Les dirigeants maliens ont-ils réellement la volonté politique de faire de notre pays une puissance agricole, un grenier d’exportation au Sahel voire en Afrique ? La question mérite d’être posée puisque notre pays aspire aujourd’hui à sa pleine souveraineté dans tous les domaines. Elle aussi pertinente au moment où la Banque mondiale nous rappelle que la hausse des prix des produits de base fournit aux pays qui en exportent une occasion décisive de progresser dans leur émergence socio-économique.
Nombre d’entre eux devraient en effet enregistrer une croissance plus rapide au cours des prochaines années qu’au cours de la période 2015-2019. Il leur faut donc saisir cette chance pour restructurer leur économie avec le souci d’une prospérité à long terme. Malheureusement, des pays africains comme le Mali, qui ne manquent pas d’atouts pour assumer la souveraineté alimentaire et exporter les excédents se sont condamnés à être des marchés judicieux pour l’Occident et surtout l’Asie pour ce qui est des denrées alimentaires comme le riz.
Ce qui est une double pénalité pour nos économies nationales ainsi privées de sources de croissance pour impulser leur émergence socio-économique. Dans le cas du Mali, le gâchis est énorme compte tenu de l’immensité de nos potentialités. En plus d’être arrosés par deux des principaux fleuves du continent (Niger et Sénégal) et leurs principaux affluents, le Mali dispose d’atouts indéniables en termes de terres arables propices à de grands aménagements hydro agricoles. Le Mali, c’est l’Office du Niger avec 135 000 ha, l’Office riz de Mopti avec 33 800 ha, l’Office riz Ségou avec 31 000 ha, l’office de Sélingué doté de 9 000 ha, l’Office de Baguinéda et ses 3 000 ha, l’Office du moyen Bani où sont ou peuvent être aménagés 2 700 ha. L’Office du Niger est la plus importante des infrastructures car représentant les 2/3 des superficies totales aménagées dans notre pays. C’est aussi l’un des plus grands aménagements et périmètres irrigués du continent africain. Il dispose en outre de plus de 43 millions d’hectares de terres arables, dont seuls 7 % sont cultivés, ainsi que d’environ 2,2 millions d’hectares potentiellement irrigables, dont seulement 14 % sont irrigués actuellement (USAID, 2020). En dépit de ce potentiel favorable, la croissance agricole malienne est lente et instable.
Des investissements détournés à d’autres fins
Comment expliquez alors qu’un tel pays soit incapable de nourrir seulement 22 millions d’habitants et qu’il soit condamné à importer une grande partie de sa consommation ? En outre, environ 25 % de la population souffrent d’insécurité alimentaire et près de 50 % sont considérés comme pauvres (Banque mondiale en 2018 et FAO en 2019). Selon les résultats de l’enquête nationale sur la sécurité alimentaire et nutritionnelle (ENSAN) de février 2020, la prévalence de l’insécurité alimentaire est de 16 % des ménages, dont 2 % sont en insécurité alimentaire sous sa forme sévère. Des chiffres qu’il faut d’ailleurs revoir à la hausse à cause des crises sécuritaire et sanitaire (Covid-19).
Ainsi, si par exemple pour la saison agricole 2020/2021 la production nationale de céréales a grimpé à 10,4 millions de tonnes (soit une légère hausse par rapport au résultat de l’année précédente estimé à 10,3 millions de tonnes), le pays a importé au premier trimestre de 2020 des céréales et préparations à base de céréales 31,606 milliards de FCFA (4,22 %). Ce qui ressort du bulletin des statistiques du commerce international des marchandises de l’Institut national de la statistique (INSTAT) qui donne un aperçu général sur les importations et les exportations de biens du Mali.
Les discours font pourtant du Mali un pays à vocation agro-sylvo-pastoral dont l’économie reste dominée par le secteur primaire (45 % du PIB) et qui emploie 80 % de la population active. Dans les mêmes discours, il est dit ou écrit que le secteur agricole constitue «une haute priorité pour le gouvernement du Mali» en tant que moteur de croissance. En cela parce que le Mali consacrerait plus de 10 % de son budget au secteur agricole et il envisagerait d’atteindre un taux de croissance de 6 % grâce auxdits investissements.
D’ailleurs, selon des sources officielles, la part du budget national dans le développement agricole et rural atteint allègrement près de 15 %. Dans la théorie, notre pays fait mieux que ce qui est recommandé par la Déclaration de Maputo (Mozambique) qui, en 2003, avait exhorté les Etats africains à allouer un minimum de 10 % du budget national à l’agriculture pour atteindre une croissance de 6 % de l’économie agricole.
Des pratiques traditionnelles assujetties aux conditions géographiques et climatiques
Mais, dans la pratique, est-ce que c’est la part du budget réellement consacrée au développement agricole ? Permettez-nous d’en douter. La preuve, ce sont tous ses scandales financiers qui ont impliqué aussi bien les acteurs institutionnels qu’associatifs de ce secteur névralgique. Cela va de l’engrais frelatés aux détournements des intrants subventionnés vendus à prix d’or aux paysans pris dans l’engrenage des dettes à la fin de chaque campagne agricole.
Sinon comment également expliquer que malgré cette volonté politique, l’agriculture malienne repose encore essentiellement sur des pratiques traditionnelles assujetties aux conditions géographiques et climatiques ainsi qu’à une pluviométrie variable ? Ce qui nous fait dire que l’investissement est dans le milieu rural au Mali est pour le moment un leurre qui hypothèque la lueur d’espoir suscitée par les discours politiques à la veille de chaque campagne agricole. En conséquence, notre pays demeure un grand importateur de denrées alimentaires à la merci des fluctuations des cours mondiaux favorables aux pays exportateurs.
Et pourtant, avec nos énormes potentialités, il suffit d’une bonne volonté politique, d’une réforme agraire audacieuse pour que le pays puisse se hisser au rang de puissance agricole mondiale. Cela n’est possible que si nos décideurs politiques acceptent de remplacer les discours démagogiques, les effets d’annonce, par des investissements concrets et réalistes dans ce secteur vital. Sans oublier ou négliger un aspect très important d’une politique agricole : la commercialisation !
C’est l’un des problèmes essentiels qui empêchent aussi les efforts consentis de produire les effets escomptés parce que le système de commercialisation en place ne profite qu’aux opérateurs économiques qui exploitent les producteurs et abusent des consommateurs. Pour tirer le meilleur profit de nos produits céréaliers par exemple, il faut essayer d’établir une passerelle directe entre le producteur et le consommateur ou veiller strictement à ce que les opérateurs économiques ne tondent pas la laine sur le dos de tout le monde en achetant les céréales à vil prix aux paysans pour les revendre aux consommateurs avec des profits inimaginables.
Moussa Bolly
Le Coton, «l’or blanc» jusqu’à quand ?
Après avoir joué les premiers rôles dans la production du coton pendant des décennies, notre pays est aujourd’hui dépassé par des pays comme le Burkina et le Bénin. En effet, en 2023, la première place des producteurs subsahariens est revenue au Bénin avec 587 000 tonnes, suivi du Burkina Faso, puis du Mali rétrogradé à la 3e place pour n’avoir produit que 390 000 tonnes de coton, soit moitié moins qu’en 2022. Il s’agit là de chiffres non officiels, mais qui ne sont pas faux puisqu’ils ont circulé lors de la dernière réunion du Programme régional de production intégrée du coton en Afrique (PR-PICA) organisée cette année à Abidjan, en Côte d’Ivoire.
Si nous ne consacrons pas réellement à cette filière les efforts réels nécessaires, la Côte d’Ivoire et le Tchad vont bientôt nous damner les pions. En effet, il ne faut plus se voiler la face, la baisse de la production cotonnière est une triste réalité dans les zones productrices. Entre difficile accès aux intrants chers et de mauvaise qualité, le retard dans le paiement de la vente, les maladies qui déciment fréquemment des hectares et des hectares après des durs labeurs et surtout des investissements onéreux, le cotontonculteur malien a aujourd’hui toutes les raisons de baisser les bras. Selon, beaucoup d’entre eux, ils ne se sont jamais aussi sentis seuls face à la triste réalité que ces dernières années.
Les efforts consentis pour le bien-être des paysans étaient jusque-là impunément détournés par des acteurs publics et privés à d’autres fins.
M.B
Un secteur vital à la stabilité socio-économique et politique du pays
La contribution du secteur agricole à la stabilité économique et sociale du Mali est capitale de par son rôle central dans l’économie nationale, dans la création d’emplois et d’activités génératrices de revenus ainsi que dans la sécurité alimentaire et l’amélioration du cadre de vie des populations. Nous avons une production assez variée. Les productions végétales comportent des céréales (mil, sorgho, maïs, riz) et des cultures de rente (arachide, coton). La production céréalière est principalement destinée à l’auto- consommation et n’est officiellement commercialisée qu’à hauteur de 20 %.
Pour faire de l’agriculture le vrai moteur de la croissance économique du Mali, il faut inverser deux courbes. Primo, celle de la production qu’il faut améliorer par la mécanisation du secteur, mais aussi en profitant des opportunités de produire en toute saison. Secundo, il faut des unités compétitives de transformation des produits agricoles, notamment le coton et les cultures alimentaires, pour créer plus de valeur ajoutée. Il ne s’agit pas de tomber dans un protectionnisme aux dépens de la qualité comme on le voit aujourd’hui avec les pâtes alimentaires.
Le pays a presque fermé ses frontières aux produits étrangers, alors que les industries locales ne parviennent pas à offrir aux consommateurs des produits de qualité. Cela est contreproductif à la longue car pouvant desservir même des produits de qualité made in Mali. Il faut plutôt créer des conditions de compétitivité poussant nos industriels à mieux s’équiper et à mieux former leurs employeurs pour concurrencer loyalement les produits étrangers par la qualité et le coût.
M.B
Source: Le Matin