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Crise malienne : un scénario politique à l’algérienne

Depuis deux semaines, le Mali est secoué par d’importantes, d’imposantes manifestations qui pourraient annoncer une instabilité durable qui pourrait faire le jeu de l’Imam rigoriste et anti français, Mahmoud Dicko.

Une chronique de Dov Zerav

La première manifestation a eu lieu le 5 juin et a réuni plusieurs dizaines de milliers de personnes. Est ainsi né le « mouvement du 5 juin/Rassemblement des forces patriotiques » (M5/RFP). Vendredi dernier, le 19 juin, le mouvement de contestation a peut-être marqué un tournant avec la démission de trois membres de la Cour suprême.

L’ombre de l’Islam wahhabite

Emmené par l’iman Mahmoud Dicko, le mouvement est un conglomérat hétéroclite qui rassemble des responsables religieux ainsi que des personnalités de la société civile et du monde politique. Rigoriste d’inspiration wahhabite, il a été président du Haut Conseil islamique (HCI) de 2008 à 2019. Il est opposé à l’homosexualité « importé par l’Occident » ; il est proche des djihadistes et notamment ceux d’Ansar Dine, et considère que « le Djihadisme est une création des Occidentaux pour recoloniser le Mali ».

Né il y a environ 65 ans, l’iman sunnite a beaucoup évolué sur le plan politique. Il a été un défenseur de l’ancien dictateur Moussa Traoré qui avait renversé en 1968 le père de l’indépendance, Modibo Keïta. Il s’est opposé au lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré (ATT) qui a mis fin à la dictature en 1991 avant de rendre le pouvoir aux civils. Sous la présidence d’ATT qui s’était fait élire président en 2002 et réélire en 2007, l’imam s’était distingué en s’opposant à son projet de Code des personnes et de la famille en 2009. Depuis 2012, il s’était rangé derrière le président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) avant de se retourner contre lui et d’appeler à sa démission. Il lui reproche de ne pas s’être rapproché des djihadistes pour sceller un accord politique et la fin de la rébellion armée.

Une croissance démographique alarmante

Avec 1 241 238 000 km², le Mali est au centre de l’Afrique et du Sahel, enclavé entre l’Algérie, le Niger, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée Conakry, le Sénégal et la Mauritanie. Avec un PIB de 927 $ par habitant, le Mali est un pays pauvre avec une économie peu diversifiée et exposée aux fluctuations des prix des matières premières. Le pays compte 20,2 millions d’habitants, ce qui peut paraître faible puisque la densité est de 16 habitants au km².

Mais la croissance démographique est galopante avec 3,36 % par an. Au cours des 30 prochaines années, le pays va doubler sa population pour atteindre 43 millions d’habitants. Avec un taux de fécondité de 6 enfants par femme en 2017, le pays est sous pression pour proposer les infrastructures publiques susceptibles de répondre aux besoins de la population notamment dans les secteurs de l’éducation et de la santé. Comme souvent en pareille situation, le mouvement de contestation a plusieurs causes et un élément déclencheur :

  • L’humiliation due à l’impuissance de l’Étatqui n’arrive à endiguer ni les milliers de morts causés par les djihadistes, ni les violences intercommunautaires.
  • L’insécurité. Cela fait une vingtaine d’années que le Nord du Mali est le territoire de trafics divers et variés aux mains de groupes armés. Ils sont d’abord venus d’Algérie après « l’interruption du processus électoral » en 1991 et la traque des islamistes ; la deuxième vague a été constituée après la chute du colonel Khadafi.
  • Les violences intercommunautairesminent la société malienne ; certains n’hésitent pas à raviver les tensions entres Noirs et Blancs de la région de Kidal et descendants de migrants venus d’Arabie saoudite dans le courant du XVIème siècle.
  • La crise des services publics, notamment ceux de l’éducation et de la santé. C’est la raison pour laquelle, bien qu’épargné par la pandémie, le pays a connu une forte mortalité, 111 décès sur 1 906 personnes contaminées (la Côte d’Ivoire a enregistré 40 décès sur plus de 7 000 cas déclarés).-
  • Une gouvernance trop centralisée entre les mains du président s’appuyant sur une Constitution calquée sur celle de la Vème République.
  • La perception d’une corruptionque les manifestants considèrent qu’elle est répandue, et qu’elle concerne particulièrement les contrats d’armements.
  • Un profond malaise dans la zone cotonnière. En cinq mois, le cours du coton a baissé de 30 % en passant de 70 cts$ la livre à moins de 50, cours enregistré pour la dernière fois en 2009. Le gouvernement a alors décidé d’ajuster à la baisse le prix garanti aux cotonculteurs de 275 FCFA à 200 ; face aux mécontentements et à la menace de l’Association des producteurs de coton du Mali (APCAM), il s’est repris en remontant le prix garanti à 250 FCFA. Ce revirement s’est inscrit dans un climat politique tendu à cause des critiques soulevées par la décision du Cour suprême concernant la législative à Bougouni.
  • Le marasme économique. La baisse des voyages, des échanges commerciaux, des investissements directs étrangers (IDE) devrait faire baisser la croissance de 5,1 % attendus à 1 %.

De la fraude à tous les étages

La tenue des élections législatives en mars-avril, en pleine pandémie, et l’inversion par la Cour suprême du résultat dans trente circonscriptions ont alimenté les suspicions de fraude électorale. Cela a réveillé, pour certains, la contestation de la dernière présidentielle de 2018 qui a enregistré la réélection d’IBK contre Soumaïla Cissé, pris en « otage par de présumés djihadistes » une semaine avant le 1er tour des législatives. La Cour est composée de neuf membres dont trois sont nommés par le président de la République, trois par le président de l’Assemblée nationale, par construction proche du président de la République et trois par le Haut Conseil de la magistrature dont la présidence est assurée par le président de la République. Cette construction est de plus en plus contestée par les manifestants qui considèrent qu’elle est contrôlée par le président de la République. La démission de trois membres et celle non confirmée de la présidente ainsi que la mort d’un membre font que cette institution ne serait plus en mesure de fonctionner. Les deux adresses à la Nation faites par le président IBK n’ont pas désarmé les opposants ; toutes ses offres d’ouverture ont été repoussée par les leaders de la contestation. Le pays est dans l’impasse car il n’y a, à ce stade, aucune alternative politique. Heureusement que le mouvement s’inscrit dans une démarche pacifique, que la violence n’a marqué aucune des manifestations, et que le président IBK a évité, jusqu’à présent d’essayer de réprimer par la force. Cela mérite d’être souligné car lorsqu’il était Premier ministre (1994-2000) d’Alpha Oumar Konaré, premier président (1992-2002) de l’ère démocratique du Mali, il a sévèrement réprimé une crise scolaire et des grèves. Quoique de sensibilité de gauche, les épisodes de cette période lui donneront une image de fermeté. Pour sortir de la crise, tous les voisins se penchent sur le sujet. Plusieurs ministres des Affaires étrangères, notamment du Niger et du Nigéria se sont rendus à Bamako. On attend trois présidents dont celui de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Presque tous les voisins recommandent la mise en place d’un gouvernement d’union nationale et de nouvelles élections législatives. Á défaut d’un accord politique rapide, les manifestations risquent de se multiplier et d’entraîner un scénario à l’algérienne.

Source : Mondafrique

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