Arianna Poletti est une journaliste indépendante pour la presse francophone et italienne, basée à Tunis. Elle rappelle les erreurs commises en Europe face à l’épidémie de coronavirus. Cette tribune a été publiée sur Jeune Afrique.
Et si après la Chine et l’Europe, c’était le tour de l’Afrique ? Pour arrêter le coronavirus, il faut agir maintenant et vite. Avant que les fragiles systèmes sanitaires africains soient mis à genoux. En Italie, on l’a compris trop tard.
Il y a à peine trois semaines, je n’aurais jamais pensé me retrouver confinée, sans pouvoir sortir de chez moi. Internet ? Mon forfait est limité. Pas de films. Que des bouquins et une vieille télé carrée qui ne capte qu’une chaîne : Rai 1. Quand je parle de Rai 1 aux Tunisiens, tout le monde sourit. Nos pays sont si proches qu’on capte souvent Rai 1 en Tunisie, et plusieurs personnes ont appris quelques mots d’italien en regardant les téléfilms de la chaîne.
Il y a trois semaines, j’étais à Tunis. Le coronavirus : rien de plus loin dans mes pensées. J’en parlais pendant mes cours d’arabe, lorsque mon prof me demandait de citer un fait d’actualité. « C’est vrai qu’en Italie ils ont trouvé une personne positive au virus et ils ne comprennent pas où il l’a attrapé ? » « Oui, c’est vrai ». Ma famille se disait inquiète : « As-tu vu ce qu’il se passe ? Ici, on est à 20 cas. C’est beaucoup ». Je rétorquais qu’il ne faut surtout pas paniquer, ni exagérer. Que la vie doit continuer comme d’habitude. Que vingt personnes sur 60 millions d’habitants, c’est rien du tout.
« Les contaminés ne sont plus les autres, mais nos proches »
Quelques semaines après, je me retrouve à nouveau en Italie. Mon départ de Tunis n’était pas prévu, mais en ce moment si confus, si imprévisible, j’ai voulu rentrer chez moi. Et rester chez moi. Pour beaucoup, cette histoire du virus est encore lointaine, et j’espère qu’elle va le rester. Pas pour moi, pas pour nous. Le coronavirus est violemment rentré dans notre quotidien, il l’a bouleversé, nous montrant tous vulnérables et mal préparés. Les contaminés ne sont plus les autres, mais nos proches. Si en Italie la crise sanitaire est devenue presque incontrôlable, on peut encore l’éviter ailleurs. Mais il faut agir vite.
La plus grosse erreur que l’Europe a fait est de se croire intouchable
La plus grosse erreur que l’Europe a fait est de se croire intouchable. Elle a attendu. Trop. Elle a été vite rappelée à la réalité : l’immunité collective prônée par Boris Johnson ne marche pas, car environ 10 % des personnes infectées par le coronavirus ont besoin d’une place à l’hôpital, y compris des jeunes. Nous le savons bien en Italie, où les lits commencent à manquer. À un certain moment les médecins ne pourront plus soigner tout le monde. Dans certaines régions c’est déjà le cas. Ils sont obligés de choisir. Comment l’éviter ?
La Tunisie, comme d’autres pays africains, a adopté des mesures préventives. Pour l’instant, avec 55 cas, la situation semble rester sous contrôle. Cela n’empêche pas de rester sur ses gardes, de redoubler de vigilance. Respecter la quarantaine quand on revient d’une zone à risque pour ne pas mettre en danger les autres est fondamental. Malheureusement, cela n’a pas toujours été le cas, et parfois à cause des Italiens eux-mêmes, qui ont sous-estimé le danger. La séance unique, le couvre-feu, se laver les mains même excessivement : ces mesures s’imposent, tout comme l’arrêt des vols et des navires venant des pays européens, pour prévenir l’engorgement des hôpitaux. Seront-elles suffisantes ?
Une seule règle, le confinement
On aimerait que l’hôpital public puisse soigner tout le monde en même temps. Malheureusement, ce n’est pas le cas. Cela mériterait une réflexion sur les politiques publiques des dernières années. Comme l’a écrit un de mes amis tunisiens, « les choix en faveur de la médecine privée au service de ceux et celles qui peuvent en payer le prix, vont nous coûter cher ». La question n’est même plus de savoir si « c’est juste une grippe » ou pas. Il s’agit avant tout d’une crise du système sanitaire. Alors, il faut se protéger les uns les autres. Je n’aurais jamais imaginé voir ce virus se rapprocher si vite. Je me suis tournée et il était là, juste à côté, du jour au lendemain. Imprévisible. Et pourtant j’avais pris toutes les précautions nécessaires. On l’oublie souvent, mais on dépend des autres.
Éviter au maximum les contacts sociaux, c’est la seule méthode possible quand on se bat face à un mal invisible
En Italie, on a vite compris que les règles imposées par le gouvernement ne peuvent pas marcher sans un effort volontaire et individuel, qui devient ainsi collectif. Pour respecter un décret qui limite la liberté de mouvement, il faut aussi avoir confiance dans les institutions qui l’imposent. Ce n’est pas toujours le cas. Et alors, sans attendre des restrictions venant d’en haut, pour battre le coronavirus, il existe une seule et unique approche : éviter au maximum les contacts sociaux. C’est la seule méthode possible quand on se bat face à un virus invisible. Avec une maladie qui peut être aussi bien asymptomatique que mortelle. Nous l’avons compris trop tard, et maintenant pour faire ralentir la courbe des malades il faut du temps. Du temps, c’est des morts en plus, des familles en souffrance.
Le virus se répand très — trop — rapidement, et personne ne peut prétendre de le contrôler. En moyenne un malade contamine environ 3 personnes. L’Italie est passée de 20 à 30 000 contaminés en trois semaines. Il faut s’arrêter avant. Ne faites pas la même erreur : réagissez tout de suite. La maladie n’est plus en Chine, elle se trouve aujourd’hui au cœur de la Méditerranée. Personne — rive nord ou rive sud — n’est à l’abri. Alors, shad darek (شد دارك). Restez chez vous !