La justice ivoirienne doit rendre, mercredi, le verdict du procès des anciens barons de la filière café-cacao. La fin d’un feuilleton judiciaire, après trois années de rebondissements ?
Va-t-on enfin assister au dénouement du procès des ex-barons de la filière café-cacao, mis en détention en 2008 avant de bénéficier d’une libération provisoire fin 2010 ? Initialement attendu pour le 30 octobre, le verdict du tribunal de première instance du Palais de justice d’Abidjan-Plateau doit finalement être rendu mercredi 6 novembre. Entamée en 2007 après le scandale du rachat d’une usine Nestlé aux États-Unis par la Côte d’Ivoire, l’enquête du juge Joachim Ladji Gnakadé s’est achevée en avril 2010, avant que le procès en lui-même ne commence à la fin de la crise postélectorale de 2011.
Celui-ci a mis en exergue un système de gestion obscur, qui a sévi durant toute la dernière décennie, parfois avec la complicité au moins passive de ministres et de cadres du régime Gbgabo.
Les différents audits café-cacao réalisés par les cabinets KPMG et Sec Diarra, à la demande des institutions de Bretton Woods, font état de la disparition de quelque 370 milliards de F CFA entre 2002 et 2008. Les organes touchés sont le Fonds de régulation et de contrôle (183 milliards), le Fonds de développement et de promotion des activités des producteurs de café et de cacao (136 milliards), la Bourse du café et du cacao (43 milliards) et l’Autorité de régulation du café et du cacao (8 milliards). Le parquet a déjà requis de cinq à vingt ans de prison contre plusieurs prévenus. Mais des irrégularités ou vices de procédure dans le montage du dossier à l’instruction pourraient jouer en faveur de certains d’entre eux qui réclament l’acquittement.
Pression du FMI
On retrouve sur le banc des accusés des représentants des producteurs réputés proches du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI de Henri Konan Bédié), comme Lucien Tapé Doh et Henri Amouzou, et des membres du Front patriotique ivoirien (FPI), comme Firmin Kouakou, Placide Zoungrana et Angéline Kili. Dans les années 2000, la filière café-cacao est en pleine libéralisation. En août 1999, le pays dit adieu à la Caisse de stabilisation (Caistab) d’Houphouët-Boigny, sous la pression de la Banque mondiale et du Fond monétaire international (FMI).
ARCC, BCC, FRC, FDPCC… ce sont ces nouveaux organes de la filière qui sont aujourd’hui mis en cause.
Cet établissement public est remplacé dans un premier temps par deux structures distinctes que sont l’Autorité de régulation du café et cacao (ARCC) et la Bourse du café et du cacao (BCC). Le Fonds de régulation et de contrôle (FRC), lui, sera crée quelques années plus tard par Laurent Gbagbo. Les producteurs se regroupent quant à eux au sein du Fonds de développement et de promotion des activités des producteurs de café et de cacao (FDPCC). Ce sont ces nouveaux organes de la filière qui sont aujourd’hui mis en cause.
Les proches du PDCI
Quand débute la transition militaire du général Robert Gueï (décembre 1999-octobre 2000), Lucien Tapé Doh et Henri Amouzou, à la tête de différents mouvements de planteurs, montent au créneau pour protester contre le projet initial de réforme, jugé trop libéral et trop favorable au puissant Groupement des exportateurs de café et de cacao (Gepex). Les deux hommes obtiennent gain de cause. Des élections sont organisées pour désigner les représentants nationaux des planteurs dans les nouvelles structures de gestion de la filière. Amouzou devient président de l’Association nationale des producteurs de café-cacao de Côte d’Ivoire (Anaproci) et Tapé Doh vice-président. Le premier est agni, le second bété : l’équilibre géopolitique et géographique des deux grandes zones de production est donc respecté. Pour Gueï, c’est aussi un moyen de s’assurer des voix des planteurs aux prochaines élections.
Après l’arrivée au pouvoir de Laurent Gbagbo en octobre 2000, Amouzou et Tapé Doh prennent, respectivement, la tête du FDPCC et de la BCC. Les relations entre les deux hommes se dégradent rapidement. Tapé Doh fait tout pour contrecarrer la domination de Amouzou. Les escarmouches se multiplient. Les clans organisent grèves, sit-in et contre-manifestations, quand ils ne s’injurient pas par journaux interposés.
Les membres du FPI
Une fois au pouvoir, Laurent Gbagbo reprend les grandes lignes de la réforme effectuée, mais place ses hommes à la tête des différentes structures, notamment au sein du Fonds de régulation et de contrôle (FRC) qu’il met en place. La présidence de ce fonds est confié Angeline Kili. Ancienne secrétaire à la Banque centrale, elle n’est autre que la femme de Pascal Affi N’Guessan, président du FPI. Firmin Kouakou, un ancien banquier, sera lui le directeur général, Louis Okaigni Okaigni, planteur de métier respecté dans le monde paysan, l’administrateur. Le FRC sera au centre de l'”affaire Fulton”, du nom de la ville de l’État de New York qui abritait l’usine de fabrication Nestlé rachetée par la Côte d’Ivoire en 2003.
Enfin, Placide Zoungrana, spécialiste des questions agricoles du FPI et proche de Laurent Gbagbo, devient le président de l’Autorité de régulation du café et du cacao (ARCC), chargée notamment de redistribuer l’ensemble des taxes parafiscales du secteur.
Les dérives commencent fin 2002. Le coup d’État manqué contre Laurent Gbagbo se transforme en rébellion. Toutes les structures de la filière sont alors sollicitées pour soutenir “l’effort de guerre”. Ce système de prédation prend fin en juin 2008 avec l’incarcération des barons du cacao. Deux structures provisoires sont mises en place pour régir le secteur : le Comité de gestion de la filière café-cacao (CGFCC) et le Conseil national des sages (CNS). Avant que l’administration Ouattara n’entame une nouvelle réforme en 2012.