Des galons de libérateur
Natif de la ville des trois caïmans, fils de militaire de carrière de l’armée coloniale et de l’armée malienne après l’indépendance du pays en 1960, le colonel Assimi Goïta est le 1er président de transition à défier ouvertement l’Occident : départ de la force Barkhane et de la Minusma. Formé au prytanée militaire de Kati et à l’Ecole militaire interarmes de Koulikoro, il devient en 2016 le premier patron du bataillon autonome des forces spéciales et des centres d’aguerrissement.
Courageux soldat, Goïta a pratiqué tous les fronts de guerre maliens et régionaux : Darfour, Gao, Kidal, Ménaka, Tessalit, Tombouctou, etc. Le 18 août 2020, au nom du Comité national pour le salut du peuple (CNSP) le colonel Goïta dépose le président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) fragilisé par les manifestations du M5-RFP et le contentieux électoral des législatives de la même année. Du 24 août 2020 au 25 septembre 2020, Goïta est chef de l’État malien. Période au cours de laquelle il acquiert ses galons de libérateur ; ce qui lui confère une certaine légitimité au sein d’une partie de la population malienne.
Une éviction à la John Wayne
Le 25 septembre 2020, les pourparlers entre le CNSP et la Cedeao aboutissent à la nomination de Bah N’Daw, colonel-major à la retraite, comme président de la transition malienne. Goïta se satisfait de la vice-présidence de la transition. Désormais, un tandem intergénérationnel dirige le Mali. Mais, le 24 mai 2021, la confiance est rompue entre N’Daw et Goïta à cause de l’exclusion du colonel Sadio Camara et du colonel Modibo Koné du gouvernement II du Premier ministre Moctar Ouane.
Toujours le 24 mai 2021, à 38 ans le colonel Goïta écarte N’Daw à la John Wayne. La solidarité entre frères d’armes l’emporte sur les liens intergénérationnels. Rappel : Koné et Camara font partie du clan des cinq à l’origine du putsch du 18 août 2020. Le 21 juin 2021, Assimi Goïta est investi Président de la transition. Depuis, une incertitude règne sur la durée de la transition. Les élections sont devenues un mirage.
Les soutiens financiers se raréfient. Un climat de tensions s’installe entre les Maliens. Certains veulent la poursuite de la transition. D’autres exigent sa fin. Passons ! Le 14 novembre 2023, Goïta manœuvre pour le retour de la ville de Kidal dans le giron malien. Un fait historique pour lequel les Maliens lui sont reconnaissants.
Une erreur de débutant
Mais, la reprise de Kidal n’arrête pas les drames sécuritaires et la spoliation des populations du Liptako-Gourma et du Centre du pays. Autre point important : la séquence kidaloise marque la dégradation des relations entre Assimi Goïta et Bilal Ag Acherif, patron de la Coordination des mouvements de l’Azawad, CMA.
Notons que la CMA est membre du CSP-PSD, Cadre stratégique permanent pour la paix, la sécurité et le développement. Arrêtons-nous un instant sur Bilal Ag Acherif. À 47 ans, le natif de la ville des Ifoghas est de six ans l’aîné du colonel Goïta. Détenteur d’un diplôme en Sciences politiques en Libye, Ag Acherif revient à Kidal dans les années 2010. En 2011, il devient le secrétaire général du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) devenu la CMA, le 28 octobre 2014.
Avant, en mai 2012, le MNLA a signé un protocole avec le Mouvement pour l’unification et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) et Ansar Eddine (Les défenseurs de la foi) pour créer un État islamique. Une erreur de débutant de la part d’Ag Acherif.
Car les tensions sur la laïcité et sur le contrôle de la ville de Gao vont avoir raison de leur accord. Le 26 juin 2012, le MNLA est chassé de Gao par ses frères ennemis d’Ansar Eddine dont le chef (Iyad Ag Ghali) est l’oncle de Bilal Ag Acherif.
Les Maliens se sont trompés
Considéré comme le chef de l’aile politique de la CMA, Bilal Ag Acherif s’exprime en général en arabe. Fin négociateur, il contribue à la signature de l’Accord pour la paix et la réconciliation, issu du processus d’Alger en 2015. Lequel accord meurt le 25 janvier 2024 en dépit des tentatives de relance du dialogue entre Bamako et Kidal par l’Algérie, chef de file de la médiation internationale.
Les célébrations annuelles de ″l’indépendance″ de l’Azawad à Kidal par la CMA et la reprise du conflit entre cette dernière et les FAMa, contribuent à dégrader les relations entre Bamako et Kidal. Bamako voyait d’un mauvais œil ces commémorations à cause des velléités séparatistes. Quoi qu’il en soit, les Maliens se sont trompés sur le sens de l’Accord pour la paix issu du processus d’Alger, devenu une source de crise institutionnelle asphyxiant le pays. Les rivalités s’exacerbent. Certains rasent les murs. D’autres s’autocensurent. Pour l’heure, deux stratégies se confrontent.
Le politique et le militaire
D’un côté, celle du colonel Goïta, chef de l’État malien, qui a manœuvré pour la récupération des emprises de la Minusma en s’alliant avec le Kremlin. Goïta, le militaire, avec ses émotions dissimulées derrière un masque covid-19 en tissu, semble vouloir en découdre. Le passé a laissé des traces. Les souvenirs d’Aguelhok, du bateau ″Le Tombouctou″, de Ber, etc., lui brûlent le crâne. De l’autre côté, celle de Bilal Ag Acherif, chef de la CMA, qui réseaute pour repousser les assauts des FAMa.
Ag Acherif, politique aux allures théâtrales, le visage caché par le chèche semble inquiéter. Ag Acherif et Goïta, le politique et le militaire, ne s’apprécient guère. Leur rivalité questionne les valeurs profondes de paix et d’humanité du Mali. Elle défie toute initiative de développement : santé, éducation, justice, culture, climat, énergie, etc. Pour l’instant, chacun tente de mordre là où cela fait mal. Goïta (l’urbain) et Ag Acherif (le bédouin) ont néanmoins un point commun : l’envie de gloire. Voilà le climat dans lequel se joue la bataille actuelle de Tinzawatene, qui par ailleurs résume l’écart entre les désirs de paix des uns et les ambitions bellicistes des autres.
Le conflit ukraino-russe s’exporte sur le sol malien
Boulet pour les protagonistes, Tinzawatene traduit l’affrontement entre deux personnalités, un effet de miroir inversé. Tinzawatene révèle aussi un phénomène social, caractéristique de nos sociétés depuis 1960 : la désunion. Enfin, Tinzawatene met à jour les jeux d’alliance : les FAMa et les Russes d’un côté ; de l’autre le CSP-PSD et leurs soutiens ukrainiens. À la guerre comme à la guerre. Chacun tente de pousser l’autre à la faute, en général au préjudice des civils.
Le conflit ukraino-russe s’exporte sur un bout du territoire malien. Les coups sont échangés entre Goïta et Ag Acherif par médias interposés jusqu’au siège des Nations-Unies. Le 30 août 2024 à New-York, le Représentant permanent du Mali auprès des Nations-Unies, Issa Konfourou, qualifie les propos de l’Ambassadeur algérien, tenus à Genève le 26 août 2024 sur la situation sécuritaire de Tinzawatene, de « propagande terroriste dans notre région ».
Le ton est donné. Pourvu que cela ne dure pas. Sans oublier l’impondérable variable algérienne que même les résultats de l’élection présidentielle algérienne du 7 septembre 2024 absorberaient difficilement. Alger, comme certaines capitales africaines, est devenue un refuge pour opposants. Par exemple, l’imam Mahmoud Dicko, tombeur du régime d’IBK, y réside depuis décembre 2023 à cause de sa brouille avec l’exécutif malien.
Une situation inextricable
Il reste à savoir qui gagnera la bataille Tinzawatene ? L’avenir nous le dira. En tout cas, Tinzawatene embarrasse les acteurs pour construire une approche partagée de paix. Aussi bien la posture autonomiste du CSP-PSD que la quasi absence d’initiative diplomatique entortille les chemins du dialogue entre Goïta et Ag Acherif. Une situation inextricable pour des Maliens raisonnables, donc capables de s’entendre.
Aujourd’hui, l’enjeu, c’est de sortir des attitudes conflictuelles pour dialoguer. Dialoguer pour trouver des solutions politiques réalistes et durables à notre crise. Pour cela, il est urgent de détendre les relations pour trouver une entente. Une entente qui permettra de coconstruire un projet commun pour le bien-être des futures générations, comme le stipule le Préambule de la nouvelle constitution : « Le Peuple souverain du Mali […] réaffirme son attachement à la réalisation de l’unité africaine, à la promotion de la paix… ».
La question de ce matin : Le seul héros de la République n’est-il pas le peuple ?
Mohamed Amara
Sociologue
Source: Mali Tribune