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Démographie : l’Afrique pourrait devenir la locomotive économique du monde, si…

(Ecofin Hebdo) – Un Terrien sur six vit aujourd’hui sur le continent africain. En 2050, ce sera 1 sur 4, et plus de 1 sur 3 en 2100. Ce raz-de-marée humain pourrait générer un important dividende démographique semblable à celui qu’ont connu la Chine et l’Inde durant le 20è siècle ou, au contraire, constituer une bombe à fragmentation, dont les éclats n’épargneront pas les équilibres européens et américains.

La croissance démographique décélère ou se stabilise partout dans le monde, sauf en Afrique. La planète héberge actuellement 7 milliards d’humains. Ils seront 10 milliards en 2050, dont 2,4 en Afrique, selon le scénario moyen des projections de la division de la population des Nations Unies. En 2100, le continent africain devrait abriter 4,4 milliards de personnes, soit près de 40% de la population mondiale. A cet horizon, la population chinoise devrait refluer pour atteindre 1,1 milliard d’habitants tandis que celle de l’Inde se stabilisera à 1,5 milliard d’habitants.

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Aujourd’hui les populations de l’Inde et de l’Afrique sont comparables. Qui est surpeuplé ?

D’après les projections de Population Référence Bureau, une ONG américaine qui étudie les tendances démographiques mondiales, trois des dix pays les plus peuplés de la planète en 2050 seront africains : le Nigeria, qui ravira le rang de quatrième pays le plus peuplé du monde aux Etats-Unis, la République démocratique du Congo et l’Éthiopie, qui remplaceront respectivement la Russie et le Mexique.

Il y a moins d’un siècle, l’Afrique était un véritable désert démographique. Ce vaste continent, qui couvre 20 % de la surface des terres émergées, ne comptait en effet qu’environ 150 millions d’habitants en 1930. Mais la donne démographique y a rapidement basculé grâce aux progrès de l’hygiène et de la médecine. Le principal facteur qui explique la surchauffe démographique africaine est la baisse rapide du taux de la mortalité infantile sur le continent. Ce taux est passé de 30 % en 1950 à moins de 9 % aujourd’hui. Dans le même temps, l’espérance de vie a gagné plus de 20 ans, passant de 37 ans à 57 ans.

Toutefois, la fécondité ne fléchit que lentement. En 1960, le nombre d’enfants par femme était de 6,7. Aujourd’hui, la moyenne africaine tourne autour de 5 enfants par femme. Une enquête menée par l’Agence américaine pour le développement international (USAID) a révélé qu’un couple n’imagine pas avoir moins de 6 enfants dans les 18 pays africains étudiés. Au regard de ces chiffres, la photo de la femme africaine flanquée de ses dix enfants, largement véhiculée par les médias avides de sensationnalisme, est loin d’être un cliché réducteur. «Les sociétés africaines continuent de valoriser les familles nombreuses et les femmes ayant beaucoup d’enfants. La persistance de ces normes natalistes s’est traduite par une résistance à l’utilisation de la contraception», explique Jean-Pierre Guengant, démographe et directeur de recherche émérite de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) basé à Marseille.

 

Conflits sanglants, extrémisme et déferlante migratoire

L’explosion démographique attendue sur le continent pose de redoutables défis endogènes et exogènes. En Afrique plus qu’ailleurs, la forte pression démographique a d’ores et déjà engendré des conflits armés majeurs autour du contrôle des terres arables ou des ressources minières. Le génocide rwandais, l’interminable guerre du Kivu (République démocratique du Congo) et même la guerre civile en Côte d’Ivoire peuvent en effet se lire comme «régulation démographique et foncière».

Et la tendance va se poursuivre sur 15 ans, à raison de près de 30 millions de jeunes actifs supplémentaires chaque année sur l’ensemble du continent, soit l’équivalent de trois fois la population de la Belgique.

D’autre part, la pyramide des âges en Afrique sera de plus en plus dominée par les générations du baby boom durant les prochaines décennies. En 2050, le nombre des jeunes Africains devrait culminer à 840 millions, selon les prévisions des Nations Unies. Durant cette même année, environ 19 millions de jeunes entreront sur le marché du travail en Afrique subsaharienne et 4 millions en Afrique du Nord. Et la tendance va se poursuivre sur 15 ans, à raison de près de 30 millions de jeunes actifs supplémentaires chaque année sur l’ensemble du continent, soit l’équivalent de trois fois la population de la Belgique. Une impressionnante masse de bras sous-employée et sans espoir de promotion sociale va alors se constituer aussi bien dans les campagnes que dans les métropoles.

Outre les violents troubles sociaux et politiques qu’elle pourrait engendrer, la perte d’espoir ne laissera pas beaucoup de choix aux centaines de millions de jeunes désœuvrés. Une partie d’entre eux se convertira au fondamentalisme religieux. La Banque mondiale note dans ce cadre que 40 % des personnes qui adhèrent à des mouvements extrémistes sont motivées par le manque d’opportunités économiques. Les plus sensés des jeunes chômeurs choisiront, eux, de s’entasser dans des embarcations de fortune dans l’espoir de rallier les côtes européennes, qui continueront à nourrir les rêves d’un éden mirifique. Ces mouvements de populations concerneront également les Etats-Unis qui attirent de plus en plus de migrants africains. En 2017, 16 500 Subsahariens ont été appréhendés en tentant de franchir illégalement la frontière entre le Mexique et les États-Unis, et 40 % des demandeurs d’asile aux USA sont d’origine africaine.

« Chaque famille africaine aura, dans deux générations, un neveu ou une nièce d’Europe, comme chaque famille européenne avait naguère un oncle d’Amérique ».

Selon un sondage réalisé par l’Institut Gallup, 42% des jeunes Africains déclarent vouloir émigrer. «Ils sont partis du village pour aller en ville, à la capitale, et maintenant c’est le débordement. Les gens vont partir à l’extérieur, pas forcément en Europe mais essentiellement en Europe», analyse Stephen Smith, professeur d’études africaines à l’université Duke (Etats-Unis), estimant que «chaque famille africaine aura dans deux générations un neveu ou une nièce d’Europe, comme chaque famille européenne avait naguère un oncle d’Amérique». Selon lui, aucun mur ou dispositif de garde-côtes ne pourra endiguer la déferlante migratoire programmée.

 

«Ils sont partis du village pour aller en ville, à la capitale, et maintenant c’est le
débordement. »

Un dividende démographique de 500 milliards $ par an

Auteur du livre provocateur «Africanistan: l’Afrique en crise va-t-elle se retrouver dans nos banlieues ?», Serge Michailof n’hésite pas à mettre en garde contre un «péril africain» ou un «péril noir», en écho au «péril jaune» agité dès la fin du 19èm siècle et qui s’est révélé être un fantasme. «A moins d’une croissance industrielle à la chinoise qui n’est pas encore amorcée dans les pays africains, il faut s’attendre à des migrations très importantes vers l’Europe d’une population peu scolarisée qu’il sera difficile d’intégrer», avertit-il.

Loin du ton alarmiste de cet ancien directeur de la Banque mondiale et ex-directeur des opérations de l’Agence française de développement (AFD), certains experts estiment que la croissance échevelée de la population africaine ouvre une fenêtre d’opportunités connue sous l’appellation de dividende démographique. Cette notion, qui a enrichi, il y a une quinzaine d’années à la boîte à outils de la Banque mondiale, est définie comme l’accélération de la croissance économique résultant de la supériorité en nombre des personnes actives sur les personnes ne travaillant pas.

Le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA) estime que l’Afrique subsaharienne réalisera un dividende démographique de 500 milliards de dollars par an sur une période de 30 ans si les gouvernements investissent dans la santé et l’éducation, améliorent leur gouvernance, mettent en place les infrastructures nécessaires, favorisent la création d’entreprises et rendent l’agriculture plus attrayante. L’UNFPA met en avant l’expérience de plusieurs pays asiatiques, dont la Chine et l’Inde, où ce dividende a représenté jusqu’à 40% de la croissance économique entre 1965 et 1995.

Le boom démographique africain favorisera, en outre, la croissance des classes moyennes et, par conséquent, un décollage de la consommation qui placera le continent sur les radars des investisseurs internationaux et accréditera le scénario d’une solide croissance économique au cours du 21è siècle.

Le boom démographique africain favorisera, en outre, la croissance des classes moyennes et, par conséquent, un décollage de la consommation qui placera le continent sur les radars des investisseurs internationaux et accréditera le scénario d’une solide croissance économique au cours du 21è siècle.

Selon le think tank américain Brookings Institution, la consommation des ménages africains devrait atteindre 2500 milliards de dollars en 2030 contre 1100 milliards en 2015. Les dépenses interentreprises (B2B) devraient, quant à elles, culminer à 4200 milliards de dollars en 2030 contre 1600 milliards en 2015.

Par ailleurs, le vieillissement des populations dans les économies avancées et la hausse des salaires en Chine et dans autres pays asiatiques pourraient positionner l’Afrique comme le prochain centre mondial pour les industries manufacturières. D’après Harvard Business Review, l’Afrique devrait capter la majeure partie des 85 à 100 millions d’emplois manufacturiers à faible coût et à forte intensité de main-d’œuvre que la Chine perdrait d’ici 2030.

Par ailleurs, le vieillissement des populations dans les économies avancées et la hausse des salaires en Chine et dans autres pays asiatiques, pourraient positionner l’Afrique comme le prochain centre mondial pour les industries manufacturières.

 

Vers un devoir d’ingérence démographique ?

Le Fonds monétaire international (FMI) a cependant fait remarquer dans un récent rapport que seule une «révolution contraceptive» permettra réellement à l’Afrique de capter le fameux dividende démographique et d’enclencher un cercle vertueux de développement.

«Pour obtenir le dividende le plus élevé possible, les pays d’Afrique subsaharienne devront faire baisser plus rapidement la fécondité et créer de nombreux emplois. S’ils ne se saisissent pas de cette occasion offerte par la transition démographique, le chômage pourrait monter en flèche et entraîner des conséquences sociales et économiques potentiellement graves», a souligné l’institution. Or, 26% des femmes seulement en Afrique subsaharienne utilisent aujourd’hui des moyens de contraception contre plus de 60% dans le monde. L’usage des contraceptifs se heurte à des mœurs ancestrales.

Le faible taux de scolarisation des filles favorise aussi les mariages précoces et les fécondités excessives.

Au Sud du Sahara, l’enfant est encore perçu comme une assurance vieillesse et une force de travail. «La famille élargie et lignagère est le principal lieu de production des biens de subsistance, de reproduction des agents et de fourniture de la force de travail. Les transferts intergénérationnels, les droits et obligations entre cadets et aînés pallient l’absence d’assurance-chômage et de production sociale et favorisent une forte fécondité», observe Philippe Hugon, économiste et directeur de recherche à l’Institut des relations stratégiques (IRIS). Le faible taux de scolarisation des filles favorise aussi les mariages précoces et les fécondités excessives.

Les leaders africains, souvent mal informés sur les questions démographiques, montrent d’autre part peu d’empressement à agir sur la fécondité. Les dirigeants occidentaux esquivent, quant à eux, fréquemment cette question très sensible car les Africains y voient la résurgence d’un impérialisme occidental et un reliquat de néo-colonialisme. En déclarant que «même un plan Marshall pour l’Afrique ne stabilisera pas des pays où l’on compte encore sept à huit enfants par femme», le président français, Emmanuel Macron, s’est d’ailleurs attiré en juillet dernier les foudres de ses pairs africains et provoqué une volée de bois vert sur la Toile.

Alors que le tic-tac de la bombe à retardement démographique se fait plus perçant, certains experts plaident aujourd’hui pour un devoir d’ingérence démographique.

Les dirigeants occidentaux esquivent, quant à eux, fréquemment cette question très sensible car les Africains y voient la résurgence d’un impérialisme occidental et un reliquat de néo-colonialisme.

«On ne peut souhaiter qu’une chose, c’est que l’ampleur des financements internationaux conduise les responsables africains à reconnaître la légitimité d’un devoir d’ingérence démographique. Ce devoir d’ingérence démographique est plus important que le devoir d’ingérence humanitaire car il intervient en amont, comme moyen de prévention des conflits, et non pas en aval pour en panser les plaies. Il pourrait s’exercer par une conditionnalité de l’aide», suggère le géographe français Roland Pourtier, professeur émérite à l’Université Paris-1 Panthéon-Sorbonne et spécialiste reconnu de l’Afrique.

Walid Kéfi

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