Une étude, publiée mardi, avance qu’environ 5 % de l’aide financière fournie par la Banque mondiale aux 22 pays qui en dépendent le plus se retrouvent dans des paradis fiscaux. Un rapport qui soulève la controverse au sein de l’organisation internationale.
À quel point l’aide financière fournie par la Banque mondiale aux pays les plus pauvres se retrouve-t-elle détournée dans des paradis fiscaux ? C’est précisément l’objet d’une étude, mise en ligne mardi 18 février par la Banque mondiale, qui agite la vénérable institution financière depuis le début du mois.
Tout a commencé par l’annonce, le 5 février, de la démission de Pinelopi “Penny” Koujianou Goldberg, l’économiste en chef de la Banque mondiale, qui n’a occupé son poste que quinze mois. Penny Goldberg a affirmé, dans un message à ses équipes consulté par France 24, qu’elle voulait reprendre son travail de recherche à l’université de Yale. Mais le magazine The Economist a suggéré une autre raison au départ de Penny Goldberg : elle aurait été “agacée” que la publication d’une étude, soumise par trois économistes au département de recherche de la Banque mondiale (sous son autorité) en décembre 2019, a “été bloquée par des hauts responsables”, note le magazine, citant des “sources informées”.
Du Burundi, de l’Érythrée à la Suisse ou au Luxembourg
Une interprétation contestée par la Banque mondiale qui assure, dans un communiqué, que le travail des économistes méritait d’être précisé sur plusieurs points. “La version révisée, publiée par la Banque mondiale, répond à plusieurs commentaires faits pendant le processus de relecture”, note le communiqué. L’organisation réitère, en outre, son soutien à des “recherches indépendantes, évaluées par les pairs, sur des sujets importants comme les flux financiers illicites”.
Il n’empêche que l’article des économistes n’a été mis en ligne qu’une fois la polémique bien installée et relayée par plusieurs médias, tels que le Financial Times. Il faut dire que le contenu de cette étude pourrait gêner la Banque mondiale aux entournures. Intitulé “L’aide financière accaparée par les élites”, le document de 45 pages démontre que lorsque la Banque mondiale prêtait d’importantes sommes aux 22 pays les plus dépendants de l’aide financière – dont le Burundi, l’Érythrée ou encore l’Afghanistan -, il y avait systématiquement un pic des transferts d’argent vers des États connus pour leur secret bancaire, tels que la Suisse ou le Luxembourg.
Le problème de la corruption n’est pas nouveau pour la Banque mondiale et une importante littérature souligne déjà à quel point elle peut nuire à l’efficacité de l’aide financière internationale. Mais les auteurs donnent aussi, pour la première fois, une estimation chiffrée de la part de ces fonds avancés par l’institution internationale puis transférés dans des paradis fiscaux. Ils estiment qu’en moyenne 5 % se retrouve dans des comptes off-shore. Cette fuite des capitaux au profit des plus riches atteindrait même 15 % pour les sept pays qui dépendent le plus de l’aide de la Banque mondiale (Burundi, Guinée-Bissau, Érythrée, Malawi, Sierra Leone, Ouganda, Mozambique).
“Estimation a minima”
Les économistes soulignent aussi que l’ampleur de la captation de cet argent par une petite minorité pourrait être bien plus importante. “Ces taux représentent une estimation a minima car l’étude ne prend en compte que les transferts vers des comptes off-shore, sans intégrer les possibles dépenses en immobilier ou en biens de luxe”, remarquent les auteurs du document.
Ils reconnaissent cependant que leur constat n’est pas une preuve de cause à effet. Ils ont simplement constaté une forte augmentation des dépôts d’argent de ressortissants des pays bénéficiaires de l’aide financière de la Banque mondiale dans des paradis fiscaux les trimestres où l’institution débloquaient des fonds. Pour ce faire, ils ont compilé les données disponibles sur les transferts d’argent vers les principaux centres financiers de la planète. Mais, même s’il existe d’autres explications, ils estiment que l’hypothèse d’un détournement de l’aide internationale par les “élites” de ces pays est l’explication la plus plausible.
Ce constat est pour le moins gênant pour la Banque mondiale, estime le Financial Times. Au moment où les débats sur la croissance des inégalités font rage, cette étude laisse entendre qu’une organisation qui œuvre à “améliorer la situation économique dans les pays en développement, participe peut-être, sans le savoir, à exacerber le fossé entre les riches et les plus pauvres”, souligne le quotidien financier britannique. Surtout, “l’étude montre que les efforts de la Banque mondiale peuvent s’avérer futiles”, poursuit le Financial Times. Elle n’a, en effet, pas les moyens humains et logistiques pour s’assurer qu’une partie de l’argent prêté ne se retrouve pas sur des comptes en Suisse, très loin des populations qui en ont le plus besoin.
Source: https://www.france24.com/