Comment gérer le Mali autrement, au plus proche des besoins des Maliens ? La question est au centre des Etats généraux de la décentralisation qui se tiennent à Bamako du 21 au 23 octobre 2013. La question est d’autant plus importante au Mali que cette « autre » gestion de l’Etat est perçue comme une solution à la crise du Nord.
Sur le papier, la décentralisation au Mali est un véritable modèle. Le dispositif est ambitieux. Il s’est mis en place au fil des années 90 : Constitution du 25 février 1992, qui prévoit la libre administration des collectivités territoriales, loi du 11 février 1993 sur les conditions de la libre administration de ces collectivités, loi du 12 avril 1995 sur le code des collectivités territoriales. L’ensemble des textes adoptés a permis la mise en place de trois niveaux de collectivités : cercles, communes et régions, le district de Bamako -la capitale- ayant un statut particulier.
Cette décentralisation a un certain nombre de succès à son actif : plusieurs milliers d’infrastructures réalisées en dix ans, l’émergence d’un personnel politique local, la mise en place de programmes de développement sur le moyen terme par certains conseils régionaux. « A Sikasso, explique le spécialiste de la décentralisation Abdel Kader Dicko, la promotion de filières agropastorales (mangues, pommes de terre, élevage) en diversification par rapport au coton a été soutenue ces dernières années. A Kayes, le potentiel de la gomme arabique dans la région a été soutenu dans un contexte de monoculture minière ». Un dispositif, des réalisations et pourtant le processus a fini par s’enliser.
Manque de volonté politique
D’abord parce que l’Etat central n’a pas maintenu sur la durée ses efforts en matière de décentralisation. L’exemple des Centres de conseil communaux (CCC) est de ce point de vue édifiant. Structures d’appui aux nouveaux élus locaux peu au fait de leurs nouvelles responsabilités, ces CCC ont été créés au départ pour trois ans afin d’accompagner les nouveaux élus locaux. Bien qu’ils aient fait la preuve de leur efficacité, ils n’ont pas pu être pérennisés après 2006. Les 130 cadres locaux qu’ils employaient ont été mis au chômage, la base de données qu’ils avaient créée pour le suivi des performances des collectivités n’a plus été alimentée.
Au sein de l’Etat central, certains acteurs n’ont pas accepté de jouer le jeu. Certains hauts fonctionnaires, par exemple. « En 2008, rappelle Boubacar Bah, le président de l’Association des municipalités du Mali, le Premier ministre de l’époque avait décidé que tous les projets sur l’ensemble du territoire du Mali devraient être déclinés au niveau des collectivités territoriales : communes, cercles et régions. Mais les hauts fonctionnaires ont bloqué le processus. Et à l’heure actuelle, ce qui avait été prévu n’a toujours pas été fait ».
Il y a aussi la responsabilité des élus locaux. Ces élus n’ont pas été combatifs avec le pouvoir central quand il a fallu défendre la décentralisation. Certains ont même discrédité le processus en s’adonnant à des pratiques clientélistes. En matière de recrutement des enseignants, par exemple. « A partir de l’année 2003 jusqu’en 2010, explique Idrissa Soïba Traoré, l’auteur d’une étude sur l’école et la décentralisation au Mali, le recrutement des enseignants était confié essentiellement aux communes. Qu’est-ce qui se passait ? Beaucoup d’élus locaux recrutaient ces enseignants là par affinité, pas pour leur dossier ».
« Dans mes enquêtes, très honnêtement, poursuit le chercheur, il y a beaucoup d’enseignants qui m’ont dit que pour être recruté il fallait souvent donner des dessous de table, comme on dit ».
Contrôle et conseil
Pour Dédéou Traoré, qui est un élu local de la région de Tombouctou, la relance de la décentralisation au Mali ne passera donc pas par un affaiblissement de l’Etat. S’il faut que l’Etat central cède effectivement aux collectivités territoriales certaines de ses prérogatives, il faut également qu’on renforce son rôle de contrôle et de conseil : « Il s’agit de donner les moyens et de donner les compétences techniques aux représentants de l’Etat pour qu’ils puissent jouer leur rôle de pédagogie et de contrôle. On a souvent des représentants de l’Etat qui n’ont même pas un vélo et qui sont chargés de contrôler une collectivité qui est à 200 km dans le désert. Dans de telles conditions, que peuvent faire les représentants de l’Etat à part rester assis dans leur bureau ? »
« Certains ont dit qu’il y a eu beaucoup de ressources qui sont parties au Nord qui ont disparu dans le sable, précise l’élu. Effectivement, s’il n’y a pas un dispositif de contrôle des conditions de mise en œuvre, l’argent va continuer à disparaître dans le sable ».
L’enjeu de cette relance de la décentralisation est en tout cas de taille pour le Mali, puisqu’il s’agit de mettre au point une façon de gérer l’Etat qui permette de maintenir l’unité nationale tout en faisant avancer la question du Nord. « Il nous faut apporter des réponses définitives aux frustrations de nos frères touareg », a déclaré le président malien, Ibrahim Boubacar Keïta, en ouvrant les travaux des Etats généraux de la décentralisation.
Source : RFI