il faut donc mesurer la gravité de la situation
Nous ne pourrons pas changer si nous ne sommes pas capables d’admettre la nécessité de l’autocritique et revoir nos actes.
Et, tant que nous n’aurons pas compris que nous sommes en guerre et qu’elle est loin d’être terminée, nous passerons à côté des vrais enjeux et des vrais combats.
Le Nord et le Centre nous préoccupent tant, ce qui est normal en raison de ce qui s’y passe comme actes graves mais nous ne devons pas oublier que le spectre risque de s’étendre.
8- Désarmer toutes les milices !
Un Etat affaibli doit reconquérir progressivement sa légitimité, son espace, son monopole dans le domaine de la sécurisation et de la défense. Si les populations peuvent aider l’Etat dans des circonstances graves, les milices ne sont pas la solution à nos défis sécuritaires. L’Etat ne doit nullement renoncer à ce monopole au profit des milices qui, une fois créées, constitueront un autre problème à gérer. Elles le sont d’ailleurs déjà !
9- Demain, une ethnie, une milice ?
Au-delà du centre, nous devons donc pousser plus loin la réflexion et mesurer les conséquences de l’existence des milices. En les encourageant, nous ne pourrons empêcher aujourd’hui ou demain, la création de milices ethniques dans d’autres zones du pays menacées par l’insécurité. Or, l’existence de milices ethniques (même si leur réalité propre n’est pas forcément ethnique, si elles sont ainsi perçues, c’est-à-dire comme ethniques) cela entraînera d’autres milices pour finir en confrontations interethniques.
Il faut donc les désarmer, les démanteler au plus vite et laisser l’Etat assurer avec ses moyens ses devoirs régaliens de sécurisation et de défense des personnes, de leurs biens et du territoire.
10- Du découpage territorial
La pression sur l’Etat l’ a amené à la création de régions sans études sérieuses « évaluatives » de notre expérience en matière de décentralisation et sur la viabilité et la faisabilité des entités territoriales issues du découpage. L’a-t-on vigoureusement interrogée et évaluée, notre dynamique de décentralisation ?
Le découpage territorial doit donc être précédé d’une évaluation rigoureuse du processus de décentralisation. Aussi, il nécessite des concertations pour recueillir les avis des populations surtout sur les questions de rattachement à telle entité régionale, locale ou à telle autre. Cela ne peut qu’enrichir le savoir et le savoir-faire de l’Etat pour mieux dessiner son schéma et mieux dérouler son architecture en matière de découpage.
11- De nos partenaires et de l’apport extérieur
En tant que pays en crise, donc assisté avec une forte présence de pays partenaires chez nous, nous ne devons, malgré la nécessité de la coopération, perdre de vue trois choses essentielles : les enjeux géopolitiques, géostratégiques et économiques, les antagonismes entre certains pays impliqués dans la gestion de la crise, ce qui, sur le plan régional, peut compliquer la résolution de notre crise et enfin, ne jamais perdre de vue que cet apport ne doit et ne peut qu’être d’appoint.
La solution doit venir de nous-mêmes. Nous devons constituer le maillon essentiel de la résolution de notre crise avec une Vision stratégique de l’Etat, la prise de conscience et la forte mobilisation de la société civile, la mobilisation également de nos intellectuels pour éclairer la marche de la nation.
12- Les Nations-Unies et la crise
En rapport à ce qui est évoqué plus haut, nous courrons le risque de voir les Nations-Unies se saisir de l’application de l’Accord d’Alger, la récupérer, en dicter le tempo et le calendrier au détriment de la souveraineté du Mali. Nous devons donc cesser de dormir sur nos lauriers, nous réveiller, prendre conscience de la gravité de la situation pour faire face à l’essentiel : les menaces pesant sur l’Unité du Mali, la Cohésion de la nation.
Ne dit-on pas que la nation est un plébiscite de tous les jours, c’est-à-dire une œuvre à bâtir constamment et cela sans répit ?
Il est donc plus qu’urgent de sortir des querelles partisanes mais aussi d’accepter faire notre autocritique, assumer nos échecs, en dépit de la part du conflit libyen.
En lieu et place des querelles byzantines, nous devons nous atteler à ce qui garantira pour tous un avenir sûr : SAUVER D’ABORD LE MALI !
Ce n’est qu’avec cette conscience avisée et au prix de ce sacrifice collectif que nous pourrons faire œuvre utile car la solution à notre crise n’a qu’un seul nom, un seul acteur : LES MALIENS EUX-MÊMES !
Ahmed Mohamed Ag Hamani, Ancien Premier Ministre du Mali
Le republicain mali