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Défense nationale : Comment le régime IBK a détruit l’armée

«Il est une certitude: l’investissement d’aujourd’hui dans les différents outils de la défense sera beaucoup moins élevé que le tribut de demain dans l’esclavage».

 

Lors des laborieuses séances de recherche d’arrangements sécuritaires  courant 2011 à Tamanrasset (Algérie) avec des représentants des groupes de revendication, un officier algérien eut ces mots prémonitoires: «un pays qui n’a pas une armée forte, qui ne peut pas assurer sa propre sécurité n’est pas viable; il va-au-devant des pires humiliations». Je conduisais la partie malienne. J’en fus vexé au plus profond de mon être car le Mali était visé. C’est pourtant la cruelle vérité. «La souveraineté des États finit là où s’arrête la puissance des armes». Le sérieux et la puissance  d’une nation se mesurent à l’aune de son outil de défense.

Quand un pays n’a plus les moyens de faire respecter ses lois, tout devient possible. Plus qu’un simple multiplicateur de risques, l’absence de capacités militaires joue un rôle au minimum aggravant, parfois déclencheur de conflits récurrents comme on en connaît depuis des décennies. Sans une armée forte, il n’est ni indépendance politique, ni liberté civile. L’armée est le garant de la souveraineté.

De ce fait, notre autonomie de renseignement, de décision et l’action doit demeurer au centre de notre stratégie. Nos dirigeants se rendent-ils seulement compte que même une diplomatie ne saurait être efficace sans une capacité militaire établie ?

Les deux (02) sont intrinsèquement liées. Cette déclaration péremptoire, aux allures néocolonialistes: «Les élections auront lieu impérativement, en juillet 2013. Je serai intraitable là-dessus», résonnera longtemps dans les oreilles des Maliens, médusés, humiliés et infantilisés mais impuissants. Ils durent avaler la couleuvre, prendre l’injonction avec philosophie, en attendant des jours meilleurs. Plus jamais ça, devrions-nous nous dire !

Il est vrai, la puissance militaire reste d’une utilité limitée quand État est incapable de fournir aux concitoyens les services de base dont ils ont besoin: nourriture, santé, assistance diverse, sécurité humaine en un mot. Cela a suscité l’émergence d’un sentiment d’exclusion au sein d’une frange importante de la population. L’exclusion conduit au désespoir. Le désespoir mène à la radicalisation. Ainsi sont nés des groupes radicaux et autres groupes de prédation qui trouvaient dans la violence une réponse à leur prétendue marginalisation économique et politique. C’est le même argument que brandissent les groupes d’opposition touarègue. Mais quelle que soit la valeur des arguments, aucun pays ne peut se développer dans le désordre et l’insécurité.

Certes, la guerre n’est pas bien, disent les Malinkés. La faiblesse non plus. Une armée efficace et bien équipée est une nécessité vitale. Un pays ne doit jamais écarter le risque de conflit, au point de s’endormir dans le confort de la paix. Cette posture de sagesse aurait dû inciter nos «stratèges» à entretenir l’outil de défense dans la logique de l’éternelle exigence de sécurité. Il aurait fallu se projeter au-delà  du proche horizon, au-delà de la colline comme dirait l’autre. Tout dépend de la solution que l’on voudra apporter à une question aussi simple que sa réponse est complexe: que faut-il pour (ré) créer l’armée de nos besoins ?

 

La nécessaire refondation des Forces armées

En raison de la diversité des causes et du degré de déliquescence de l’outil de défense, la nécessaire refondation de l’outil de défense nécessitera des sacrifices. Elle se fera dans la douleur et dans la durée, au travers notamment d’une loi d’orientation et de programmation militaire, telle qu’initiée mais dévoyée. Le rayonnement du pays, la quiétude des populations et le fonctionnement régulier des institutions de la République en dépendent. Même dans ce processus de refondation de l’outil de défense, j’aurais pu être plus utile qu’un allié de revers.

Le soldat malien n’est pas moins courageux qu’un autre. La différence réside dans la sélection, la qualité de l’encadrement et de la formation, la constance dans l’entraînement ainsi que dans la dissymétrie des moyens. On a cru trouver solution dans la course aux effectifs sans intégrer les autres paramètres. Il a été procédé à des recrutements épisodiques massifs et non planifiés, axés sur des jeunes en échec scolaire. On ne résoudra pas le problème de cette manière.

Déjà au Ive s. av. J-.C, Sun Zi disait: «La force d’une armée ne réside pas dans son importance numérique». Ce qui importe, c’est la valeur tactique des unités. En aucun moment, la formation des hommes et l’entraînement des unités n’ont été une préoccupation majeure. Il n’y a eu en plus aucune politique cohérente d’équipement des forces en matériels majeurs. Et les rares crédits dégagés pour l’instruction des hommes furent gaspillés dans des formations sommaires, sans aucune plus-value sur le plan opérationnel. Cette mauvaise perception des problèmes de la défense continuera de plomber les efforts de reconstruction des forces: «Mieux vaut moins mais mieux», disait Lénine. On peut faire mieux avec moins d’effectif.

Au niveau tactique, une bataille se gagne en disposant les moyens adéquats au bon endroit et au bon moment. C’est le principe d’économie des forces et de la  concentration des efforts. Le préalable consiste à mettre l’accent sur la qualité du recrutement et de la  formation. Il faut aussi réussir une gestion rationnelle des ressources humaines. Une armée n’est pas un office de bienfaisance. Elle ne peut servir uniquement à résorber le problème d’emploi.

Beaucoup de gens espèrent trouver dans l’armée une promotion sociale inespérée alors qu’ils n’en ont ni l’aptitude physique requise ni même la vocation. Le gouvernement lui-même bombe la poitrine en clamant haut et fort avoir partiellement résolu le problème de l’emploi d’un grand nombre de jeunes en faisant un recrutement massif dans l’armée. Quelle manière singulière d’aborder les problèmes de défense! Cela est la source de dérapages, des recommandations et des passe-droits. Le candidat au recrutement doit satisfaire à des critères objectifs précis.

Pour une bonne sélection, une équipe mobile pourrait sillonner villes et campagnes, si en plus, l’objectif est de créer à terme une armée nationale prenant en compte toute les composantes ethniques de la nation. Bien entendu le format et le type d’armée doivent être à la hauteur de la menace, en tenant compte de l’étendue du territoire, ils doivent  aussi être en cohérence avec les possibilités budgétaires du pays. À quoi servira un effectif pléthorique si l’on ne peut le doter d’équipements adéquats, si l’on ne peut créer un minimum de conditions pour l’épanouissement des soldats et de leur famille ?

La source du recrutement naïvement mise en avant par des prophètes stratégistes n’est pas si décisive, pour autant que le recrutement et la formation se fassent selon des critères professionnels, non, selon des considérations extra-service, des listes établies ex nihilo. La qualité des ressources humaines, la qualité du recrutement, de la formation et de l’entrainement doivent demeurer la clé de voute de notre politique de défense.

En outre pour une meilleure réactivité des forces, il faut mettre fin à la division stérile entre défense et sécurité. Le caractère des menaces, même dans les conflits armés interétatiques nécessite le continuum des missions et une véritable synergie de toutes les facettes de notre capacité d’action.

 

Le régime d’IBK: une organisation criminelle

Plus que tout, ce qui importe, c’est la quantité et la qualité du matériel (réalisé au juste prix), dont les troupes ont besoin pour la réussite de leur mission. À valeur égale, la victoire ira toujours à la troupe la mieux équipée. Des chaussures, fussent-elles éternelles, ne sauraient être facturées à 30.000 FCFA, même s’il se dit que la surfacturation n’est pas un crime. Toutes  proportions gardées, le régime d’Ibrahim Boubacar Kéita se comporte de la même manière qu’une organisation criminelle. À priori, un régime politique ne poursuit pas d’objectifs criminels. Mais une organisation criminelle est aussi un prédateur économique.

Entre les deux (02) entités, il n’y a aucune opposition d’objectifs. L’une et l’autre se comportent en prédateurs économico-financiers. Leur idéologie est la chasse au profit et l’accumulation des richesses. Pour l’une et l’autre, l’argent est un but, la politique n’est qu’un moyen (corruption et jeux d’influence) d’atteindre ce but. Jamais dans l’histoire du Mali, la corruption, la boulimie et l’esprit de lucre n’ont atteint un tel degré d’insouciance dans la gestion des ressources de l’État. Chacun fait ce qu’il veut, au gré de ses intérêts ! Il n’y a ni contrôle ni suivi.

Le régime a favorisé l’affairisme et l’émergence d’une véritable oligarchie militaire. On ne parle plus de bonne gouvernance, c’est la corruption à ciel ouvert. Dans une insouciance égale, l’essentiel des ressources mises à disposition est capté en bakchichs et retro-commissions par des groupes de prédation, parfois dans l’acquisition d’avions de transport non armés (type Puma ou super Puma).

Les troupes manquent encore d’avions d’appui feu rapproché. L’acquisition de quelques aéronefs ne suffira pas à garantir la montée en puissance des forces. Même dans ce domaine, il faut un peu plus de sacrifices. Le pays est si vaste ! Des hélicos repositionnés à Bamako ou à Sévaré n’arriveront jamais à temps pour soulager des détachements en difficulté dans des coins perdus du territoire: question d’autonomie mais aussi de délai ou simplement absence de cartes exploitables. La plupart des cartes au 1/200.000ème datent de la période coloniale. Bien de détails artificiels ont disparu. La dilapidation des ressources est particulièrement accentuée sur les théâtres d’opérations.

Pour avoir été S/CEMOPS, des années durant, il m’a été rapporté que d’importantes sommes  d’argent seraient (retro) versées chaque mois aux chefs à différents niveaux. Des tentatives initiées pour corriger ces dysfonctionnements n’ont jamais abouti, en raison des artifices créés. La solution ne sera pas trouvée à l’interne. Des profiteurs exhiberont à chaque fois, le prétexte spécieux de «Secret militaire», pour bloquer des audits externes. Mais le prétendu secret militaire n’est plus à ce niveau. Cela ne constitue nullement un handicap. Bien au contraire, ils permettent une meilleure gestion et une programmation efficiente des plans de projection et de modernisation.

Une autre source de déperdition est la distribution à tout vent de l’argent du contribuable à chaque occasion de sortie des élèves officiers de l’École militaire interarmes (EMIA). «Il ne faut pas accoutumer les troupes à recevoir de l’argent pour des actes de courage. Il suffit de leur écrire des lettres de satisfaction». Vingt (20) millions de FCFA pour récompenser les trois (03) premiers ! C’est là un investissement à fonds perdu. Cela ne se voit  nulle part ailleurs. Dans le même temps, l’école manque de véhicules pour exécuter convenablement des modules de combat motorisé.

Si des véhicules existent, les pièces de rechange sont inaccessibles par insuffisance de crédits ou simplement immobilisés faute de carburant. Et l’on s’étonne de l’insuffisance de résultats ! Point n’est besoin d’être un clerc pour en deviner la cause. Chacun cherchant à bénéficier des largesses du Prince, l’entraide et l’esprit de camaraderie sont mis à mal. Cela ne favorise point l’éclosion d’une promotion unie dans un destin commun au service de la nation. La mission du soldat est pourtant une mission qui nécessite un engagement sans faille dans la prise du risque pour sauver l’autre dans le péril. Cela se cultive à l’occasion des formations.

En outre, pourquoi se préoccuper tant du «look» du soldat alors que les  TED (Tableau d’effectifs et de dotation) ne sont pas au niveau requis ?  A-t-on vraiment besoin, au stade actuel de nos ressources, de trois (03) tenues de combat et de trois rangers à la fois  et par an ?

En réalité, c’est pour d’autres considérations qui n’ont rien à voir avec les nécessités opérationnelles: la recherche de bakchichs et autres prébendes pour quelques parvenus. Ne peut-on avoir l’intelligence de réaliser des blindés de transport, surtout sur un théâtre d’opération truffé d’engins explosifs improvisés ?

Pis, certains blindés réalisés sans expertise et déployés sur le terrain, sont plutôt destinés aux forces de l’ordre pour les protéger des jets de cailloux et peut-être aussi … des injures. Ils ne résistent pas au souffle des mines et aux balles AK de certains calibres.

Ne vaut-il pas mieux reconstruire nos vieux engins que d’aller chercher des engins hors de prix et inadaptés ? Nos garnisons sont remplies de carcasses de BRDM-2, de BMP et de BTR qui pourraient être reconstruits à plus de 90% du potentiel neuf, comme cela se fait dans des pays de la sous-région. Nos effectifs seraient ainsi moins stressés et mieux protégés. Leur aptitude opérationnelle s’en trouverait renforcée. Pourquoi cette chasse effrénée au profit si ce n’est une absence de sentiment patriotique ?

Sur un autre plan, la situation d’effectifs des unités est mal maîtrisée. Elle fourmille de soldats décédés ou déserteurs. C’est la raison pour laquelle, il y aura toujours une ruée vers les services de l’administration des armées. Pourquoi autant de commissaires et de petits comptables ? Il faut savoir décliner des offres de formation, quand le besoin se situe ailleurs. Certains pays le font déjà.

Qu’on se le dise, la vocation du soldat n’est pas de se faire tuer mais bien d’être un rempart pour la défense de la Patrie. Encore faut-il s’assurer que cela est possible. La reconstruction de l’Armée ne se fera pas du jour au lendemain. Tout dépendra de notre capacité à pouvoir identifier puis à faire ce qu’il convient de faire pour corriger le défaut de la cuirasse.

 Général Yamoussa Camara, Ancien ministre de la Défense et des Anciens combattants (extrait de son livre «Présumé coupable, Ma part de vérité»

NB: Le titre est de la Rédaction

Source : L’Inter De Bamako

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