Avec (très probablement) le Nigeria comme destination finale, le voyage du « dealer » s’arrêta à Bamako avec 1800 grammes de boulettes de cocaïne dans son estomac. Face aux juges, il invoqua des » difficultés financières et des problèmes sociaux » comme moyens de défense.
L’arrêt n°308 de mise en accusation du 4 décembre 2018 faisait comparaître devant les juges de la Cour d’appel de Bamako un certain Epuna Chukwuma Ifanyi. La quarantaine environ, ce ressortissant nigérian était accusé de « trafic international de drogue à haut risque ». Marié et père de trois enfants, ce jeune homme qui a été identifié comme commerçant de son état, avait eu le malheur d’ingérer de la drogue dure (cocaïne) pour effectuer un voyage.
Un déplacement au cours duquel il serait parti de la Sierra Leone en passant par la Guinée-Conakry avant d’atterrir à Bamako, où il s’est fait prendre sans arriver au Nigéria, sa probable destination finale. En acceptant un tel voyage avec de la « drogue dure ingérée » dans son corps, ce Nigerian n’ignorait pas les risques qu’il courait. Qu’à cela ne tienne, si l’on en croit nos sources, tout se serait bien passé pour lui depuis son point de départ à Freetown (Sierra Leone). C’est à son arrivée à la gare routière dite de « La Guinée », sise dans le quartier Sébénicoro, à Bamako que tout a basculé pour lui.
De sa descente du véhicule qui le transportait, à son interpellation, le tout s’est passé en quelques minutes. Puis le dossier Epuna C. Ifany n’avait plus raison de trainer pour que le présumé « trafiquant international de drogue » puisse être renvoyé devant les jurés de la Cour d’assises de Bamako. Bien avant, il était très probablement pisté à son insu par les agents de la cellule aéroportuaire anti-trafic, l’antenne de l’OCS (Office central des stupéfiants) évoluant à l’aéroport international président Modibo Keïta Sénou.
Le jour où tout a basculé pour le Nigérian au niveau de la gare routière citée, c’était dans les environs de neuf heures quarante cinq minutes (9h 45mn). Comme nous le disions plus haut, l’homme avait pris le départ à Freetown (Sierra Leone) avant de passer par Conakry. Dès son arrivée à la gare routière de Sébénicoro à Bamako, il fut interpellé à sa grande surprise. Puis les agents l’ont conduit dans les locaux sis à l’aéroport international Modibo Keïta pour des contrôles plus poussés. A commencer par une fouille de « sûreté » qui sera suivie par celle de ses bagages. Toutes ces fouilles s’avéreront négatives.
Le présumé trafiquant de drogue sera ensuite soumis au « test d’urine » qui sera également négatif. Malgré tout, les agents de l’office central des stupéfiants n’étaient pas convaincus que l’homme ne détenait pas de drogue par devers lui. Ils seront obligés de le soumettre à un contrôle beaucoup plus poussé. C’est ainsi qu’ils procédèrent à une radiographie de son estomac. Chose qui s’avérera fructueuse. Elle a permis de voir clairement que le Nigérian avait 106 boulettes de cocaïne dans son estomac. S’il faut croire nos sources, le Mali n’était qu’un pays de transit avec cette quantité destinée au marché local du Nigeria par l’intermédiaire d’un autre compatriote installé sur place là-bas.
Interrogé, le présumé trafiquant tentera de donner l’impression qu’il était un amateur dans cette activité illicite. C’est ainsi qu’il fera savoir qu’il est commerçant de mèches brésiliennes. C’est par un pur hasard qu’il fut contacté par un ami du nom de Kéké. Ce dernier l’aurait approché alors qu’il se trouvait dans un restaurant à Freetown où il avait ses habitudes. Avec le temps, ce dernier parvint à le convaincre pour lui proposer un « marché » pouvant lui rapporter beaucoup d’argent. Il s’agissait de transporter de la drogue de Freetown jusqu’au Nigeria en empruntant le trajet déjà cité plus haut. L’homme confirme qu’il devrait recevoir son dû estimé à 1000 dollars, une fois arrivé au Nigeria, destination finale du produit prohibé.
Bref. Le suspect a brièvement brossé la situation du début jusqu’à son interpellation par les agents OCS de Bamako. Auparavant, il avait tenu à préciser que c’était son compatriote destinataire du produit qui avait organisé et pris tout le voyage en charge. Avec ces aveux, les agents de l’Office des stupéfiants n’avaient plus qu’à finaliser son dossier pour le renvoyer devant le parquet du pôle judiciaire spécialisé. D’où l’inculpation d’Epuna C. Ifanyi qui sera renvoyé devant les juges de la Cour d’assises de Bamako pour y être jugé conformément à la loi. C’était sur la base des dispositions de l’article 95 de la Loi N°01-078 du 18 Juillet 2001 portant sur le contrôle des drogues et précurseurs en République du Mali.
Le jour de son audience, le présumé dealer s’est présenté à la barre, habillé en ensemble boubou. Assisté d’un interprète, le ressortissant nigérian a reconnu les faits. Il avait fait de même depuis l’enquête préliminaire. Difficilement, il pouvait en être autrement. La cause. A ce stade des enquêtes, il a déclaré ceci: « Le nommé Kéké m’a proposé de transporter le produit. Ensuite, il m’a expliqué la façon dont je devais m’y prendre en l’ingérant dans mon estomac afin de les remettre à un autre compatriote résidant à Lagos… ».
Pour détailler ce qui s’est passé entre le nommé Kéké et lui, le suspect dira que ce dernier voulait même le convaincre d’abandonner son commerce au profit de cette activité qui, à ses yeux, semblait plus florissante. Toutefois, le présumé trafiquant a avancé des raisons de difficulté financières et les problèmes sociaux qui l’auraient poussé à accepter cette proposition de son ami et compatriote dealer qu’il a rencontré à Freetown. Il répondait ainsi à une question du président de la Cour qui voulait savoir les raisons qui l’ont poussé a accepter une telle proposition venant d’un compatriote qui s’adonnait à une activité illicite du genre. Pour le magistrat qui tenait coûte que coûte à coincer le suspect, il dira que celui-ci avait agi en connaissance de cause en acceptant de transporter 1800 grammes de drogue dans son estomac. Pour se défendre, s’il faut le croire, l’homme soutint mordicus qu’il était à sa toute première fois dans une telle activité. Une première fois qui, selon lui, a très mal tourné pour lui.
L’avocat général a estimé que ce dossier n’est pas compliqué. « Il a reconnu les faits, cela me met à l’aise », s’est-il réjoui. Parlant du suspect lui-même et de son attitude, le parquet a émis des doutes en pensant qu’il n’était pas la personne qu’il semble faire croire à la Cour. Le magistrat debout ajoutera que le Nigérian n’était pas à sa première fois. De son point de vue, il est très difficile pour un novice de prendre le risque d’ingérer 106 boulettes de cocaïne. « Il savait où passer pour ne pas se faire prendre. C’est un dealer endurci, voyez son regard perçant », a lâché le procureur qui précisera d’ailleurs que le suspect avait agi de concert en amont avec son réseau. Dans son rôle de défenseur des citoyens, le ministère public a requis que l’accusé soit maintenu dans les liens de l’accusation, conformément à l’article 95 réprimant la drogue et ses précurseurs.
La défense a préféré orienter sa plaidoirie sur la détention et la consommation des produits, en lieu et place de son transport. C’est au vu de cela que l’avocat a dit que c’est la disposition de l’article 99 qui sied à « son » cas et non l’article 95. Et de demander à la Cour l’application de cet article 99 avec le bénéfice des circonstances atténuantes au profit de son client. A la lumière des débats, le parquet a requis 5 ans de prison et 5 millions de Fcfa d’amendes. La défense a clairement fait savoir que cela ne reflèt pas son avis. Elle a demandé à la Cour de ne pas suivre la réquisition du ministère public. Pour la robe noire, en suivant le défenseur des citoyens, les jurés condamneront la femme et les enfants du suspect. Apparemment, au moment du verdict, la Cour a semblé avoir suivi le parquet à moitié. Elle a conclu à la culpabilité du Nigérian en le condamnant à 2 ans de prison ferme et au paiement de 5 millions de FCFA d’amendes.
Tamba CAMARA
Source: Journal l’Essor- Mali