Gestion du coronavirus critiquée, dissidents républicains de plus en plus bruyants et crise sociale liée à la mort de George Floyd… les difficultés s’enchaînent pour Donald Trump. Au point de lui coûter sa réélection ?
L’année 2020 avait pourtant bien commencé. Au Forum économique mondial de Davos, en janvier dernier, Donald Trump affichait fièrement un bilan très satisfaisant. Le chef de l’État américain expliquait que tous les indicateurs étaient au vert et que son pays accueillait tout simplement la meilleure économie du monde, comme nous le rappelle Jean-Éric Branaa, maître de conférences à l’université Paris 2 et auteur de “Rien ne sera plus comme avant – L’Amérique au temps du coronavirus”. Quelques semaines plus tard, il était acquitté par les sénateurs lors de son procès en destitution. Bref, l’élection présidentielle de novembre s’annonçait presque facile. Mais depuis, les choses ont changé.
Une réaction au coronavirus trop lente
Le monde a été frappé par la pandémie de coronavirus. De nombreux pays ont été pris au dépourvu, ne sachant pas toujours comment réagir et devant composer avec une système sanitaire loin d’être prêt pour assumer une telle crise. Les États-Unis n’y ont pas échappé. Mais la gestion de Donald Trump a été particulièrement critiquée.
Le chef de l’État américain a très longtemps comparé le Covid-19 à “une petite grippe” et a rechigné à prendre des mesures draconiennes pour lutter contre l’expansion du virus. Ce n’est que mi-mars, quand son propre électorat a commencé à mettre en doute la parole présidentielle et à craindre vraiment la maladie, que le président républicain a pris les choses au sérieux. Il a alors nommé Mike Pence à la tête d’une Task Force dédiée à la lutte contre le coronavirus, déclaré l’état d’urgence et débloqué un plan d’aide de plus de 2 000 milliards de dollars. Du jamais-vu. Mais à aucun moment Donald Trump n’a passé le cap du confinement national. Il a d’ailleurs plutôt rechigné à appliquer les gestes barrières, refusant farouchement de porter un masque en public, et distillant des conseils sanitaires aussi approximatifs que dangereux.
La crise économique à venir aura plus d’impact
Désormais, les États-Unis sont le pays le plus durement touché, comptant presque 1,8 million de cas et plus de 100 000 morts. Pour autant, et malgré les critiques, l’opinion ne semble pas en tenir rigueur au chef de l’État. Il affichait entre 44 et 45% d’opinion favorable en janvier, et obtenait 44% le 31 mai. “L’électorat de Donald Trump estime qu’il n’est pas à blâmer pour cette crise, qui s’est abattue sur le monde entier”, analyse Jean-Éric Branaa.
Mais le retour de bâton pourrait en revanche arriver dans quelques temps, avec la crise économique qui ne manquera pas de succéder au drame sanitaire. “Les États-Unis sont encore dans l’action, avec toujours entre 700 et 1 000 morts par jour”, nous rappelle le maître de conférences à l’université Paris 2, “la politique n’est pas encore ce qui préoccupe les gens, ils veulent d’abord sortir de la crise sanitaire”, poursuit-il.
Difficile de savoir, donc, les conséquences que pourrait avoir la gestion du nouveau coronavirus sur l’élection présidentielle de novembre. “Je crois que là, on va échapper à un choix partisan, il s’agira plus d’un ressenti personnel par rapport à la situation de chaque électeur”, suppose le spécialiste. Un Américain ayant perdu son emploi pendant la crise aura plus tendance à blâmer le chef de l’État.
Les Républicains dissidents se font entendre
Depuis la fin de l’année 2019, Donald Trump doit aussi composer avec un autre caillou dans sa chaussure, et il vient de son propre camp. Des Républicains ont créé le collectif Lincoln Project, du nom d’Abraham Lincoln, le 16e président des États-Unis. Dans une tribune publiée par le New York Times en décembre dernier, intitulée “Nous sommes républicains et nous voulons que Trump soit battu”, ces dissidents – parmi lesquels se trouvent plusieurs grandes figures du parti – expliquent pourquoi ils souhaitent empêcher la réélection du président sortant.
“Ce n’est pas un poids très fort”, commente Jean-Éric Branaa, “mais c’est très symbolique car ça montre que Joe Biden est capable de rassembler au-delà de son propre camp et d’aller chercher des républicains. La politique américaine se joue toujours au centre, ce sont les candidats de compromis, qui vont chercher les voix en face, qui l’emportent”, poursuit le spécialiste. Joe Biden a, de ce côté-là, une longueur d’avance.
Ces dernières semaines, en réaction notamment à la gestion de la crise sanitaire, une autre groupe de Républicains et de conservateurs a vu le jour, sous le nom de Defending democracy together. Cette organisation lève des fonds pour mener une campagne afin d’inciter les républicains à voter pour Joe Biden, le candidat démocrate à la présidentielle.
Une crise sociale profonde
Mais ce qui pourrait vraiment coûter cher à Donald Trump, c’est la crise sociale qui secoue le pays depuis maintenant une semaine. Le 25 mai dernier, George Floyd, un Afro-américain de 46 ans, est mort au cours de son interpellation par quatre policiers blancs. Il avait été arrêté car il était soupçonné d’avoir utilisé un faux billet de 20 dollars et s’est retrouvé plaqué au sol, l’un des agents appuyant son genou sur le cou de la victime pendant de très longues minutes. Malgré les plaintes de George Floyd et la mise en garde des passants, témoins de la scène, le policier n’a pas relâché son étreinte. Le quadragénaire a été déclaré mort à son arrivé à l’hôpital.
Ce drame a mis le feu aux poudres dans un pays où les bavures policières contre des suspects noirs sont tristement répétitives. Des manifestations pacifiques ont, depuis, eu lieu tous les jours à Minneapolis, ville où s’est déroulé le drame. En parallèle, des émeutes ont également éclaté dans la ville, conduisant notamment à des pillages et à l’incendie du commissariat où travaillait les policiers impliqués dans le drame.
En quelques jours, ce mouvement s’est étendu à d’autres villes américaines et de nombreuses personnalités – y compris Joe Biden – ont réclamé que la justice soit rendue pour George Floyd et que les personnes de couleur soient enfin traitées de la même façon que les blancs.
De son côté, Donald Trump a réagi d’une manière loin d’être propice à l’apaisement, appelant à une répression violente. Il a notamment menacé, sur Twitter, d’autoriser l’armée à tirer à balles réelles sur les personnes s’adonnant aux pillages. Il a également associé les émeutiers aux “antifas”, qu’il souhaite classer comme “organisation terroriste”, rapporte Le Monde.
La réponse des candidats attendue
Pour Jean-Éric Branaa, le président américain n’a pas du tout saisi la teneur de cette crise sociale. “Il l’a traite comme une affaire partisane, un épiphénomène”, décrit le spécialiste, qui estime que Donald Trump a tort. “C’est une crise qui s’inscrit dans un temps long, qui est le temps de la construction de l’Amérique, puisqu’en réalité le problème des Noirs et des Blancs date des premiers colons et de l’introduction de l’esclavage dans ce continent”, rappelle le maître de conférences.
“Trump espère que les ‘bien pensants’ vont vouloir de l’ordre, vont reprocher aux manifestants leurs actions et se reporter sur lui”, relate Jean-Éric Branaa. Mais aujourd’hui, les manifestants ne sont pas “des personnes qui sont en révolte contre la société”, comme cela a pu être le cas en avec le mouvement hippie de 1968. Là, “ce sont des personnes qui font partie de la société mais qui sont révoltés de ne pas être reconnues par cette société, en raison d’une couleur de peau”, nuance-t-il.
Cette crise sociale pourrait bien être l’élément qui fera basculer la campagne présidentielle… et qui risque de coûter cher à Donald Trump. “La réponse que vont apporter les candidats sera très observée, d’autant que la communauté afro-américaine va faire basculer l’élection”, prédit le maître de conférences. “Joe Biden a déjà reconnu qu’il existait un problème de racisme systémique, il faut maintenant qu’il propose un plan pour réconcilier l’Amérique”, conclut-il. Si tel est le cas, la balance pourrait bien pencher en faveur du candidat démocrate. Et signer la fin de la présidence Trump.