Où sont passés l’ancien Premier ministre Boubou Cissé et l’ancien Président de l’Assemblée nationale Moussa Timbiné ? Il en est aussi du cas de Boubacar Keïta, l’un des fils du Président déchu, et hauts gradés de l’armée qui seraient aussi détenus à Kati. Ces détentions sont-elles légales ? Les détenus bénéficient-ils d’une assistance judiciaire ? Sont-ils dans les conditions idéales de détention ? Autant de questions qui taraudent des Maliens épris de justice. Pour éclairer vos lanternes, ‘’Le Prétoire’’ a recueilli les avis de Aguibou Bouaré, Président de la Commission nationale des droits de l’homme (Cndh) et de Marcel Ceccaldi, célèbre avocat au Barreau de Paris.
AGIBOU BOUARE, PRESIDENT DE LA CNDH
« Toute privation de liberté, hors du cadre légal, constitue une détention extrajudiciaire »
Le Prétoire : Avez-vous des informations sur les personnalités politiques et militaires dont l’ancien Premier ministre et l’ancien président de l’Assemblée nationale, détenues depuis le 18 août 2020 suite au coup d’Etat contre le président IBK ?
Aguibou Bouaré : Merci de nous interpeller sur cette préoccupation majeure. Comme vous le savez certainement, la Cndh est l’institution nationale des droits de l’homme du Mali, chargée de la protection, de la promotion des droits humains et de la prévention de la torture. À l’instar des institutions nationales des droits de l’homme d’autres pays fondées sur les résolutions pertinentes de l’ONU, et conformément aux principes de Paris, la Cndh du Mali est chargée de recevoir des plaintes individuelles ou collectives sur toutes allégations de violation des droits humains, de mener des investigations, d’établir les faits et de tout entreprendre, en vue de mettre fin aux violations constatées. Elle a également le mandat légal de visiter tous les lieux de privation de liberté, en vue de s’assurer du respect des droits fondamentaux des personnes privées de liberté, d’humaniser les conditions de détention. Autorité administrative indépendante, la Cndh joue aussi le rôle de Conseil auprès des autorités par rapport à toutes les questions de droits humains. C’est ainsi que vous assistez régulièrement à nos sorties dans le cadre de la mise en œuvre de notre mandat légal. Il est important de rappeler que la Cndh est une institution indépendante, impartiale à l’avant-garde de la protection des droits de l’homme dont la seule préoccupation est de veiller au respect des droits fondamentaux de toute personne vivant sur le territoire malien, en tout temps, en toute circonstance et en tout lieu. Pour mémoire, sous le régime déchu, nous avons pleinement joué notre rôle à travers notamment des dénonciations, des rappels de l’État à ses obligations, des visites aux détenus politiques du M5-RFP en son temps, etc. Nous continuerons à jouer toute notre partition pendant cette période transitoire, une période de pouvoir d’exception constituant, du reste, un terreau favorable aux violations des droits humains. D’où l’impérieuse nécessité de redoubler de vigilance. Cela dit, pour revenir à votre question, depuis le lendemain de l’interpellation des personnalités politiques, en lien avec les événements du 18 août passé, nous sommes montés à Kati pour nous acquitter de notre mandat légal. Nous avons eu droit à un accueil courtois de la part des responsables de la junte, même si nous n’avons pu rendre visite aux personnes privées de liberté ce jour ; l’engagement a été pris de nous rappeler. Nous avons dû envoyer plusieurs courriers de relance et passer par divers voies et moyens, avant d’être reçu le 27 août par la président du Cnsp, Colonel Assimi Goïta, qui nous a rassurés que la longue période d’attente était loin d’être un signe de mépris. Ainsi, ce jour, nous avons pu rendre visite aux personnes privées de liberté dont l’ancien Président de la République à son domicile, les autres à Kati dont l’ancien Premier ministre et l’ancien Président de l’AN. À part la violation du droit à l’information, du droit à des visites extérieures, les conditions de détention étaient globalement satisfaisantes à notre passage. Cependant, nous avons noté que certaines personnes privées de liberté assimilaient leur statut à celui d’otages.
Quelle est la situation du fils de l’ancien président de la République, Bouba, séquestré à Sébénikoro ?
J’avoue que nous n’étions pas au courant de la privation de liberté de M. Bouba Keïta, pour la simple raison que le jour de notre visite, on nous a rassurés que les personnes auxquelles nous avons eu accès étaient les seules privées de liberté, sous la responsabilité de la junte. Nous ignorons à quand remonte la privation de liberté de M. Keïta. En tout état de cause, étant une personne humaine disposant de droits, nous solliciterons à nous enquérir de ses conditions de privation de liberté si sa détention est avérée.
Qu’est-ce que votre structure a fait pour que leur dossier soit judiciarisé ?
Comme je vous l’ai dit, nous avons une haute conscience de notre mandat légal. Je puis vous assurer que beaucoup de puissantes personnalités, en son temps, ont bénéficié de notre assistance lorsqu’elles sont passées de l’autre côté de la barre. Les exemples sont légion, je ne citerai pas de nom, il s’agit de l’histoire très récente de notre pays. Du jour au lendemain, l’on peut changer de statut. Du plus puissant, on peut se retrouver le plus vulnérable, victime d’abus. C’est pourquoi, nous ne nous lasserons jamais de rappeler que “nul n’est à l’abri de la violation de ses droits ” et que “la protection des droits de l’homme est une responsabilité partagée “. Je pense que beaucoup de nos concitoyens commencent à comprendre et à en prendre conscience grâce à nos efforts de sensibilisation, de formation, de communication et d’information. Notre mandat est de rappeler l’obligation de l’État du Mali à respecter ses engagements, à savoir les instruments juridiques nationaux, régionaux et internationaux, auxquels notre pays a souscrit en toute souveraineté, en matière de droits humains. Si les personnes privées ne sont pas détenues pour des raisons et sur des fondements juridiques ou judiciaires, un terme doit être mis à leur privation de liberté. C’est ce que la loi recommande.
En notre qualité de conseil sur les questions des droits humains, nous avons rappelé cela par la voie appropriée, et espérons que les autorités en tiendront compte.
Ne sont-ils pas victimes d’une détention extrajudiciaire et d’une violation flagrante de leurs droits de défense ?
Il est évident que toute privation de liberté, hors du cadre légal, constitue une détention extrajudiciaire, en violation des droits fondamentaux des personnes détenues. Nous continuerons à appeler l’attention des autorités sur cette situation.
Vous savez, la mission de défense des droits humains a ceci de particulier que vos mérites ne sont souvent reconnus par les régimes que lorsque les puissants d’aujourd’hui deviennent des victimes du lendemain. Au sommet de leur gloire, les dirigeants ont souvent une perception négative des organisations de défense des droits de l’homme, lesquelles n’ont pourtant ni camp ni clan. Le seul parti pris qu’elles font est celui exclusif de l’humain. Mettons donc les droits de l’homme au cœur de nos préoccupations afin que notre pays sorte de l’impasse.
Comme qui dirait ” une injustice faite à un individu est une menace faite à l’humanité”.
Nul n’est à l’abri de la violation de ses droits. La protection des droits humains est une responsabilité partagée.
Dieu préserve notre pays !Il est temps que dans notre pays, les conseillers et autres conseils quittent la posture de courtisans thuriféraires pour rendre service à la fois aux dirigeants et au pays, en conseillant ce qui est réaliste, légal et bon pour le pays dans le respect des droits de toute personne humaine.
Réalisée par BF
Marcel Ceccaldi, avocat au Barreau français :
« Ceux qui sont à l’origine de cette détention se placent en marge de la communauté internationale »
Le Prétoire : Depuis le 18 août dernier, certaines personnalités de l’ancien régime tant civiles que militaires sont détenues au camp Soundiata Kéita de Kati. Est-ce légal si on sait que Kati n’est pas un lieu de détention ?
Me Marcel Ceccaldi: L’Etat de droit n’est pas l’Etat de n’importe quel droit.
En d’autres termes, il ne suffit pas d’édicter des règles ; encore faut-il que les règles soient conformes à des impératifs de justice qui se ramènent essentiellement à des droits fondamentaux de l’homme, droit à la vie, liberté d’expression et de réunion, droit à la vie privée, ou à des grands principes de démocratie, élections libres et régulières notamment.
A l’aune de ce rappel, la détention infligée à certaines personnalités viole les principes reconnus des droits de l’homme et ceux qui sont à l’origine de cette détention se placent en marge de la communauté internationale.
Cette détention extrajudiciaire est-elle légale ? Que dit la loi en la matière ?
Cette situation est une situation de fait et non de droit, celle que vous rencontrez dans les Etats où l’arbitraire règne sans partage.
Le droit en la matière, au Mali comme ailleurs, est clair et sans équivoque : une personne ne peut être détenue qu’en vertu d’une décision rendue par l’autorité judiciaire.
C’est en ce sens que cette détention est particulièrement préoccupante car elle signifie que le but des militaires est de s’approprier tous les pouvoirs.
Aujourd’hui, ils usent du pouvoir d’arrêter, sans base légale, qui bon leur semble ; demain, accepteront-ils de se démettre et de se soumettre à la volonté du peuple ?
Ces anciens dirigeants surtout Boubou Cissé, Moussa Timbiné respectivement ancien Premier ministre et ancien président de l’Assemblée nationale ont-ils bénéficié de l’assistance d’un avocat comme l’exigent les dispositions de notre code de procédure pénale ?
Un des grands acquis de la révolution de 1991 est la constitution adoptée le 12 janvier 1992 dont le préambule indique notamment que le peuple malien souscrit à la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 est à la charte africaine des droits de l’homme et des peuples du 27 juin 1981.
Ces textes fondamentaux stipulent que tout individu a droit à la liberté et à la sûreté, à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal impartial et que nul ne peut être détenu arbitrairement.
J’ajoute que dans le domaine des droits de la défense, droit d’être assisté par un avocat et libre choix de l’avocat, communication de la procédure, information dans le plus court délai de la nature et de la cause de l’accusation, le Mali a montré l’exemple et que sur bien des aspects sa législation était très largement en avance sur celle de la France par exemple.
Priver donc les personnalités détenues de ces droits inscrits dans la constitution et dans la loi est une régression dramatique des droits fondamentaux de la personne et de l’Etat de droit qui n’augure rien de bon pour l’avenir car l’arbitraire n’est pas divisible.
Qu’en est-il aussi du sort fils de l’ancien président aujourd’hui séquestré à son domicile à Sébénicoro ?
De quoi les militaires ont-ils peur ?
Craignent-ils une mutinerie dans leurs rangs ?
Il n’y a pas d’explication rationnelle à un comportement qui souffre à l’évidence de lignes directrices fermes.
L’impression qui domine est celle de l’improvisation au service d’ambitions personnelles.
Ce qui conduit à la situation du fils du Président.
On ne sait pas trop quoi faire alors on le séquestre à son domicile, sur le thème il sera toujours temps de voir plus tard !
Permettez-moi de vous dire que le Mali et son Peuple méritent bien autre chose.
Le Mali recèle suffisamment d’intelligences et de personnalités pour s’engager dans une autre voie et c’est pourquoi il ne faut pas désespérer de l’avenir.
Réalisée par BF
Source: Le Prétoire