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Corinne Chandra Diallo au sujet de Diane et les images : « C’est notre prisme de réhabilitation des civilisations africaines »

Diane et les images : contes initiatiques d’ici et là-bas vient de remporter le prix du premier roman de l’Union européenne à l’occasion de la 12e édition de la Rentrée littéraire du Mali. Cette œuvre, publiée en coédition par les éditions La Sahélienne Mali et les éditions Renaissance Art et lettre de France, est produite par une Franco-Malienne, Corinne Chandra Diallo que nous interrogeons sur ce roman.

Le Pays : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs et abonnés ?

Corinne Chandra Diallo : je suis malienne par mon père, et également d’origine française, gabonaise et italienne par ma mère. Si je me définis professionnellement, je dirais que je suis professeure d’Histoire-Géographie, mais que j’exerce actuellement la fonction de coordinatrice de dispositif relais. Un dispositif d’aide aux collégiens en difficulté. Je suis responsable de ce centre, responsable d’accueillir les élèves, de faire le lien avec leur établissement d’origine, de créer un projet pédagogique sur mesure qui les motive pour les mettre au travail, mais aussi qui les amène à se responsabiliser par rapport à leur comportement. Vous pourrez deviner d’emblée qu’on accueille essentiellement des élèves issus d’Afrique dans ce centre.

Du coup, je vais faire le lien avec certaines réflexions qui traversent Diane et les images, sur le rapport entre France-Afrique, entre Occident et culture africaine dans toutes leurs richesses.

Je suis aussi auteure. Pour le moment, j’ai publié deux livres. J’ai un roman en préparation qui est la suite de Diane et les images. Je suis aussi musicienne et chanteuse. J’ai créé le Néfertiti Orchestra, où on fait connaitre les harpes ou Ngombi et Ganzaval qui sont les harpes africaines, sont venues du fond des âges, notamment de l’Égypte pharaonique. Il est d’ailleurs question de ces instruments dans Diane et les images. Je compose et je chante avec cette harpe avec mon ami Emilio Bissaya, maître harpiste, ainsi que Shyammal Maitra, maître de tabla indien.

Si je devais me présenter, je dirais que je suis avant tout citoyenne du monde. De par mes mélanges et métissages, j’ai d’emblée cette ouverture sur le monde et à cœur de faire le lien entre des mondes qui paraissent ne pas se rencontrer et que je porte en moi. C’est aussi l’un des objectifs à travers mes livres : faire connaitre des mondes oubliés, des mondes dépréciés. Je pense en particulier aux cultures et aux grandes civilisations africaines. Je souhaite également décoloniser les esprits en montrant à travers de beaux personnages comme Azizée et aussi comme Diane qui est une métisse, ce que l’Afrique, ce que les cultures oubliées, pas seulement en Afrique, peuvent apporter au monde.

Vous venez de rééditer en coédition Dianes et les images : conte initiatique d’ici et là-bas, chez les éditions La Sahélienne au Mali. Veuillez nous expliquer le choix de ce titre ? Pourquoi La Sahélienne pour la réédition ?

Je viens de rééditer en Coédition Diane et les images parce que c’est une rencontre. Ismaïla Samba Traoré est un éditeur extraordinaire que j’ai rencontré au Festival Paroles Indigo, consacré à la littérature malienne, en octobre 2019. Lors de ces rencontres, Isabelle Gremillet de Parole Indigo m’a proposé de lire des extraits d’auteurs maliens et aussi un passage de Diane et les images. Ismaila a tout de suite aimé Diane et les images. Il a trouvé que c’était un très beau texte. Il a alors eu envie de le coéditer avec l’éditeur français, François Lopez. Cela a été pour nous l’occasion de participer à l’aventure de la Rentrée littéraire.

Le travail que fait La Sahélienne est extraordinaire parce que dans un pays où il n’y a pas assez de moyens pour soutenir la culture, ça demande une volonté, une ténacité, un altruisme (que j’admire énormément) pour publier, mettre en valeur autant de textes. C’est un éditeur qui prend des risques pour publier des écrits politiques qui ne vont pas forcément plaire à tout le monde.

Le roman s’appelle Diane et les images parce que l’une des héroïnes s’appelle Diane. Un personnage qui est lié aux forêts. Puisqu’on est dans un monde où on a des sensibilités, des prédispositions plus ou moins grandes selon les éléments. La prêtresse Azizé est liée à l’Océan, Diane aux forêts. Le personnage de Diane a un côté chasseresse, guerrière, amazone.

« Les images » parce que Diane, avant de découvrir son véritable potentiel, est envahie par des images. Ses capacités extrasensorielles, cette capacité à percevoir le divin et l’invisible, s’éveillent spontanément sans qu’elle soit préparée. Comme elle a grandi en Occident, elle n’est pas initiée. Par contre, il lui arrive toute sorte d’expériences étonnantes. Puisqu’elle n’est pas initiée, elle n’apprend pas. Les choses lui arrivent en pleine figure ; elle reçoit beaucoup d’informations, de perceptions. Une expérience très angoissante puisqu’elle ne sait pas ce qui lui arrive. Elle ne sait pas ce que sait et il n’y a personne à ses côtés pour le lui enseigner. Ces perceptions arrivent sous forme d’images qui l’envahissent, qui l’amènent presque au bord de la folie.

À travers la lecture de ce roman, nous avons l’impression qu’il s’agit d’une autobiographie. Veuillez nous éclairer !

Il ne s’agit pas d’une autobiographie. Les personnages sont complètement inventés. Mais tout romancier met quelque chose de lui-même dans ses écrits. Je porte tous les personnages en moi ; je m’identifie à tous les personnages. C’est vrai qu’on peut décrire de l’intérieur ce que peut percevoir ou ressentir une personne qui a développé des capacités dites extrasensorielles. Je dis extrasensoriel même si j’estime qu’en réalité ces capacités font partie du potentiel humain. Pour pouvoir les décrire avec les justes mots, les justes impressions, il faut avoir ce type de sensibilité. À ce niveau-là, c’est autobiographique.

J’avais besoin aussi de rendre témoignage de cela. Je vis en France, dans un monde rationaliste qui nie littéralement certains phénomènes alors que moi je me suis toujours sentie différente. C’est d’ailleurs ce qui m’a amené à être artiste. Un artiste cache très souvent une personne qui a une très grande sensibilité, qui a besoin du coup de les exprimer. Me sentant toujours différente, j’ai voulu comprendre de l’intérieur, d’écrire ce monde, ces perceptions.

Pour moi, c’est aussi un support poétique parce que quand on a ces perceptions, qu’on se relie à la nature, qu’on se relie à l’univers, qu’on se relie au divin, il y a des trésors magnifiques, des beautés magnifiques dont on a envie de témoigner. C’est un très gros travail d’écriture que d’essayer de se rapprocher de ce qui ne peut pas se dire, de ce qui est indicible, ce qui est tellement grand qu’il est difficile de l’enfermer dans des mots. C’était tout le Challenge.

À ce niveau-là, c’est autobiographique. Dans mon histoire familiale, il y a aussi des métissages liés à la colonisation du côté de ma mère, en ce sens ma grand-mère a épousé en mariage traditionnel un Français. À cette époque-là même encore aujourd’hui, les Occidentaux ne les considéraient pas comme de vrais mariages alors que pour la famille c’était de véritables mariages surtout dans des familles de notables. Côté colons, on considérait que ces mariages n’avaient pas d’importances. Fort heureusement, mon grand-père n’était pas comme ça. Il a profondément aimé ma grand-mère au point qu’il était un peu mal vu des colons. Mais le personnage que j’ai pris dans mon texte, lui il maltraite sa femme africaine. Il lui prend son enfant et ne lui donne plus de nouvelles.

Votre roman fait ressortir la question des traditions, de la modernité, etc. Finalement, quel est le message que vous tentez véhiculer derrière toutes ces images ?

C’est notre prisme de réhabilitation des civilisations africaines. Je pense que nous avons pour responsabilité de montrer notre trésor, de dévoiler les trésors du continent. Il n’y a pas que l’Afrique, il y a d’autres endroits du globe où il y a de très grandes civilisations, de très grandes cultures qui ont été décriées par l’esprit de colonisation, par l’occidentalisation des esprits. Je vais montrer à travers des personnages positifs, très beaux, les trésors que contiennent ces civilisations oubliées, en particulier sur le continent africain. C’est pourquoi je parle de traditions. Pour moi, ce sont plus que des traditions, ce sont des choses intemporelles, des choses éternelles.

Quand on regarde, ce sont des traditions ou plutôt des principes et des valeurs atemporelles qui reposent sur le cœur, sur la loi de l’amour. L’amour avant tout. C’est ce que je veux aussi faire passer comme message. Je pense que la modernité a parfois oublié ces principes élémentaires, surtout la modernité occidentale avec la brutalité qu’a pu avoir la colonisation, la traite négrière ou même le capitalisme dans ses formes sauvages. C’est donc une réhabilitation des valeurs du cœur. C’est ce dont est porteuse Azizé.

Dans cette ouverture de cœur, Azizée est reliée à la nature, elle est reliée à l’océan, elle est reliée à la forêt aussi, à tout ce qui constitue la beauté de ce monde. Elle est reliée aux êtres humains ; elle est prête à traverser l’océan et sacrifier sa vie pour sauver ses petites filles, elle ne réfléchit pas à elle-même, elle est guérisseuse par nature. Elle a passé sa vie à se consacrer aux autres. Elle est dans cette ouverture du cœur qui est une ouverture divine. C’est ce qui a été oublié et ce dont sont détenteurs les peuples restés proches de la nature, qui respectent la nature.

Il parait très important aujourd’hui, en cette période de réchauffement climatique et de pollution de retrouver cet esprit de cœur, cette reliance au monde, à la nature, aux autres et à privilégier le respect des êtres que ce soit des animaux, des arbres, des ruisseaux, des océans ainsi que des autres êtres.

Voilà les traditions dont est porteuse la prêtresse Azizé. C’est un être très élevé et c’est ce qu’elle transmet à sa petite fille dont elle a appris ce qu’elle était et qu’elle devrait aussi apprendre tout ça puisqu’elle a été déformée par un monde urbain occidental qui a oublié ces trésors-là. C’est aussi le fait qu’en quelque sorte nous sommes tous porteurs d’une énergie lumineuse qui peut faire des miracles, qui peut guérir, qui peut parler aux lois du cœur, qui peut guérir sur le plan aussi bien physique qu’émotionnel, psychique. C’est tout ce que représente la prêtresse Azizé et sa petite fille Diane.

Diane et les images vient de remporter le prix du premier roman de l’Union européenne lors de la 12e édition de la Rentrée littéraire du Mali. Quel sentiment vous anime ?

Je suis ravie, pleine de joie, pleine de reconnaissances, en particulier envers Ismaïla Samba Traoré et de La Sahélienne qui a rendu possible cette mise en valeur de Diane et les images et du coéditeur français, François Lopez, qui a aussi porté ce projet, qui a été le premier à découvrir ce roman. C’est très important pour moi que cette reconnaissance ait lieu au Mali qui est le pays de mon papa Djibril Diallo. Je ressens de la fierté au nom de la famille et du pays.

Je souhaite aux lecteurs une bonne lecture sachant qu’ils peuvent se tourner auprès des éditions La Sahélienne ou des éditions Renaissance Arts et lettres sur internet : https://editions-renaissance.com/

Source: Journal le Pays- Mali

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