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DEUX DECRETS ARBITRAIRES POUR INSTALLER LE CNT

Après un long passage à vide saccadé par des tergiversations inexpliquées, le processus d’installation du CNT a fini par emprunter les chemins de traverse des bricolages juridiques qui le conduisent tout droit dans l’enfer des irrégularités. L’une des tares de cette Transition est justement d’être gangrenée par des charlatans juristes tapis dans l’ombre des plus hautes institutions de l’Etat. En vérité, ce sont ces charlatans juristes qui sont à l’origine de la trajectoire de républicaine bananière imprimée au pays dès le lendemain du coup d’Etat du 18 août 2020. Sans doute par instinct de survie matérielle, ils semblent davantage préoccupés à traficoter au profit de la Transition des semblants d’enveloppes juridiques à des desseins inavoués qu’à lui opposer en toute conscience professionnelle la rigueur juridique de l’Etat de droit qui fait la vraie autorité de l’Etat républicain. Le Conseil National de Transition (CNT) n’échappe pas à ces manigances. Cet organe emblématique censé créditer la Transition d’un minimum de constitutionnalité se met en place dans des conditions qui font injure autant à la Constitution de 92 qu’à la Charte de la Transition elle-même.

BAH N’DAW INCOMPETENT POUR FIXER LES MODALITES DE DESIGNATION DES MEMBRES DU CNT

Le Décret n°2020-0142/PT-RM du 9 novembre 2020 fixant les modalités de désignation des membres du CNT est symptomatique de la dérive d’irrégularités juridiques qui mine la Transition et qui décrédibilise le discours de rétablissement de l’ordre constitutionnel et de l’Etat de droit dans notre pays. Pour bien s’en rendre compte, il faut se reporter au Titre III de la Charte consacré aux organes de la Transition. L’article 3 de ce Titre cite le Président de la Transition, le Conseil national de Transition et le Gouvernement de la Transition. Il faut préciser que tous ces trois organes sont des institutions de nature constitutionnelle et qu’à ce titre, c’est la Charte elle-même qui se charge de régir directement les aspects les plus fondamentaux de leurs statuts et prérogatives. C’est notamment le cas des critères qu’il faut remplir pour prétendre à l’exercice des fonctions de ces institutions. Ce sont les articles 8 pour le Président et le Vice-président de la Transition et 12 pour le Premier ministre et les ministres, qui énumèrent ces différentes conditionnalités. On constate cependant que dans leur précipitation à se blottir derrière le copier-coller de la Charte du Burkina Faso, les rédacteurs de « notre » Charte ont omis d’y insérer comme pour les deux autres organes de la Transition, les conditions à remplir pour prétendre assurer la fonction de membre du CNT.

Dans un Etat de droit et qui respecte le parallélisme des formes adossé au principe de hiérarchie des normes juridique, une telle insuffisance aurait exigé de revoir la Charte afin que le CNT et les deux autres organes de la Transition ne fassent pas l’objet de traitement différencié au regard des conditions à remplir par les candidats prétendant à ces fonctions. Les conditions requises pour devenir membres du CNT relèvent du domaine constitutionnel de la Charte. Mais les experts juridiques de la Transition se sont plutôt contentés de la solution à l’emporte-pièce des républiques bananières. Ils se sont échappés par la porte dérobée du bricolage juridique de remplissage par voie règlementaire du vide constitutionnel relatif aux conditions requises pour la fonction de membres du CNT. C’est ainsi qu’a été improvisé le Décret n°2020-0142/PT-RM du 9 novembre 2020 fixant les modalités de désignation des membres du CNT dont l’article 2 dispose : « Pour être membre du Conseil national de Transition, les candidats doivent remplir les conditions suivantes : être de nationalité malienne d’origine ; jouir de leur capacités physiques et mentales ; n’avoir jamais fait l’objet d’une condamnation pénale; avoir les compétences requises ; être reconnus pour son engagement patriotique ; être de très bonne moralité ». Cet article n’est rien d’autre que la pâle copie des articles 8 et 12 de la Charte relatifs d’une part au Président et au Vice-président et d’autre part au Premier ministre et aux ministres.

On ne s’attardera pas outre mesure sur le côté rocambolesque à la limite de la moquerie de ce Décret qui, sans discernement aucun, a l’outrecuidance d’évoquer s’agissant des « groupements des personnes vivant avec un handicap », le critère de « jouissance de capacités physiques ». On fera remarquer surtout que cet article 2 a tout simplement transposé les critères des articles 8 et 12 de la Charte dans un simple Décret. En d’autres termes, le CNT qui revendique le statut d’organe constitutionnel au même titre que la Présidence, la Vice -présidence, le Premier ministre et les ministres, est traité pour ne pas dire maltraité, comme une vulgaire institution de seconde zone dont les critères à remplir pour prétendre aux fonctions ne mérite pas le niveau constitutionnel. Les conditionnalités exigées pour l’exercice de sa fonction sont dans la hiérarchie des normes juridiques, de niveau inférieur à celles requises pour les autres institutions équivalentes de la Transition.

BAH N’DAW INCOMPETENT POUR FIXER LA CLE DE REPARTITION ENTRE LES COMPOSANTES DU CNT

Il faut tout d’abord commencer par faire remarquer que relativement au CNT, la Charte de la Transition ne renvoie qu’à un seul texte juridique qu’elle qualifie d‘ « acte » à l’alinéa 3 de son article 13 sans autre précision : « Un acte fixe la clé de répartition entre les composantes du Conseil national de Transition ». Il est vrai que cet alinéa 3 pour le moins bancal au plan de la légistique, ne précise pas l’autorité compétente pour édicter ledit acte. Le Décret n°2020-0143/PT-RM du 9 novembre 2020 fixant la clé de répartition entre les composantes du CNT a cru bon s’engouffrer dans ce relatif flottement. Sauf que les charlatans juristes qui entourent le Président Bah N’DAW n’ont pas réalisé que les attributions du Président de la Transition ne s’exercent pas de manière vagabonde en dehors de tout encadrement juridique. Le Décret n°2020-0143/PT-RM du 9 novembre 2020 soulève la question de savoir d’où le Président Bah N’DAW tire ses fondements juridiques. Cette question est pendante, car l’article 5 de la Charte dispose que « les pouvoirs et prérogatives du Président de la Transition sont définis dans la présente Charte et la Constitution du 25 février 1992 ». Or, ni la fixation des modalités de désignation des membres du CNT, encore moins celle de la clé de répartition entre ses composantes, ne relèvent d’une quelconque prérogative de Bah N’DAW ni au titre de la Constitution de 92, ni au titre de la Charte.

Peut-on admettre par exemple, au regard du principe de séparation des pouvoirs, que le Président de la République fixe par décret le nombre de députés à élire par cercle, ou même qu’il détermine leurs conditions d’éligibilité ? Le Décret n°2020-0143/PT-RM du 9 novembre 2020 est entaché dans sa régularité par sa dérive d’empiètement fonctionnel. Nous savons que rien dans la Constitution du 25 février 1992, n’habilite le Président de la République à exercer une telle prérogative de fixation de quotas de représentation au sein de l’organe législatif qui relève de la législation organique. La Charte de la Transition non plus, ne peut servir de fondement juridique à une telle interférence de l’exécutif dans la composition du législatif. La Charte aussi bien que la Constitution de 92 n’ont pu servir de couverture juridique au Décret n°2020-0143/PT-RM du 9 novembre 2020 fixant la clé de répartition entre les composantes du CNT.

BAH N’DAW S’EST-IL EMPARE DES PREROGATIVES DU CNSP ?

BAH N’DAW en tant que Président de Transition institué par la Charte, ne peut s’arroger par simple décret, des prérogatives pour instituer un autre organe procédant de cette même Charte. Le CNT étant un organe de la Transition et non un organe du Président de la Transition, l’acte qui fixe la clé de répartition entre ses composantes comme stipulé à l’alinéa 3 de l’article 13 de la Charte ne peut pas prendre la forme d’un décret présidentiel. De la même manière que le Président de la Transition et son Vice-président ont été choisis par un collège de désignation mis en place par le CNSP comme stipulé à l’article 4 de la Charte, l’acte fixant la clé de répartition entre les composantes du Conseil national de Transition aurait dû relever de la compétence du même CNSP. Cela paraît d’autant plus conforme au statut d’institution du CNT que l’article 26 de la Charte reconnaît au CNSP le pouvoir de prendre les mesures nécessaires au fonctionnement des pouvoirs publics jusqu’à la mise en place de l’ensemble des organes de Transition. L’alinéa 3 de l’article 13 habilite le CNSP et non le Président de Transition à attribuer tel ou tel quota à telle ou telle entité énumérée à l’alinéa 2.

LES ENTITES DESSAISIES DE LEUR PREROGATIVE DE DESIGNATION

L’irrégularité du Décret n°2020-0142/PT-RM du 9 novembre 2020 fixant les modalités de désignation des membres du CNT va au-delà de la forme. Dans le fond, le Décret recèle également de nombreuses anomalies juridiques. C’est ainsi que les articles 3 et 5 font carrément main basse sur la composition du CNT qui se trouve complètement embrigadée, en violation flagrante de l’article 13 de la Charte. L’acte préparatoire de cette prise en otage du processus autonome de désignation de leurs représentants par les entités énumérées à l’article 13, est posé à l’article 3 du Décret qui, sous peine d’irrecevabilité des candidatures, fait obligation aux entités concernées de déposer le double du quota qui leur est attribué. C’est de la pure ingénierie juridique de la manipulation et du tripatouillage du droit mis au service de desseins inavoués. Pourquoi fixer un quota précis dans un Décret et en exiger le dépôt de son double dans un autre décret, si ce n’est qu’à des fins de manipulation ? La réponse à ce questionnement qui se passe de tout commentaire, tient à l’article 5 du Décret selon lequel « le Vice-président, après examen des dossiers, arrête la liste des membres du Conseil national de Transition ». Le Décret organise en quelque sorte un tour de passe-passe comme le ferait un magicien, pour finalement dessaisir les entités concernées de leur pouvoir de désignation de leurs représentants au CNT. Tout ce passe comme si, au mépris de la Charte, c’est le Vice-président qui était habilité à désigner les 121 membres du CNT en lieu et place des 19 entités.

LE VICE-PRESIDENT DANS LA PEAU DU PRESIDENT DU CNSP

Le Décret n°2020-0142/PT-RM du 9 novembre 2020 fixant les modalités de désignation des membres du CNT est un véritable pot-pourri de bricolages juridiques ? Il n’a décidément que du mépris pour la Charte de la Transition. La Charte stipule bien à l’alinéa 2 de son article 7 que « le Vice-président est chargé des questions de défense et de sécurité ». Le Décret n°2020-0142 juridiquement têtu qui ne l’entend pas de cette oreille, lui bricole en ses articles 4 et 5 de nouvelles attributions lui permettant de réceptionner les listes de candidatures au CNT, d’examiner les dossiers et d’arrêter la liste définitive des membres du CNT. Nous sommes ici à mille lieues des questions de défense et de sécurité. Nous restons dans la même trajectoire d’irrégularités et d’arbitraires des deux décrets du 9 novembre 2020

Dr Brahima FOMBA

Enseignant-Chercheur Université des Sciences Juridiques et Politiques de Bamako (USJPB)

Source; Le Pays- Mali

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