Rares, il convient de se précipiter pour le souligner. Rares et, plus grave encore, en voie de disparition totale. Est-ce grave docteur ? Oui et non, car cela dépend de l’angle de vue ou l’on se place. La laïcité aura été une belle opportunité et surtout un incomparable alibi pour opportunistes voulant plaire aux occidentaux tout en dribblant l’opinion malienne, orateurs peu courageux pour s’assumer et politiciens magiciens du leurre voulant abuser de son public. Ils étaient (et ils sont) rares les personnalités maliennes qui ne trichaient pas (ne trichent pas) avec la laïcité. Du milieu politique à celui de la société civile, en passant par toutes les strates et catégories du leadership malien, le faux et l’usage de faux est le plus rependu. Et puisque la tare s’est généralisée et que beaucoup ont fini, de toute bonne foi, par prendre l’ivraie pour le vrai (sens), il n’était plus question de remettre en question, de corriger et de « retourner en arrière » ( pour parler en bamanankan clair).

La règle ? Elle veut que l’exception confirme la loi. Si tous et toutes trichent avec le mot « laïcité », de mauvaise foi ou par ignorance, quelques irréductibles sont toutefois  à signaler.

Parmi eux, Dioncounda Traoré – professeur d’enseignement supérieur, ancien ministre, ancien président de l’Adema-Pasj, ancien candidat avorté à la présidence de la République, ancien président de l’Assemblée nationale et enfin ancien président de la République par intérim. Au Mali on dit : « Tant que quelqu’un n’a pas le pouvoir (argent ou position), tu ne connais pas encore son vrai caractère ». Dioncounda a été laïc avant, pendant et aujourd’hui encore. Il n’a jamais cédé à la tentative, par facilité, par populisme ou par opportunisme, d’affecter des comportements qui plaisent et qui captent aisément  l’assentiment des Maliens. Le faux n’est plus faux au Mali, il est bénédiction. C’est une norme de jeu avec laquelle tous se complaisent. Le péché, c’est le vrai et le propre. Une seule réglé prévaut, le « Faisons semblant ». Adorer cette idole est nécessaire et suffisant. Il suffit de faire semblant et « ça passe ».

En matière de laïcité, Dionconda n’a jamais joué à ce jeu- ni dans son discours, ni dans son comportement et ni dans ses approches de politicien qui veut plaire, attirer et rassembler. Beaucoup de politiciens ne peuvent pas se prévaloir de ce genre de comportement qui met en adéquation la pensée et l’action, la politique et la campagne, le comportement en société et la conviction librement choisie. Laïcité ou pas laïcité ? Cela n’est pas l’important. L’important, c’est la concordance entre la position proclamée comme sienne et le comportement  qui va avec dans les différents domaines et places sociales. Et c’est à ce niveau que l’homme public qui est (était ?)  Dioncouda Traoré s’est illustré. Si ce qui est rare est cher, alors Dioncounda devra avoir son pesant d’or dans la balance de laïcité malienne.

D’autant plus que l’espèce est en voie de disparition.  Disparition par règne du goût de la facilité (chez les  politiciens et autres leaders), par la  souveraineté de l’ignorance du concept (qui prendre le faux pour le vrai) et surtout par le ressac d’une émergence qui brille/menace à l’horizon et qui ne tardera pas à balayer le mot « laïcité » et son contenu (le peu qui lui restait !) dans les oubliettes de l’histoire. En effet, l’idée d’un « Etat islamique» telle que cela existe sous d’autres cieux se précise de plus en plus. En ce moment-là, il ne sera plus question de laïcité, mais de ‘’Charia’’. Donc, des laïcs, des vrais, on n’en aura plus besoin. Enfin, on ne peut pas parler d’hommes de laïcité véridique au Mali sans évoquer Mamadou Lamine Traoré, Bakorè pour les intimes. Lui aussi, durant sa vie, a prôné et pratiqué la laïcité dans sa pensée et dans sa vie quotidienne « sans regarder les yeux de qui que ce soit ». Lui aussi a tenu à être laïc dans la croyance et dans la pratique. Joindre l’acte à la parole au Mali, il faut été fou.

Amadou Tall

source : Le Matin