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Décret N°2020-0094/PT-RM du 16 octobre 2020 relatif aux attributions du vice-président de la transition et à l’organisation de son cabinet : Le comble de l’absurdité juridique

Alors qu’elle démarrage à peine, la Transition est déjà médaillée d’or de la pulvérisation de records de bricolages juridiques. En la matière, elle fait pire qu’IBK.

 

Le Décret n°2020-0094/PT-RM du 16 octobre 2020 fixant les attributions du Vice-président de la transition est un véritable condensé d’absurdités juridiques. Nous n’en retiendrons que les suivantes qui nous paraissent les plus scandaleuses :

– Le Décret modifie des attributions de nature constitutionnelle.

– Le Décret méconnait la suprématie de la Charte sur la Constitution.

Le Décret ouvre la possibilité d’extension sans limite des attributions du Vice-président.

UN SIMPLE DECRET QUI FIXE DES ATTRIBUTIONS DE NATURE CONSTITUTIONNELLE

Les attributions du Président de la Transition ainsi que celles de son Vice-président sont de nature constitutionnelle. Cela signifie qu’elles sont fixées par la Constitution et la Charte en ce qui concerne le Président et par la Charte uniquement en ce qui concerne son Vice-président.  A cet égard et en ce qui concerne le Vice-président de la Transition, l’article 7 de la Charte dispose qu’il « est chargé des questions de défense et de sécurité ».

En violation flagrante de cet article, le Décret n°2020-0094/PT-RM du 16 octobre 2020 fixant les attributions du Vice-président de la transition a dépossédé ce dernier de ses prérogatives constitutionnelles en en faisant une autorité périphérique subalterne par rapport aux questions de défense et de sécurité. Le Décret fait office d’acte déguisé de révision de la Charte. Car, si le Vice-président est constitutionnellement chargé des questions de défense et de sécurité comme stipulé à l’article 7 de la Charte ressassé par l’article 1er du fameux Décret n°2020-0094/PT-RM du 16 octobre 2020, l’exercice de cette prérogative ne peut aucunement se réduire à la double fonction consultative et participative. Or, aux termes du décret, le Vice-président est simplement consulté sur les projets de textes relatifs l’organisation de la défense et de la sécurité, sur les projets de nomination ou de promotion au sein des forces armées et de sécurité et les questions de coopération militaire avec les pays étrangers. Par ailleurs, il est simple participant aux réunions du Conseil supérieur et du Comité national de la défense nationale et aux sessions du Conseil des ministres au bon vouloir du Président de la Transition. Ainsi au lieu d’être « chargé des questions de défense et de sécurité » par la Charte, le Vice-président est tout simplement « consulté sur les questions de défense et de sécurité » à cause de l’absurdité juridique du décret qui modifie de facto la Charte. C’est comme si le Vice-président n’assumait que des fonctions fictives. Quelle est la réalité fonctionnelle d’une autorité qu’on ne fait que consulter et inviter au besoin à certaines tables de la République ? Il s’agit d’une Vice-présidence condamnée au chômage technique permanant.

UN DECRET QUI MECONNAIT LA SUPREMATIE DE LA CHARTE SUR LA CONSTITUTION DE 92

La question de la suprématie de la Charte sur la Constitution ne se réduit point, comme le scandaleux double langage juridique de la Cour suprême semble le suggérer, au faux problème de la chronologie entre les visas d’un texte réglementaire. Le fait pour ce Décret de viser la Constitution qui n’a pourtant rien à voir avec son objet, montre bien jusqu’où l’obsession des visas peut conduire. C’est plutôt en termes de hiérarchie des normes au sein de l’Etat que la question de la suprématie entre la Charte et la Constitution de 92 revêt une portée juridique. Or il se trouve que cette question est déjà tranchée à l’article 25 de la Charte qui stipule qu’« en cas de contrariété entre la Charte de la Transition et la Constitution du 25 février 1992, les dispositions de la présente Charte s’appliquent ». Ce qui signifie, sans qu’il soit besoin de s’embrouiller dans le double langage de la Cour suprême, que la Charte l’emporte sur la Constitution de 92.

A cet égard et s’agissant du Président de la Transition, l’article 5 de la Charte dispose que « ses pouvoirs et prérogatives sont définis dans la présente Charte et la Constitution du 25 février 1992 ». Dans le fond, la Charte renvoie aux prérogatives d’un vrai Président de la République fixées dans la Constitution du 25 février 1992. Au regard de la Constitution de 92, les attributions du Président de la Transition en rapport avec les questions de défense et de sécurité sont fixées à l’article 44 de la Constitution qui en fait « le Chef Suprême des Armées » et le « Président du Conseil supérieur et du Comité de défense de la défense nationale » et à l’article 46 au terme duquel il « nomme aux emplois civils et militaires supérieurs déterminés par la loi ».

En ce qui concerne le Vice-président, la Charte dispose en son article 7 qu’il « est chargé des questions de défense et de sécurité ». La Charte ne reconnait expressément au Vice -Président que cette seule attribution à l’exclusion de toute autre.

La lecture croisée des articles 44 et 46 de la Constitution de 92 et de l’article 7 de la Charte révèle des chevauchement d’attributions entre le Président de Transition et son Vice-président par rapport aux questions de défense et de sécurité. En prévision de pareilles contradictions entre la Charte et la Constitution de 92 régissant les mêmes questions, la Charte a tranché en son article 25 qui comme rappelé, fait prévaloir ses dispositions sur celles de la Constitution de 92 : « En cas de contrariété entre la Charte de la Transition et la Constitution du 25 février 1992, les dispositions de la présente Charte s’appliquent ». Il en résulte que le Président de la Transition doit être constitutionnellement dépouillé de toutes les prérogatives du Président de la République en relation avec les questions de défense et de sécurité notamment au niveau des articles 44 et 46 de la Constitution de 92.

Au-delà des chevauchements entre le Président de la Transition et le Vice-président, la suprématie non assumée de la Charte sur la Constitution qui couronne l’imposture juridique de la dualité constitutionnelle, est riche d’autres chevauchements potentiels à trois entre le Président de la Transition, son Vice-président et le ministre de la Défense et des Anciens combattants par rapport à la gestion des « questions de défense, de sécurité ». Les dispositions contradictoires de la Constitution et de la Charte en matière de défense et de sécurité ne peuvent demeurer qu’au mépris de l’article 25 de la Charte.

UN DECRET QUI OUVRE LA POSSIBILITE D’EXTENSION DES ATTRIBUTIONS DU VICE-PRESIDENT AU-DELA DES QUESTIONS DE DEFENSE ET DE SECURITE

Alors qu’au mépris de la Charte, le Décret s’ingénue à dénaturer les attributions constitutionnelles du Vice-président tout en foulant au pied sa suprématie sur la constitution, il en rajoute aux absurdités juridiques dans son article 2 selon lequel « le Vice-président de la Transition peut être chargé de toute autre tâche à l’initiative du Président de la Transition ».

Etant donné cette formulation bateau, rien n’empêche au vu du Décret, le Président de la Transition de confier au Vice-Président des attributions qui s’écarteraient totalement des « questions de défense et de sécurité » dans lesquelles la Charte mise en démure par la CEDEAO, avait dû enfermer le Vice-Président en vue de donner un semblant de look civil à cette Transition pour le moins militariste. Et dire que ce Décret d’absurdités juridiques fait grever le pauvre budget d’Etat de dépenses futiles de cette Vice-présidence superfétatoire ! Pauvre Mali.

Dr Brahima FOMBA Enseignant Chercheur Université des Sciences Juridiques et Politiques de Bamako (USJP

SourceLe Matinal

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